cat-right

manchard ‘gaucher’

Un visiteur auvergnat me demande si je connais l’étymologie du mot manche ou manse « gauche », sans me préciser la localisation. J’ai pu lui répondre :

J’ai trouvé cette étymologie grâce au Thesoc, qui donne manchard  « gaucher » pour le Puy de Dôme et manquier pour la Haute Vienne1

Manche, manse  « gauche » est en effet assez rare. L’étymologie est le latin mancus « estropié ».  Vous pouvez trouver d’autres attestations dans le FEW vol. VI/1, p. 140. dans la colonne à gauche après le chiffre 3.   Lim. = limousin.

Je vous prie de me communiquer les villages ou la région où vous avez entendu/appris ce mot et avec quelle prononciation, –ch– ou –s-.

En plus des attestations dans le volume VI/1 , le FEW en donne  d’autres dans le volume XXII/1,p.90 pour le Velay mançard « gaucher » et pour Vinzelles (Puy-de-Dôme) mansar « (chemin) âpre, (personne) maladroit » et il renvoie vers une correction à l’article mansus  FEW VI/1,  331 qui y ajoute une attestation forézienne  mansard « maladroit ».   Toutes ces attestations ont certainement la même étymologie et devront faire partie de l’article mancus.

Le sens « gauche » à partir des sens « estropié » et  « incomplet » s’est développé dans plusieurs langues romanes, en italien manco « gauche » depuis Dante, en Sicile et Calabrese mancru, en Sardaigne mancu. Souvent en combinaison avec mano : en Corse mano manca « main gauche » ensuite par ellipse manca « main gauche ».  L’évolution sémantique de « gauche » > « maladroit » est  parfaitement compréhensible. Voir le CNRTL gauche2

 

  1. mancard PUY-DE-DOME.;  manquier HAUTE-VIENNE.

Mangayre, manjo –

Mangayre. Dans un texte concernant les moeurs du 25 août 1596 :

« Cest présenté Antoine Gautié jeune. A esté prié de nourir et entretenir son père quest malade le mieus qu’il pourra, et a esté sencurré de ce qu’il ne le traicte pas comme il faut et mesme quelques fois l’injurie et outrage, l’apelant « mangayre« . A promis de le traicter le mieus qu’il pourra. »

Je pense qu’il s’agit d’un gros mot et qu’Antoine a traité son père de mandzaire du latin manducarius « (gros) mangeur, goinfre ». A l’époque  un gros mangeur malade dans une famille pauvre était une charge lourde. En occitan moderne mangeaire est un « dissipateur » (provençal, Alès, Castres, etc.).

Encore aujourd’hui les Manduelois sont des Manjo-Bourro pour leurs voisins de Bouillargues, c’est-à dire, qu’ils allaient cueillir les jeunes pousses dans les vignes de Bouillargues pour les manger en salade! Une video  Festo di manjo-bourro.

Deux pages de  manja +  un substatif dans l’index du livre de Claude Achard,  Les uns et les autres. Dictionnaire satyrique.  Pézenas, 2003.

Manoli

Manoli, marseillais papo-manoli « grosse bouteille carrée, de verre noir » voir l’article  damojano

Manouls 'tripes'

Manouls « tripes ». Un ami m’écrit : « J’ai cherché le terme « manouls » sur ton dico, qui veut dire « tripes » en vieux nîmois mais je ne l’ai pas trouvé. Mon père disait: on va préparer un bon plat de manouls. 

Le mot se trouve déguisé en manel ~ manolh « paquet; botte; poignée d’étoupes; paquet de tripes; glane d’aulx, d’oignons » dans l’Alibert. (Une graphie faussement étymologisante; manel  n’existe nulle part, manolh  est attesté au  15e siècle seulement.)

manel, manolh

Manouls, manoul,  vient du latin manupulus « poignée, botte » sens déjà attesté en latin classique. Sous l’influence d’autres mots manupulus  est devenu  manuculus  que nous retrouvons dans presque toutes les langues romanes : roumain manuchiu « gerbe », italien mannochio « faisceau »,  catalan manoll, espagnol manojo, portugais molho  tous avec le sens « gerbe ».

Le passage de « paquet de tripes » à « tripes »   est une évolution sémantique courante, mais dans ce cas c’est un grand saut de « paquet » à « tripes ». D’après le Thesoc manoul, manouls  « tripes »  est courant dans l’Ardèche, l’Aveyron, le Gard et l’Hérault1. A Uzès et Villeneuve on dit manou.

