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Esglajà, glaoujou

Esglaja « effrayer » est un dérivé de l’ancien occitan glai s.m. « effroi » (XIIIe s.). La famille de mots dont esglaja  est surtout attestée à l’Est du Rhône et se retrouve dans les parlers du Nord de l’Italie.

L’étymologie d’esglaiar, un dérivé de gladius « épée », demande un commentaire. Le verbe esglaiar signifie en ancien occitan  » tuer avec une arme », mais aussi « effrayer, intimider ». C’est ce dernier sens qui a survécu en provençal. L’explication de l’emploi au figuré de glai « épée » donnée par von Wartburg (FEW) se trouve dans l’Evangile où gladius est utlisé pour décrire la douleur et l’effroi de la Vierge à la mort du Christ. Par exemple dans Lucas 2.35 : et tuam ipsius animan pertransibit gladius.

A partir du pluriel gladii > gladî a été formé le substantif glazi « épée » en ancien occitan, et nous trouvons le même emploi au figuré dans les dictionnaires de l’occitan moderne comme dans le verbe glasí « effrayer » (Gers), esglariat « effaré, emporté, hors de soi » (Marseille) et eglaria donné par l’abbé de Sauvages (S2).

Dans les dialectes du Nord et en français jusqu’à la fin du XVIIe s, glai prend le sens du dérivé latin gladiolus « glaieul », qui a donné glooujou, glaujou, glauïol en occitan, néerlandais gladiool, allemand Gladiole.

                                              

Pour une explication de la forme glaive « épée » dans la langue d’oïl, et en anglais voir le TLF.

Visetta

Visetta ou Vizette « escalier tournant extérieur ». Tiré du Compoix de Valleraugue(1625) :

«Maison de Sire Adam CARLE, maison à deux membres en partie crotte 23 cannes 1 pan compris vizette » (tome 1 page 150).(Crotte est une cave voûtée, sur laquelle on trouve à l’étage l’habitation).

L’origine est le latin vitis ‘vigne, sarment, pampre’, plus le suffixe diminutif -itta. Latin vitis est encore vivant dans presque toutes les langues romanes, italien vite, espagnol vid, portugais vide, mais a été remplacé par vinea ‘vigne’ dans une grande partie du galloroman. Vitis a survecu tel quel en rouergat abit ‘cep de vigne’; Millau obise ‘pampre’; au figuré dans l’Aveyron bit ‘cordon ombilical’.

Principalement dans le domaine occitan des dérivés désignent la ‘clématite’, dans le Gard c’est vissano, avissano et rabisano, parce que comme la vigne elle fait deux lianes qui montent en s’enroulant systématiquement à la recherche du moindre support.

sarment                               escalier à vis                          clématite

Partout la vis est la pièce de métal. Limité au galloroman est le sens ‘escalier tournant’, vis en ancien français comme en ancien occitan. Dans les dictionnaires de 1567 jusqu’à Trévoux 1771, la vis saint Gilles est un « escalier qui monte en rampe et dont les marches semblent porter en l’air » d’après le fameux escalier de St Gilles (Gard), appelé ensuite vis  saint Gilles, jusqu’au grand Larousse de 1867 qui écrit : « Escalier à vis dont les marches, soutenues par des voûtes d’une coupe particulière, semblent être suspendues dans les airs. Il en existe un modèle célèbre dans le prieuré de Saint-Gilles, en Languedoc. »


     

« C’est dans l’épaisseur du mur nord de l’ ancien choeur que se trouve la vis. Il s’agit d’un escalier hélicoïdal, datant du XIIème siècle.Il porte une voûte annulaire appareillée à 9 claveaux. Cet assemblage s’appuie sur le noyau central et les murs intérieurement cylindriques, et l’art du tailleur de pierre apparaît dans la double concavité et convexité de chaque voussoir. Elle a été très tôt une oeuvre célèbre, étape des Compagnons Tailleurs de pierre qui vinrent graver leur surnom ou leur devise lors de leur passage. »texte et les 2 photos  tirés du site http://perso.orange.fr/erwan.levourch/stereotomie.htm

Photo que j’ai prise en haut de la  vis  et qui montre bien la structure et le travail des tailleurs de pierre.

