cat-right

Cardabella

Cardabella « carline à feuilles d’acanthe » est maintenant la forme la plus connue de cette fleur des régions sèches du Midi, grâce aux paysans militants du Larzac, qui ont appelé leur association la Cardabella.

 

Cardabello est le composé de carduus « chardon, artichaut » et bellus « joli, gracieux » en latin classique. Vous allez me dire, une histoire peu intéressante. Pourtant elle montre que la démarche du FEW c’est-à-dire de partir de l’étymon, éclaire autrement l’histoire des mots.

dipsacus sativa

Vers le IVe siècle latin classique carduus a abouti dans la langue parlée à deux formes: cardus, -i et cardo, -onis. La première forme cardus se retrouve en italien, catalan, espagnol et portugais cardo « chardon » et en français avec changement de sens carde, occitan carda « planchette garnie de pointes de fil de laiton pour carder la laine ». Cette utilisation ne peut provenir que du fait qu’anciennement on utilisait des chardons pour carder la laine. Plusieurs exemplaires d’une variéte speciale, la dipsacus sativa, liés ensemble servaient de carde (Weber Karde en allemand, c’est-à-dire carde des tisserands, en néerlandais kaarde) . A partir du moment que carda désigne l’outil de travail, on utilise l’autre forme, cardone(m) pour nommer la plante. C’est ce qui s’est produit en français chardon et en occitan cardon.

Quand on a remplacé la plante par une planchette, le nom de l’outil et de l’activité carder est resté.

                                                    

Les formes cardoulo, cardoulho etc. sont dérivés de carduus, comme cardaire « cardeur », Cardonel,cardounilho « chardonneret » sont dérivés de cardone(m).
Le maintien du c+a dans la forme française carde, est certainement dû au fait qu’au Moyen Age l’industrie de la laine était particulièrement développée en Picardie et en Flandres où cette forme est régulière.

Capelan

Capelan « prêtre, curé d’une paroisse ». Bien sûr l’étymologie est la même que celle du fr. chapelain, mais j’en parle quand-même parce que

  • 1) L’histoire de cappella + -anus est intéressante.
  • 2) Le sens du languedocien capelan « curé » n’est pas identique à celui du mot français « chapelain » prêtre chargé de dire la messe dans une chapelle particulière ».
  • 3) Dans ma langue maternelle, le néerlandais il y a le kapelaan « prêtre qui assiste le pastoor« ; le pastoor n’est pas le « pasteur », mais le « curé », le responsable de la paroisse! Une série TV intitulé « Le chien berger » montrait la vie d’un kapelaan dont voici la photo:

    Le sens du mot français, mais avec la forme occitane ou latine se retrouve en allemand Kaplan, italien cappellano, espagnol cappelan, catalan capellà (qui signifie aussi « salive » dans l’expression quan parla de pressa tira capellans (quand il parle à toute allure il envoie des postillons) , etc.