L’abbé de Sauvages  écrit « Manoul dë trîpos » , manoul d’amarinos » (S1, 1756).

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  1. Le mot  « tripous »  désigne les tripes de veau ou d’agneau, liées en petits paquets et cuisinées » si j’ai bien compris la note du Thesoc

Marcamau, marcamal

Marcamau, marcamal « une figure qui fait peur, un bandit » (Lhubac). Un visiteur m’écrit que sa grand-mère de Clarensac (30) lui disait « que tu marques mal », quand il était mal habillé (jeans avec des franges).

L’expression marquer mal  « être mal mis, avoir un aspect, une mine qui n’indique rien de bon » n’est attesté en français que depuis 1878. Il était très en vogue dans les années ’50 d’après les témoins de von Wartburg. Mais les attestations occitanes sont plus anciennes et l’expression a très probablement été empruntée à l’occitan. Mistralla donne dans son Trésor :

Mistral

Elle est surtout connue en provençal (cf. le site de Marius Autran pour La Seyne) et en languedocien, avec des variantes de sens, mais il s’agit toujours de l’aspect apparent de quelqu’un.

Un autre visiteur me signale une expression souvent entendue dans l’ Hérault (Pouzols) et l’Aude : Marco-mau se passejo  » il y a de l’orage dans l’air », au propre ou au figuré  » la situation devient menaçante »; littéralement : « Marquemal se promène, Marquemal est de sortie ». Et il ajoute: Le surnom de Marcomau a été donné à divers individus, ermites, marginaux ou délinquants.
Un marco-siau est un hypocrite, sournois.

En argot des imprimeurs le marque-mal est « le receveur des feuilles à la machine ». (Pourquoi??).

Pour l’étymologie du verbe marka, marcar et ses nombreux dérivés, qui sont tous postérieurs au XVe siècle, suivez ce lien vers le TLF.

Marche Nîmoise.

La Marche Nimoise est le nom de la région du Gard à l’Est de Nîmes jusqu’au Rhône. L’étymologie de Marche est le germanique *marka « frontière ». A la tête d’une Marche se trouvait un marquis « titre féodal de celui qui est placé entre le duc et le comte ».  Le sens dans Marche Nîmoise est « région frontalière« . (Je ne sais pas  s’il y a jamais eu un marquis de cette région ou si le nom est resté du haut Moyen Age, du Marquisat de Gothie. )

Linguistiquement parlant il s’agit de la région du Gard où les traits provençaux dominent.

Très souvent les frontières linguistiques, ou limites de certains phénomènes phonétiques ou lexicaux, sont expliquées par l’existence de frontières 1) politiques, 2)ecclésiastiques ou 3)naturelles.

  1. Le Marquisat de Gothie, partie de l’ancien royaume wisigoth de Toulouse, installé par les Francs après 759 comprenait au moins le territoire occupé maintenant par les départements de l’Aude, de l’Hérault et du Gard.(cf.Wikipedia)  L’ouest du Rhône appartenait au comte de Toulouse et faisait partie du Royaume de France. L’est du Rhône faisait partie de l‘Empire germanique. Ce fleuve formait donc une frontière politique importante.
  2. Il était également la frontière du diocèse de Nîmes, fondé à la fin du IVe siècle.
  3. Le Rhône était une frontière naturelle difficile à passer : il y avait au Moyen Age quatre ponts sur le Bas Rhône: Pont-St. Esprit, Avignon, Beaucaire et Arles, mais celui d’Avignon n’etait plus utilisable depuis le XVIIe s. et celui de Beaucaire depuis le XVe s. cf. l’article d’Abel Chatelain. pour beaucoup plus de détails.

