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Drolle, drolla

Drolle, -a « garçon, fille ». Une discussion qui date de 2007 sur le Forum Babel me fait revenir sur l’histoire de ce mot. D’après les dictionnaires il s’agit d’un mot d’origine néerlandaise drol qui signifie en néerlandais moderne « crotte; enfant potelé ». La première attestation en néerlandais date de 1477 drol(le) avec le sens « lutin, satyre » et en 1599 chez Kiliaan, le fondateur de la lexicologie néerlandaise, drol est « lutin, petit bonhomme ». Le sens affctueux pour « petit enfant » date du 19e siècle! (EWN qui ajoute: si le mot drol « lutin » n’est pas un emprunt à l’ancien norvégien troll « monstre », le sens d’origine est « une personne petite et grosse « .)

Les premières attestations en français datent du 15e siècle drolle, drole, draule s.m. »plaisant coquin » , au 16e et 17e s. Ce sens devient péjoratif  « personne rusée , qu’on méprise; mauvais sujet ». Au 19e s. drôle devient aussi adjectif avec le sens « qui a quelque chose de singulier et de plaisant ». Dans les dialectes l’adjectif garde le sens « drôle, capricieux, amusant; gentil, joli » . Il est attesté dans tous les dialectes, du wallon jusqu’au béarnais. Parfois le substantif devient indépendant, comme à Vissoye (Valais, Suisse) drola « femme », et dans le Périgord drolo « drôlesse ». Dans l’Isère drol désigne le « bourdon ou le frelon » , mais la raison de ce transfert sémantique ne m’est pas clair.

Les dérivés comme drôlerie, drôlichon, drôlet vivent surtout dans la langue officielle.

La première attestation de drôle « enfant » date de 1771 et vient du Midi dans la forme drollet dans le » Catholicon, ou Dictionnaire universel de la langue françoise/ Catholicon oder französisch-deutsches Universalwörterbuch der französischen Sprache » de Johann Josef Schmidlin (qui n’est pas encore numérisé, presque 4000 p.pour le premier vol. ). Les sens « enfant » > « jeune homme, fils » > « domestique, aide-berger » etc. vivent dans les dialectes au sud de la Loire, en Bourgogne et en franco-provençal’.

L’évolution sémantique  » amusant, rigolo » > « enfant » a dû se produire en occitan. On n’a qu’à écouter des mamans parler de leur bébé pour comprendre que drôle ou coquin peut passer du sens  » mon plaisant coquin » à « mon enfant ».

Je pense que cette évolution sémantique s’est produite indépendamment dans les deux langues.

              
                                       petit coquin.                      Ce chat néerl. s’appelle drolletje (diminutif de drol).

Dralha

Dralha « sentier pour les troupeaux « , fr.rég.draille mot commun à l’occitan et le sud du franco-provençal. Voici la description d’une draille trouvée dans le site http://membres.lycos.fr/gtmc/etape06.htm:

« Deux grandes voies de transhumance traversent le Mont-Lozère: la plus importante – qui s’introduit au cœur même de la montagne – est la grande draille du Languedoc au Gévaudan. Elle amenait les troupeaux de la région provençale et gardoise ainsi que les petits troupeaux des contreforts cévenols jusqu’au Col de Finiels puis redescendait vers la vallée du Lot avant de gravir la montagne du Goulet et de déboucher enfin sur les plateaux du Gévaudan. Le tracé des drailles n’est plus guère entretenu mais il est encore facile de repérer leur empreinte rectiligne: celles-ci vont de crêtes en cols en évitant les fonds de vallée. Resserrées sur les terrains escarpés, elles peuvent atteindre jusqu’à 80 à 100 mètres de large dans les espaces dégagés et, sur leurs bords, figurent des murettes de pierres sèches pour canaliser les troupeaux. »

      
draille de Valleraugue vers le Mont Aigoual, 4000 marches

 
Draille entre l’Aubaret et St.Maurice                               Autre draille        

Von Wartburg le rattache au verbe *tragulare, un dérive de trahere « tirer » ou de tragula « traineau ».*Tragulare devait avoir un sens spécifique pour les chasseurs « chercher la bête avec les chiens sans avoir aucune piste ». L’évolution sémantique s’explique alors à partir d’un sens « chemin ou piste fait par les traineaux » et ensuite « piste » tout court. En ancien occitan il y a en effet le mot tralh « piste; glissoire pour lancer le bois du haut de la montagne » et en aveyronnais moderne estroillá « suivre à la trace ». En gascon la drailha est en effet appelée la tralha, d’après le Thesoc « piste pour troupeaux ».

Mais le dr- au lieu de tr- n’est pas une évolution phonétique normale. Elle ne peut s’expliquer que par l’influence d’un autre mot avec un sens plus ou moins proche, comme languedocien dressieiro « sentier » qui est souvent un raccourci, un dérivé du latin directus. En effet, les « drailles » que je connais dans les Cévennes sont des raccourcis comparés à la route normale pour matériel roulant. Il y a une draille qui va de Bertézène au Col du Pas.