  • 4) Dans la région de Narbonne et d’Albi le capelan s’appelle rector Pourquoi? A  Montagnac (34) il y a un proverbe :Michanta afaire quand los capelans lauran. « Mauvaise affaire quand les curés labourent. »
  • 5) A la fin du 19e siècle, la personne interrogée à Sumène (Gard) par Edmont pour l’Atlas Linguistique de la France a donné la forme capelan avec le sens « coquelicot » (parce qu’il est noir quand les pétales sont tombées?). Si vous connaissez ce sens contactez-moi.
  • D’après  le Statistique du département du Gard par Hector Rivoire, 1842 p. 220  c’est la  Centaurée laineuse Carthamus lanatus L., 1753,  qui s’appelle lous capelansCette  liste des plantes pour le Gard a été dressée par Pouzols1.
  • La bourse-à-pasteur ou tabouret s’appelle d’après la liste de Pouzols herba de l’evangile  ou bonnet dé capélan  en languedocien. En surfant sur le net, je trouve en plus un toponyme Bonnet du Capelan « Au nord du circuit pédestre de Valescure se dresse le bonnet du Capelan. Imposant, sur sa colline mise à nue par les incendies. « 
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  • Un lecteur très attentif m’écrit que pour Max Rouquette c’est une autre fleur:  » Une fleur splendide poussait entre les épis de blé, grasse et violette, toute chargée de clochettes. Nous l’appelions « capélan  » pour sa couleur de semaine sainte  » in « Vert Paradis » ( Éditions le Chemin Vert, 1980, page 108, avant dernier paragraphe, dans le texte : « Le secret de l’herbe »). Je n’ai pas pu l’identifier. Si vous avez une idée, contactez-moi
  • Un visiteur originaire de Montagnac (34) l’a fait; il m’écrit : . lou capelan ou compagnon bleu : plante de la famille des liliacées appelé « Muscari neglectum » (ou muscari négligé) de couleur violette, qui, pour nous était le signe de l’arrivée du printemps. Il existe un autre Muscari, plus grand que le précédent, qui pousse plus tard, appelé « Muscari comosum ». Max Rouquette était originaire d’ Argilliers, un village à 40 km de Montagnac. Voir Wikipedia pour plus de renseignements sur le muscari neglectum.
    Différents insectes: « bruche, ver blanc à tête noires, grande sauterelle verte, grande araignée, libellule et traquet s’appellent capelan en occitan. Et puis à Tréminis dans l’Isère est attesté chapelan « tussilage ». Mais le tussilage est une fleur jaune.
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D’après l’abbé de Sauvages capelan est aussi un « ver à soie mort d’une espèce de maladie qui le fait devenir noir.
  • 6) Le mot capelan a été prêté au français avec le sens : « Espèce de petite morue qui vit dans nos mers et dont la chair est estimée : Les pêcheurs de morue se servent de CAPELANS pour appât. (Acad.). Les pêcheurs donnent aussi ce nom à plusieurs poissons qui ressemblent plus ou moins au véritable capelan Le capelan a l’intérieur de l’abdomen noir. On appelle également capelan un petit gade de la Méditerranée, mais on n’est pas certain qu’il soit de la même espèce que celui de l’Océan. »(Pierre Larousse). La première attestation en ancien occitan dont le sens donné par le FEW est « gadus minutus » date de 1433. Il existe toujours en français régional (Lhubac). La raison de cette évolution sémantique n’est pas claire. Il faudrait voir le « gadus minutus » et demander à un pêcheur. Le même poisson s »appelle aussi praire « prêtre »!

         
capelan
Et maintenant il y a le « Mas des capelans » à Nîmes, transformé en salle de fête. Un visiteur m’informe que son vieux mas à Montfaucon a le même nom.

L’origine de capelan est latin cappella « petit manteau » un dérivé tardif du VIIe siècle de cappa « sorte de couvre-chef », mot également attesté tardivement. Capella désigne « le manteau de St Martin » qui, en 338, en avait donné la moitié à un pauvre.

et un vitrail moderne avec le même sujet :

Au VIIe siècle ce manteau ou ce qui en restait, est rentré dans les reliques du roi des Francs. La cappella était conservée dans un petit bâtiment à Tours près de l’église qui à l’époque s’appelait oratorium. Pendant un siècle capella signifie aussi bien ce manteau que ce bâtiment. Dans un texte on trouve in oratorio nostro, super capella domni Martine. (où capella signifie « manteau »).A partir du VIIIe siècle le mot cappella désigne « l’oratorium du roi ». D’autres cappellae sont construites entre autres à Dijon et à Aix-la-Chapelle par Charlemagne.

Entrée de la chapelle à Aix-la-Chapelle (Maintenant une cathédrale)

A partir de la Gaule le mot capella « lieu de prière du roi » remplace oratorium dans les autres pays: italien cappella, allemand Kapelle, néerlandais kapel, anglais chapel etc.
Un prêtre était chargé de la conservation de ces reliques qui appartenaient au roi. A partir du VIIIe siècle le capellanus est « celui qui doit garder et entretenir les reliques » et comme il avait probablement du temps libre, le capellanus devait à partir du Xe siècle s’occuper aussi de la correspondance du roi » et enfin au XIIe siècle nous trouvons le sens actuel : « le prêtre chargé de dire la messe dans un chapelle », et dans le Languedoc « prêtre » > « curé ».
Il faudra la collaboration d’un historien de l’église catholique pour savoir pourquoi le capelan est devenu le « curé » dans le Midi de la France. En principe un capellan est un subalterne et le curé est « responsable de la paroisse ».

J’aurai besoin du même spécialiste pour expliquer pourquoi dans le Midi, et plus spécialement dans le ouest-Languedoc et en Gascogne, mais aussi dans le nord-ouest de la France, le curé est appelé recteur », en languedocien ritou du latin rector « celui qui gouverne, maître, chef, guide ». Dans l’église ce mot désignait un « supérieur ecclésiastique, un prelat; un directeur de certaines maisons religieuses ». Je crois savoir que dans le droit canonique, une recteur n’est pas à la tête d’un paroisse, mais qu’il gère une église qui fait partie d’une paroisse. D’après des Coutumes, le même sens se retrouve en Bretagne , TLF: 1575 en Bretagne « curé d’une paroisse »


Un prelat

En ancien occitan déjà retor signifie « curé », mais les attestations des parlers modernes proviennent surtout du Languedoc et de la Gascogne d’où viennent également les dérivés reitouret « petit recteur », retouras « gros ou vilain curé » et ritouraille « prêtraille ». (Mistral).Y a-t-il un lien avec les Alibigeois ou le protestantisme dans la région??