Pourtant la Marche Nîmoise présente une prédominance de traits provençaux, notamment des traits phonétiques. Comment expliquer cela ? Je suis convaincu que ce grand fleuve, difficile à passer, n’a pas été un obstacle pour la communication entre les habitants des deux rives, mais le contraire. Les grandes routes du Nord et de l’Italie vers l’Espagne passaient par la région du Bas-Rhône. Il n’y avait pas de ponts entre Vienne et Pont St.Esprit. Lepassage du fleuve ne présentait pas d’intérêt avant Pont St.-Esprit, puisque la route suivait le fleuve. Mais à partir de cette ville il fallait choisir. Aller en Italie (Rome) ou vers l’Espagne (St. Jacques-de-Compostelle). S’il n’y avait pas de ponts, c’étaient des bateliers locaux qui transportaient les voyageurs ou les marchandises. Ce travail était tellement important que les bateliers de Beaucaire se sont opposés avec succès à la construction d’un pont jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

On comprend facilement que ces contacts journaliers entre les habitants des deux rives ont eu des influences sur leur manière de parler, aussi bien la prononciation que le vocabulaire. J’ai constaté personnellement le même phénomène dans les parlers des 3 derniers villages du col du Grand St.Bernard (Val d d’Aoste) et les 3 premies villages de l’autre versant du col (Valais suisse). Tous les mots avec un -ü- accentué sont prononcés avec un -i- dans ces villages des deux côtés du col du Grand St.Bernard.

Un sujet très intéressant serait d’étudier à quels champs sémantiques appartiennent les mots que les deux zones, la Marche Nîmoise et la rive est du Rhône ont en commun, en opposition au reste du domaine languedocien ou provençal. Par exemple le type darbon « taupe » ou amolar « aiguiser », s’arrêtent au Rhône, pata « chiffon » traverse à peine le fleuve mais va pas plus loin, tandis que jardin remplace ort dans une grande partie du Gard et de l’Hérault. Voir Lectures de l’ALF pour d’autres exemples qu’il faudra compléter par les données du FEW.

La zone de tranistion provençal/languedocien

Marélar

Marélar v. 1) « distribuer le brin de soie sur l’écheveau de la roue à ce qu’il y  fasse des losanges »(Alès). 2)« tromper au jeu ».  

La marélo est  « le petit caillou » dans le jeu de la marelle.  L’ évolution sémantique de marelar « jouer » à « tromper au jeu » se comprend facilement, non?.
Dans le jeu de marelles on fait des carreaux. C’est à partir de cela qu’on disait déjà au XVIIIe siècle à Alès se marrela « se diviser en losanges », maréla « vitrer » cf. auvergnat marrelatge « vitrage en losanges » et marelar « diviser en losanges » Alibert.  Ensuite le mot  s’est spécialisé dans le milieu de la sériciculture, de là  le sens 1).

Quand ce travail est mal fait marela prend le sens de « rayé, bigarré »

Au Moyen Âge le mot mereau désigne en français un  « jeton » ensuite,   au XVIIe s.  le « jeu de la marelle ».

Marélaire « fripon, trompeur ». Dérivé de maréla « tromper au jeu ».

Dérivé d’une racine marr- « caillou, roche » d’origine préromane, obscure. En provençal existe marro « tuf » ou « auge dans laquelle tourne la meule d’un moulin à huile » , et marrado « le contenu de cette auge ». Cf.  l’article marron.

Margal ‘herbe de printemps’

Margal « herbe de printemps » d’après l’article de Wikipedia Agriculture en Camargue.
Graaphie margalh pour les occitanistes.  Loliium perenne pour les botanistes.

Étymologie : margal  vient d’une racine préromane *margalio- « ivraie ».

here de printemps

margal, lolium perenne  (Wikipedia)

Voici  le texte de Wikipedia:

Le fermier camarguais jouissait de libertés (ou profits) dans son exploitation. Ces droits étaient au nombre de quatre : la margalière, les pasquiers, les luzernières et la pâture4.

La margalière consistait à tirer profit du margal, herbe de printemps, pour ses ovins. Elle n’était disponible dans les restoubles que de mars à avril et aux premiers labours. Les pasquiers correspondaient à la fraction de terres labourables converties en prairies annuelles. On y semait avoine, orge et vesce noire (ou barjalade). Le surplus fauché trouvait preneur auprès de charretiers qui voituraient le sel de Peccais 4.

Le lien vers la source étant mort, je l’ai recherché et trouvé (difficilement) dans le site du patrimoine de la ville d’Arles. , texte de Gérard Gangneux. L’ordre de Malte (Hospitaliers de Saint-Jean) en Camargue au XVII et XVIIIe siècles. Extrait de sa thèse de 1970.

Il faudra retrouver ses sources afin de mieux dater ces attestations. En ancien occitan est attesté marjuelh « ivraie » au 14e siècle.