J’aimerais attirer l’attention sur le fait que le sens du mot draillo s’adapte à la configuration du terrain (voir les images): « trace dans la neige, sentier pour les troupeaux » en montagne mais « chemin » à Montpellier, « ravine » à St.André de Valborgne, « couloir pour descendre le bois », mais aussi  « trace de quelqu’un dans une récolte » en Limagne.

Gard drayaou « petit sentier dans les champs »; Montpellier dralhason « itinéraire ». Composé: languedocien s’adraya  » s’acheminer; se mettre en train de faire quelque ouvrage » Borel 1655, Alès idem; v.n. « frayer un chemin » 13/2,174a ;
.Panoccitan : endralhar « mettre sur la voie » , adralhar v. tr. 1. viabiliser; 2. acheminer; 3. impulser; v.r. » s’acheminer ». etc.

Voir aussi l’article trallar « troller »!

 

 

L’hôtel La Draille d’Alès,  ce n’est pas la même chose.


 

Drac

Drac « lutin, farfadet, follet diable » du latin draco, draconem.« gros serpent; la constellation Le Dragon; vieille souche de vigne et d’autres sens au fig. »

Ancien occitan drac « dragon »: (Raynouard), et dragon. Draco est utilisé en latin chrétien pour désigner le dragon de l’Apocalypse (12, 3) et le diable.(TLF ). Voici le texte en question:

« 3 Un autre signe parut encore dans le ciel; et voici, c’était un grand dragon rouge, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes. 4 Sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel, et les jetait sur la terre. Le dragon se tint devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer son enfant, lorsqu’elle aurait enfanté. »

Au figuré drac, dragon, prend des sens plus ou moins méchants, par exemple dans l’Aveyron dragoun « bourdon », à Pézenas le drac est un être diabolique qui suivant la tradition, sortait d’un puits, appelait à lui les enfants vicieux et désobédients pour les fair monter sur son dos infiniment long et se précipitait avec eux dans son puits!   Ailleurs un « esprit follet » , etc. Languedocien dragas « femme d’un caractère violent ».

Un visiteur de Pézenas m’écrit : La gourgue ( les eaux de l’Etang, entre Pézénas et Tourbes vont se jeter dans la « gourgue », sous le château de Conas, hameau proche du cours de l’Hérault) était le repaire d’un « Drac« ; un de ces chevaux fantastiques dont le dos s’allonge, il invite les enfants à l’enfourcher, après quoi il va les noyer. Un autre habitant de la gourgue était « lo Serrà ». Dans les bestiaires médiévaux, « la Serre » (elle change de sexe en occitan) est un animal tout aussi fantastique qui se précipite sur les vaisseaux pour les faire couler. Il s’agissait d’inspirer aux enfants une frousse bleue par ces récits, pour les empêcher de s’approcher des endroits dangereux.

   
Drac
à Beaucaire              Tarasque à Tarascon    Drakkar des Vikings

Drac et dragon est un des rares cas où la forme du nominatif et celle de l’accusatif latin sont conservées. D’autres exemples français sont : pute, putain; gars, garçon. En ancien anglais on trouve drake et en anglais moderne dragon emprunté au français. Néerlandais draak, Allemand Drache, Suédois drake , au pluriel drakkar « bateau de Vikings ».

Draconien par contre est dérivé du grec Dracon, législateur d’Athènes (fin 8e s. av. J.-C.), célèbre pour sa sévérité

Dimanche

Dimanche « espace vide dans une rangée de souches de vigne » (Lhubac). Cet emploi au figuré du mot dimanche du latin dies dominicus se retrouve curieusement à Pipriac dans l’Ille-et-Vilaine et à Blois dans le Loir-et-Cher. Gilbert Lhubac raconte qu’un dimanche permettait au vendangeur de se reposer un peu ou de rouler un cigarette en attendant que les autres soient à la même hauteur dans leur rangée de ceps.


Une vigne sans dimanches

Desvariar, dévarier

Dévarier ‘contrarier’ en français régional , semble être typique pour la région nîmoise. Notre femme de ménage l’utilise à tout propos. Mistral cite A.Bigot dans son Trésor, s.v. desvaria :

Se rèste un jour sèns te vèire, Sièu desvaria.

Etymologie : ce dérivé du latin variare ‘changer; être différent’ est limité au domaine occitan, même s’il y a quelques attestations en ancien et moyen français. Les attestations en dehors du languedocien sont rares d’après le FEW XIX,178a-b. J’ai l’impression que le sens en français régional est plus faible qu’en occitan.: Alibert desvariar ‘extravaguer, rendre fou: troubler, égarer’ etc. Voir aussi Doumergue
Le mot existe également en italien divario ‘changeant’, catalan et espagnol et portugais desvariar ‘délirer’.