  1. Pouzols est aussi une des sources d’E.Rolland:  POUZOLZ P.M.C. de, 1856-1862 – Flore du département du Gard ou description des plantes qui croissent naturellement dans ce département. Tessier, De Poulolz, Garve, Waton, Nîmes, 2 vol.: 660 p.

Trantanel

Trantanel  est « la bourdaine »  et « le garou à feuille étroite » d’après l’abbé de Sauvages dans la première édition de son dictionnaire, voir mon article canto-perdris; trentanèl , trentanèla « sainbois, garou ». (Alibert). Dans la deuxième édition (S2), l’abbé donne comme sens de trantanel « bourdaine » et supprime « le garou », et sous canto-perdris il donne seulement « garou » comme sens avec trintanelo comme synonyme. Je pense que c’est son frère, François, le fameux botaniste, physicien et médecin qui a attiré son attention sur la différence de ces deux plantes.

D’après le volume XXI « Mots d’origine inconnue » p. 112b du FEW, tantanel « daphne » est un mot typiquement languedocien, attesté au Moyen Age. Les formes avec -r-: trintanèl (Gard), trentanèl (Montpellier 1686), trantanel (Castres) avec le sens « daphne gnidium » sont plus récentes.

L’abbé de Sauvages n’est pas le seul à confondre bourdaine et garou. Dans le Gard et à Montpellier le mot désigne aussi la « bourdaine » et il y a une autre attestation à Forcalquier trantanéou « bourdaine ».  Les deux essences  se ressemblent mais  le garou ou sainbois pousse surtout dans des endroits secs et arides et la bourdaine dans des régions humides.

Littré a trouvé le mot trantanel dans  l’Instruction générale pour la teinture  de 1671  et il  le définit comme « Nom languedocien de la  passerina tinctoria, thymélées; cette plante fournit une couleur jaune. Nous avons la malherbe et le trantanel, qui sont deux plantes d’une odeur forte dans leur emploi, qui croissent dans le Languedoc et dans la Provence.

Etymologie.

En languedocien est attesté le verbe trantá, trantaliá, trantaleissá « vaciller, trembler »(S2) , ere en tranto « j’étais en balance si je ferais telle chose » (S2); trantir dans l’Alibert avec de nombreux dérivés: trantalhar « chanceler », trantol « échelle suspendue sur laquelle on conserve le pain…. », trantel « jeu de bascule »(Cévennes) etc.etc. Le mot est aussi vivant dans la haute Provence en français régional: Trantailler : « trembler, perdre l’équilibre.

A une re-lecture plus attentive de l’article trant- (onomatopée) « balancer, vaciller » dans le FEW , je trouve, un peu caché il faut le dire:

 Marseille tartonraire « passerina tartonraira » (1570) d’ou le nom scientifique.

Lors de la rédaction de l’article trant-  du FEW un paquet de fiches avec trantanel a dû s’égarer et par la suite le lien avec la racine trant- a été oublié, de sorte que toute la famille trantanel « daphne gnidium » ou « bourdaine » a été réunie dans les « incognita1« .

Le lien sémantique entre « balancer, vaciller, trembler » et les deux plantes « bourdaine » et « garou » n’est pas évident. Bien sûr il y a le tremol, « tremble » mais c’est un grand arbre dont les feuilles tremblent au vent et que tout le monde connaît. C’est en surfant sur le net à la recherche d’une description de la bourdaine que j’ai lu dans plusieurs endroits que les chevreuils raffolent de la bourdaine, qui pour eux est une drogue.
Dans Wikipedia : « son fruit, très prisé des chevreuils notamment, contient un alcaloïde aux effets psychotropes. Les chevreuils qui en consomment en fin de printemps errent sans conscience des dangers, particulièrement sur les autoroutes. » Autrement dit les chevreuils sont comme des ivrognes, ils vacillent. Peut-être qu’il y a eu un transfert de nom de l’effet vers la cause « la bourdaine ».    Balandino  dérivé de ballare « danser »  « grande cigüe qui donne lieu à des convulsions » est un cas analogue.

bourdaine

Marseillais tartonraire « passerina tartonraira », mais ailleurs aussi « garou; euphorbe épineux » et le groupe de mots trandoulá « balancer, trembler » trandol « balançoire », drandaïá « chanceler » (Alès) appartiendraient à la même famille de mots d’origine onomatopéique trant-. Le médecin-botaniste allemand Heinrich Adolph Schrader (1767-1836) a certainement visité la Provence, parce que c’est lui qui est à l’origine du nom scientifique.  Voir l’article tartonraira


tartonraire  « passerina tartonraira.Schrad. »

Trantala(r), trantailhar « chanceler, vaciller, secouer » est très bien attesté dans tous les parlers occitans.