Le diminutif viseta, vizeta ‘escalier tournant’ attesté depuis le XVe siècle est limité au provençal et l’est-languedocien. L’attestation du Compoix est intéressante pour la précision de la définition « extérieur » :  la langue s’adapte à l’environnement!


vizette cévenole

Quand j’ai acheté un masà Valleraugue en 1979, il n’y avait pas d’escalier entre le rez-de-chaussée et l’étage et comme estranger ignorant j’ai installé la cuisine/ salle à manger  au rez-de-chaussée, dans la crotte , pour la déménager vers l’étage quelques années plus tard.

      
anglais vise                  neerlandais vijzel d’un moulin

Coufle ‘ressassié’

Coufle « (trop) rassassié ». A la sortie des bons restaurants de Nîmes on entend régulièrement  » Ah, je suis coufle ! ». D’après un blog coufle est aussi courant en stéphanois. L’abbé de Sauvages donne l’expression Soui couflë coum’un pëzoul littéralement « Je suis plein comme un pou ». A son époque on faisait aussi des couflajhë  « repas où l’on se pique de manger avec excès », et il ajoute « style bas, très bas ».

Le mot ne se trouve pas dans le TLF, mais il est connu de Diderot et d’Alembert qui donnent la définition suivante du substantif : « COUFLE, s. f. (Comm.) c’est ainsi qu’on appelle les balles de séné qui viennent du Levant. » Le séné  est une plante médicinale utilisée comme laxatif (irritant), en cas de constipation occasionnelle chez les adultes.

Etymologie: latin conflare « souffler en amas; fondre des métaux », sens conservé en franco-provençal konfla « amas de neige, entassé par le vent ». Le verbe confler, gonfler ne s’est maintenu qu’en italien gonfiare, en rhétoroman et dans le sud-est et le sud du gallo-roman. (Français gonfler date du XVIe siècle et est emprunté au bourguignon.)
Du point de vue sémantique conflar est devenu concurrent des représentants du verbe inflare « enfler »; ce qui explique que les deux verbes se sont croisés dans plusieurs endroits, comme par exemple en gascon ounflà (Mistral, s.v. enfla).

Du point de vue de la forme, il y a des variantes avec c- ou g-, mais il n’y a aucune cohésion géographique, comme pour les formes avec la nasale, confla, ou sans cofle, coufle; parfois on trouve les deux dans le même endroit.

Le substantif coufle s’applique d’abord aux animaux « météorisation, ballonnement ». D’après Mistral on appelle en languedocien un mets grossier un couflo-bentre et le sainfoin du couflo-palhe parce qu’il remplit vite la paillère.

coufle-palhe

Chucar

Chucar  « sucer, savourer, humer » est dérivé du substantif chuc« suc, jus » et vient du latin sucus « suc, jus », devenu suc  « suc, suint » en ancien occitan et su(c) en provençal, chuc en languedocien. Cette famille de mots est limitée à l’occitan. (Français suc a été emprunté au latin à la fin du 15e siècle.) Les Toulousains ont créé une expression ni suc ni muc « sans goût ni valeur », qu’on retrouve en Rouergue. Le verbe sucar « sucer » est attesté depuis le XIVe siècle. Dans les parlers modernes on ne trouve que des formes avec (t)ch-.

En français régional actuel le sens est souvent passé à « boire, boire avec excès », par exemple à Toulouse: tchuquer v.tr. « boire (beaucoup) ». Ils ont tchuqué comme des outres  » (Source). L’auteur ajoute :

 » On peut entendre « tsuquer » chez les personnes de famille tarnaise, lotoise ou tarn-et-Garonnaise, qui veut plutôt dire suçoter, pour les bébés. « 

En béarnais un chucadou est quelqu’un « qui boît beaucoup », et une chucadère « une sucette, un tétin ». A Nice, Carcassonne et dans la Hte-Garonne est attesté chuquet « lathraea,  » une plante parasite stricte dépourvue de chlorophylle. Leur tiges souterraines blanches, recouvertes de feuilles écailleuses charnues, possèdent des suçoirs qui puisent la sève des racines de leur hôte. » (Wikipedia).
Dans le Tarn et Garonne, un chuco-bin est un « bourgeon gourmand sur la vigne ».

chuquet "lathraea"

Photo de lathaea clandestina (Wikipedia)

Ceba

Ceba « oignon » vient directement du latin cepa « oignon », qui a été conservé en roumain ceapa, en galloroman et en catalan ceba. Dans le nord de la France, cive a été remplacée dans de nombreux endroits par le type oignon. Dans les autres langues romanes c’est le diminutif cepulla qui a pris la place de cepa : italien cipolla; espagnol cebolla, portugais cebola, et emprunté par le basque kipula, tipula. A partir de l’Italie cepulla est arrivé en Suisse et en Allemagne Zwiebel et de là même en frison siepel, une langue régionale du nord des Pays Bas.

Le type oignon a gagné l’anglais onion et le néerl. ui.