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Gronh

Gronh « groin, trogne »,  en ancien ocitan « museau du porc »;  on le trouve aussi au féminin gronha. Ce mot m’intrigue pour trois raisons:

  • 1) le type groin du latin grunium a deux significations « groin » et « sommité, partie supérieure d’une colline » comme dans les Hautes Alpes(04) groun « sommet d’un rocher » attesté en 1606 et dans la toponymie à Val de Chavagne avec le sens « mont, colline, mamelon, sommet ».
  • 2) Ces deux sens se trouvent également dans le type mor.
  • 3) Le mot anglais groin désigne le « mons pubis » de la femme et de nos jours aussi de l’homme. Les étymologistes anglais le font venir d’un moyen anglais grynde « dépression dans la terre » lié au mot ground « terre, sol » d’un ancien anglais « abîme ». Mais il y aussi un  groyne  « digue pour retenir le sable; a rigid structure built out from a shore to protect the shore from erosion, to trap sand, or to direct a current for scouring a channel« .

Nous trouvons le mot groin en ancien anglo-normand,  le français parlé en Angleterre entre le 12e et le 15e siècle,  avec le sens « sommité, partie supérieure d’une colline » aux XIIe et XIIIe siècles, et il s’est maintenu en normand avec le sens « petit cap marécageux de la côte du Bessin et d’Avranches » . Le mot a été conservé dans de nombreux noms de lieu dans les dép.  des Hautes Alpes, de l’Ile et Vilaine, les Côtes d’Armor et la Charente en général avec le sens « cap, pointe, promontoire ». (IGN).

Une évolution sémantique identique « groin » > « colline » se trouve dans d’autres langues romanes, comme en roumain gruiu « colline », catalan gruny  » groin; tas » mais aussi  dans la famille de la racine préromane *murr-.

Douglas Harper et d’autres font bien venir groyne « une forte digue dans un port de mer » de l’anglo-normand  groin avec le sens « museau du porc », sans comprendre le lien sémantique,  parce qu’ils ne savent pas que groin signifie également « colline, cap, promontoire ». Plusieurs attestations ici s.v. groin. Une dans le DMF : le groin des rochers
D’après plusieurs dictionnaires l’anglais groin désigne « l’aine » , mais en réalité  groin signifie « mons pubis » ou « mons veneris ». Le pubis est une « saillie triangulaire » (TLF). Il me semble logique que l’étymologie du mot anglais groin avec le sens « aine »  ou plutôt  » pubis » est le même que celui de groyne « digue » à savoir  le  latin grunium et qu’il a emprunté au galloroman, probablement au normand.

    des groins  groin-attaque 

groin-protecteur

Une voûte « groin » Un champ de groins pour protéger la plage. Une « groin-attaque » et un « groin-protecteur ».

Il faut admettre que ces images sont plus proches de l’idée « colline arrondie, cap, promontoire » que de l’idée « dépression, abîme ». sauf peut-être pour le type qui subit une « groin-attaque »…

Mazet, maset, mas

Maset « petite maison de campagne, petite ferme; maisonnette rustique où l’on va passer le dimanche » est un dérivé  en –ittu de  mas « ferme, maison, demeure ». D’après les dictionnaires de français, entre autres par Littré, ce dérivé est caractéristique pour la région de Nîmes – Avignon. Un visiteur me signale le sobriquet mazetié pour les Nîmois qui allaient chaque dimanche dans leur mazet‘. Cette photo vient du site de G. Mathon qui consacre une  page intéressante au maset nîmois.

Lou Maset du Jardin de la Fontaine

L’origine est le participe passé mansus du verbe latin manere « rester, habiter » qu’on trouve comme substantif dans des textes et des inscriptions depuis le Ve siècle avec le sens « maison  » et « domaine ».

Le mot a également existé dans le nord de la France, comme en témoignent de très nombreux noms de personnes (Dumas, Delmas) et de noms de lieu (Metz, Meix, Mas), mais il y a perdu beaucoup de terrain depuis la disparition du système féodal concernant la propriété (un sujet à approfondir!) Mas n’est vraiment indigène que dans le Midi, où il s’est maintenu jusqu’à nos jours avec le sens « ferme ».  Il faut dire que les agents immobiliers  en abusent depuis que les prix ont flambé.

En français il a été emprunté à l’occitan au XIVe siècle.

Le  mas du Valdeyron à Valleraugue où j’ai habité pendant 20 ans

Autres dérivés: masada, masaria « tour d’une ferme, hameau »; masatgier « campagnard »; masièr, masièra « qui habite un mas »; masuc « petite construction montagnarde où les bergers d’Auvergne s’abritent et font leurs fromages en été »;  masagé « campagnard  » forme rencontrée par un visiteur dans un état civil du XIXe siècle de la région d’Albi : masagé de Rafialou, d‘Ambialet.