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  1. Il y a 3 volumes de mots d’origine inconnue. Du boulot pour les étymologistes

Gous, gos

Gos, gous « chien ».  Dans beaucoup de langues il y a un genre d’onomatopées pour exciter ou appeler des chiens qui consistent dans les sons k et s, avec ou sans voyelles entre ces deux sons : en suisse-allemand ks-ks , néerlandais koest (1) , espagnol cuz-cuz (?), allemand kusch, occitan cuss-cuss, gous-gous, ou guiss-guiss. A partir de ces sons a été créé le verbe agoucer « exciter (un chien) » d’ou le dérivé gos, gous « sorte de chien », attesté depuis le Moyen Age en wallon, picard d’un côté et en occitan à l’ouest du Rhone (Thesoc: Ariège, Aude, Hte Garonne, Hérault, Pyr-Orientales , Prov. d’Huesca; d’après les dictionnaires cités par le FEW aussi dans l’Aveyron, le Cantal, le Limousin, le Périgord et en Béarn). Voir la carte dans l’article can  « chien »

Un visiteur précise: Mes interlocuteurs en occitan (ils se font rares) prétendent (à Pézénas) que le mot « gos » vient de la montagne, tandis que le mot « chin » serait le plus courant en plaine. Cela ne les empêche pas de dire « ai una canha de gos« , m. à m. « j’ai une flemme de chien » ou encore « Es coma la gossa de Cacari » (i accentué). J’ignore qui était ce Cacari mais il devait avoir une chienne particulièrement paresseuse.

Malgré l’attestation à Prades gousa « jeune fille qui court après le garçons », les étymologistes ne croient pas que français gosse « enfant » a la même étymologie, mais on n’en a pas encore trouvé l’origine. La dernière proposition est le suédois! Voir TLF.

Le mot occitan gos, gous a été transféré à des outils : ancien occitan gosa « machine de guerre » (laquelle ?), Aveyron engoussos « machine pour assujettir un fuseau dont on dévide la fusée »(image?) et à une série de plantes: gousses « capitules de la bardane » (Carcassonne), gousséts « cynoglosse » (Pamiers, goussés « orlaya grandiflora » (Aude), mais « fruits du renoncule des champs » en Lauragais.

                                   

le gos d’Obama            capitules                        orlaya                   renoncules

Note: (1) Interprété par les dictionnaires étymologiques allemand et néerlandais comme un emprunt au français couche-toi. Mais je me demande pourquoi on parlerait français aux chiens. ?

Camparol

Camparol « champignon »  *campaniolus , dér. en –olus du lat. campania  « plaine ». A l’origine campaniaétait un nom propre et désignait la plaine fertile près de Naples.

 Le sens général « plaine » date du VIe s. Le dérivé. *campaniolus  (campania + olu  est limité au galloroman) était probablement d’abord un adjectif et désignait  les plantes ramassées dans les champs. Ce sens s’est spécifié ensuite pour désigner les champignons. Cf. cat. camperol « relatif aux champs ; paysan ». La forme campagnoule (oc)ou champagnoule (fr), se trouve un peu partout en France ;  en lang. campanholet (Durieu).

Le changement de –n- en –r- vient du  gascon camparó,  attesté depuis 1567. Cette forme gasconne a gagné Toulouse et de là le languedocien jusqu’à Albi (Durieu) et peut-être plus loin ?

D’ou vient le sens « potiron » (Alibert), qui a existé aussi pour fr. champagnol (Trévoux), n’est pas très clair. De la forme ? ou de la couleur? Un lecteur m’écrit: « Le fait est que j’ai pu découvrir lors d’une autre recherche il y a qqs mois que « Potiron » est aussi, en Vendée et dans le Poitou, un champignon. Certains cèpes ont une couleur et des boursouflures qui évoquent la citrouille.  » Voilà une explication!

Dans la langue d’oïl le suffixe –olu a été changé en –one : champignon.  La forme fr. s’est répandue à partir de Paris dans toute la France et même à l’étranger :  allemand, angl., néerlandais champignon, esp. champiñon.

Ma première voiture avait encore un  « accélérateur  » en forme de champignon.

Le mot fr. campagne qui remplace depuis le 16e-17e s. l’ancien français champagne, a probablement été emprunté à l’occitan.