Le 15 juillet 2013 un de mes fidèles visiteurs, Rudy Benezet,  m’a demandé l’origine de ce  margal  et il a ajouté:

Bonjour, ……..Cela m’a rappelé les longs après-midi ou je devais aller arracher les herbes dans les vignes;  quand il n’y avait rien d’autre a faire.
Mon grand père me disait Mais tu n’as rien a faire !  va donc à l’Esquillon tirer les jambes rouges ( Chenopodium album ) et  les blés (Amaranthus hybridus ? ) et prend le bigot (la pioche) pour arracher le grame (chiendent, Elytrigia repens ) et sans oublier un flo  ; et n’oublie pas d’enlever les grosses mattes de margal ( ivraie , Lolium perenne ).
Après mon passage plus un brin d’herbe dans la vigne;  tel Attila ! J’étais a l’époque un véritable désherbant manuel……   🙂  c’était il y a plus de 50 ans ! Et pendant tout ce temps mes copains galopaient sur le pic des ânes ; derrière Geronimo et Kit Carson !Mon grand père ne me  parlait jamais en patois, <<C’était interdit pas Monsieur le Maître d’école >>   Je n’en prenais quelques mots que quand ils causaient entre vieux….
Étymologie : margal  vient d’une racine préromane *margalio- « ivraie ».   D’après les données du FEW VI,1 p.323  le type margal, margalh  se trouve en franco-provençal, en Provence (Vaucluse, Var, BRhone, AlpesMar) et en languedocien le long de la côte jusqu’en Catalogne (margall « lolium italicum ») .  Le Thésoc y ajoute les départements ARIEGEHAUTE-GARONNE, TARN-ET-GARONNE.
Dans  l’AUDE il y a quelques attestations du  type amargalh  avec le  préfixe a-  dans les noms des plantes est d’après Hubschmid (spécialiste du préroman)  est également d’origine préromane.
D’après M.Palun1  Le « raygrass »  Lolium perenne L et le Lolium multifflorum Lam. s’appellent margai  à Avignon et environs.
Le lien fonctionne toujours parfaitement. Pour m’assurer j’ai consulté l’index et suivi l’indication vers la p.165  où on trouve même  deux esoèces  de  lolium avec le nom margal:
lolium perenne dans M.Palun
Mistral donne en plus  margalheiro  s.f. «  »champ où le ray-grass abonde ».
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  1. Palun (Maurice), Catalogue des plantes phanérogames qui croissent spontanément dans le territoire d’Avignon et dans les lieux circonvoisins. Avignon, 1867. 2-189 p. Table alphabétique des noms vulgaires des plantes en provençal aux pp.183-189. Disponible dur le web archive.org

Margot

Margot signifie « pie » dans des parlers de l’Allier, des Bouches-du-Rhône; la Drôme et de l(Hérault.

On peut se demander quel rapport peut-il y avoir entre une pie et les nombreuses autres sens comme  un ersatz pour le beurre, une jeune fille, une pâquerette, la Reine Margot, une coccinelle, une mitrailleuse, une perle et un cordage maritime? V

                                     

L’histoire du mot latin margarita telle qu’elle est racontée par Walther von Wartburg  dan s le FEW montre clairement à quel point sa conception de l’étymologie est riche d’enseignements. En partant de l’étymon, l’histoire de chaque mot est racontée et expliquée  dans son contexte géo-linguistique et social.

Dans un dictionnaire étymologique ordinaire vous trouverez quelque chose comme margot « pie, du nom de jeune fille Margot forme abrégée de Marguerite du latin margarita « perle »  empruntée au grec. Éventuellement l’auteur rattache le mot grec à une racine indo-européenne et au Sanskrit parce que les Grecs ont importé les perles de l’Inde.

Dans le FEW par contre vous trouverez dans l’article margarita « perle » tous les mots, toutes les formes et toutes les significations qui se sont développées en galloroman et très souvent dans les autres langues romanes et germaniques. Pour avoir une idée de la richesse du FEW regardez la page que j’y consacre.

Le mot latin margarita « perle » est emprunté au grec. Il  est venu de l’Inde avec la chose au temps de Cicéron, premier siècle  av. J.-C. Les Romains adoraient les métaphores et ils ont dû faire comme nous en faisant un compliment à leur femme « margarita  es ! » Macrobe dit que pour l’empereur Auguste margarita était un terme de tendresse. Plus tard ils ont donné le nom Margarita à leurs filles. Sainte Marguerite d’Antioche (IIIe s.) par exemple est devenue très populaire.