Moulon

Moulon « paté de maisons ». Dans le Compoix de Miirepoix de 1766, les pâtés de maisons sont appelés moulons. Il y a le moulon Saint Sacrement, le moulon Caraman. Voir le blog de la dormeuse.

Compoix_Mirepoix
Extrait du Compoix de Mirepoix 1766

D’après mes recherches dans les dictionnaires il s’agit d’un mot local. Ailleurs un moulon est un – « tas en forme de meule de foin. » et son étymologie est la même que celle de meule : latin mola «meule de moulin».

Mola prend en galloroman deux autres sens: « pierre , meule à aguiser » et « tas de foin ». Moulon est attesté dans de nombreux parlers occitans avec ce sens « tas; tas de foin, de chaume, de fagots, etc. ». L’image que m’inspire le moulon « bloc de maisons » correspond à celle de pâté de maisons « ensemble de maisons formant bloc », ou l’anglais block.

Le mot le plus courant en occitan pour « meule de foin »  est modolon  du latin mutulus  «Ornement de la corniche». en forme de col.

Nauc, nauca, nauquet "auge"

Nauc,nauca, nauquet, nauqueta « auge des porcs » dans l’ouest de l’occitan (Ariège, Tarn-et-Garonne, Gers, Haute-Garonne) voir Thesoc. Nauc  signifie  « abreuvoir » dans la Gironde, Hte-Garonne, Lot-et-Garonne; nauca dans l’Ariège, Gers, Hte-Garonne. Voir aussi les articles naut, et nais

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Mistraldonne des formes pour tout le domaine occitan, mais il semble que le mot a disparu du vocabulaire courant dans beaucoup d’endroits. Pour des raisons d’évolution phonétique, le FEW suppose que les formes provençales de la région à l’est du Rhône,  type nau sans -c final viennent du latin navis, navem « bateau » et les formes à l’ouest du Rhône de *navica, ou *navicum « petit bateau ». La forme anau est le résultat de l’agglutination de l’article : la nau > l’anau; la forme avec un -c final n’apparaît pas à l’est du Rhône.

*Navica a donné en français noue  « angle rentrant par lequel deux combles se coupent » . Dans les dialectes le sens s’est souvent spécifié et est passé à « gouttière entre deux toits ». Voir le DMF pour le moyen français noc « gouttière, gargouille, conduit ». Dans le Centre et le Midi c’est le sens « auge » qui domine: nauko (Aude, Ariège, Hte Garonne et Tarn). Le maintien du –c final dans beaucoup d’endroits reste inexpliqué, mais il n’y a aucune attestation de nauc à l’est du Rhône et la forme anau au singulier, vient certainement de navis

Je pense que l’anglais nook « coin » a la même étymologie. (Mais cf.Harper: nook c.1300, noke, of unknown origin.)  Néerlandais nok « (poutre de la) faîte du toit; angle supérieur du voile d’un bateau » pourrait également y appartenir.

      
  français noue                                         néerl. nok

Voir aussi l’article  naut « auge, creux dans terrain ».


Tina, tinel

Tina (f) : « nom donné, dans la garrigue de Nîmes (Gard), au cuvier en maçonnerie couvert par une voûte auto-clavée servant d’entrepôt provisoire de la vendange ou de la récolte à olives » (Lassure).

Étymologie : latin tina « cuve pour le vin, pour la lessive ».  (J’ai pas encore trouvé de photo de la tina nîmoise).
Pour les nombreux sens secondaires voir le  FEW XIII/1; p334

Dans notre région nous trouvons les deux sens du mot latin, ainsi que des dérivés comme  tinado « cuvée de vin, de linge » et tineu (tina + ellu) « cuve à lessive (ALF p.861) et en Lozère tinar « cuve à vendange « ,  tine  en français régional.

Un texte en ancien occitan provenant du Gard donne le mot tinel avec le sens « cave ». Je me demandais quelle évolution sémantique de « cuve » pouvait aboutir à « cave ». Je l’ai trouvée dans le site constructions en pierre sèche.

En latin du moyen âge il y a le mot tinellum  désigne la « salle à manger pour les serviteurs de l’hôtel d’un seigneur ».   Cette salle où l’on dépose aussi les tines, était située  plus bas que la salle à manger des seigneurs,  dans l’entresol donc, plus tard nommé la cave.
Confirmé par Borel de Castres:

Dans le Palais de papes à Avignon par contre:

La vaste salle du Grand Tinel forme l’étage de l’aile du Consistoire. Le terme de « tinel » est employé en Italie et dans le midi de la France pour désigner les salles à manger, ou les réfectoires. C’est ici que se déroulent les banquets organisés les jours de fêtes, en particulier lors de la nomination des cardinaux ou du couronnement d’un pape. Les jours maigres ou ordinaires, le pape est servi dans le Petit TinelPlus d’images et d’explications ici.

Le mot a existé en français, conservé dans tinette mais il n’y a pas d’attestations pour les dialectes du nord  de la France. Tinette est  probablement un emprunt à l’occitan ou au franco-provençal.

Un fidèle visiteur du Midi m’écrit que pour lui les tinettes étaient (sont?) « les chiottes »., un sent qui n’est pas attesté dans le FEW page 335, qui nous fournit par contre pour Le Havre : « baril de cabinet d’aisance ».

Un visiteur italien m’écrit:

 » En italien « tinello » c’est la salle à manger ordinaire (non pas celle de representance de la maison), mais différente de la cuisine. »

Dans le nouveau Dictionnaire Étymologique du Néerlandais (EWN, mauntenant en ligne etymologiebank.nl), le mot toneel  « la scène; théatre » est rattaché à cette signification de tinel. Je n’en suis pas convaincu. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une généralisation du sens « tonneau », étant donné que le tonneau, Butte en allemand, joue un rôle important dans le théâtre de rue tel qu’il est encore pratiqué pendant le carnaval en Allemagne et au Limbourg. J’ai écrit à un spécialiste pour avoir le coeur net et j’attends sa réponse.

Dand lr Gard est attesté tinel « endoit où on dépose les tines ». Quelues planchs suffisent pour transformer une dizaine de tines en scène de théatre; « toneel » en néerlandais.

Pour ceux qui comprennent le néerlandais, ici le lien vers l’article toneel du EWN.  Le sens le plus ancien attesté en néerlandais est « avant-scène, estrade ». Le même sens en Afrikaans. Vous risquez de rencontrer notre  tinel devenu  toneel  pendant vos voyages en Namibie!

Michel Wienin ajoute des informations actuelles sur les sens que tina et tinellum ont pris, ainsi que sur les toponymes qui en sont nés:

TINA, TINEL       :              La définition de Christian Lassure dont je ne remets nullement en cause la grande connaissance du domaine de la pierre sèche, est un peu ambigüe pour qui ne connaît pas ces édicules (dits actuellement tines ou cuves autour de Nîmes). Quelques beaux exemples : https://www.pierreseche.com/images/Nimes_tine_ruinee.jpg et surtout http://www.pierreseche.com/cuviers_de_la_garrigue_de_nimes.htm .

A Nîmes, comme ailleurs le mot tina a le sens normal de cuve et son utilisation pour désigner des mini-capitelles recevant temporairement la récolte d’olives (je n’imagine pas y mettre la vendange !) avant son transport au moulin n’est qu’un sens dérivé. Principales caractéristiques architecturales : petite taille, grande ouverture et surtout une lausa (dalle) fermant la base de l’entrée. D’autre part : la description « …au cuvier en maçonnerie couvert par une voûte auto-clavée servant d’entrepôt… » est erronée : comme pour tous les bâtiments de cette famille (capitelle ici, capeillette (capelheta) à Montpellier, cabane, cabanon, cabanon ponchut, c(h)aselle, chabotte… et borie pour les parisiens !), la voûte n’est pas clavée mais montée « en tas de charge », c’est-à-dire que les pierres, posées presque à plat, débordent les unes sur les autres par encorbellement et ne sont en général posées radialement que dans le plan horizontal (quelques médiocres contre-exemples en zones sans couches calcaires fines, pour des chaselles ardéchoises ou vellaves par exemple).

Le passage de tinel (tinal/tinau  en Languedoc) = grande cuve (fr. cuveau) au sens de chai n’est qu’une métonymie sans problème particulier comme pour cuvier en français.

En microtoponymie, le mot est habituel dans le Gard pour désigner des marmites de géants et autres trous d’eau, en concurrence avec  payròl (chaudron), gorg (gour), to(u)mple… Cf. par exemple Las tres tinas,  « Les très tinos » sur IGN, et de plus mal placé, car ce sont trois vasques profondes dans le lit de l’Aiguillon en aval de la grotte des Fées et nullement un point d’eau sur la colline ! (près du hameau du Roux, ~3 km au NNE de Lussan, Gard). Tinette est le diminutif naturel ; par exemple aux cascades du Sautadet, à La Roque sur Cèze (Gard), on parlait des grandes tines pour les marmites plurimétriques et de tinettes pour les plus petites, sur les côtés.