                                                Sainte Marguerite d’Antioche

Tellement populaire que de nom propre Margarita est devenu nom commun *margarita « jeune fille ». Margot devient margot « femme » ou « jeune fille ». Par la suite nous constatons une évolution sémantique « femme » > « femme de petite vertu ».  Cette évolution est récurrente. En français le mot  fille par exemple a pris ce sens  depuis François Villon dans l’expression  « aller voir les filles ».   A partir du XVIe siècle nous avons des attestations sûres de margot ‘ femme ou fille de petite vertu’, transformé plus tard en margoton, puis goton.

J’ai l’impression en parcourant les définitions données pour margot  « fille peu modeste, drôlesse, d’humeur galante; petite personne sans conséquence,  de moeurs relâchées » etc. que le mot margot a une nuance affective. En néerlandais également Margriet abrégé en Griet est devenu nom commun griet ‘femme, fille’, comme  en allemand Gretchen  peut signifier « jeune femme ».

Déjà au XIVe siècle est attesté margot avec le sens « pie », bien avant que Jean de La Fontaine publie sa fable de Margot la pie (1694) et ce sens est bien vivant dans les patois.  Emprunté par le breton margot ‘pie’ et par l’anglais magpie. Alibert donne la forme margassa ‘pie-grièche’ qu’il fait venir de darnagas  « pie grièche », mais je pense qu’il s’agit plutôt d’un dérivé de margot avec changement de suffixe. La pie grièche est un oiseau soi-disant ‘cruel’.

margot ‘femme bavarde’ n’est attesté que depuis 1803, mais a dû exister bien avant cette date. L’argot anglais mag est associé au bavardage des femmes depuis 1410 au moins dans l’expression : Magge tales ‘nonsens’; magpie ‘pie’ depuis 1605.

Margarita ‘perle’. Il faut faire un pas en arrière. Le français et l’occitan sont les seules langues romanes où margarita a gardé le sens ‘perle’ : ancien français margerie et ancien occitan margarida. Il est passé en ancien anglais margeri perle, et toujours utilisé comme prénom Margery. Un sens figuré existe dans l’ Aveyron : morgoridos ‘appendices charnus de la chèvre’. Et Mistral donne comme languedocien l’adjectif margaridat pour une chèvre ‘qui a le cou mamelonné’.

morgoridos   Margery  bourgeon

Au XIIIe siècle margarite avec le sens ‘perle’ est de nouveau été empruntée au latin, mais le mot est fortement  concurrencé par perle. Nous ne la retrouvons que dans la vieille expression « Jeter des marguerites aux/devant les pourceaux », une référence à la Bible et en particulier à l’Evangile de Matthieu où l’on peut lire : « Ne donnez pas aux chiens ce qui est saint et ne jetez pas vos perles [dans la traduction moderne]devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et se tournant contre vous, ne vous déchirent ».  Pour connaître les expressions correspondantes dans d’autres langues, cliquez sur ce lien.

Détail du fameux tableau Proverbes flamands de Pieter Brueghel l’Ancien

Le mot perle a remplacé marguerite  parce que marguerite signifie aussi »‘pâquerette » depuis le XIIIe siècle et plus tard « la grande marguerite » probablement par comparaison des bourgeons des pâquerettes ou des marguerites qui ont un aspect nacré, à des perles.  Voir la première image ci-dessus. Au XVe -XVIe siècle on distinguait la petite marguerite, occitan pitchouno margarido (Toulouse) de la marguerite / margarido tout court (leucanthemum vulgare). Ensuite la pâquerette devient la margarideto.

Avec différents adjectifs le même nom a été donné à bien d’autres fleurs. Le transfert sémantique de margarita « perle » > « fleur » s’est répandu dans toutes les langues romanes et même au delà : italien margheritina, espagnol et portugais margarita, catalan margarida, anglais marguerite (maintenant daisy), néerlandais margriet.

Reste la margarine. Je copie ce que j’ai trouvé dans un site sur le chimiste français Chevreul qui l’a inventée:

  margarine.

Il débuta par l’examen d’une substance obtenue en délayant le savon de la graisse de porc dans une grande masse d’eau. Une partie se dissout, une autre se précipite en petites paillettes brillantes, sorte de matière nacrée. Cette matière nacrée, attaquée alors par l’acide muriatique, se sépara en chlorure de potassium, et en un autre corps composé fusible vers 56°, qu’il proposa d’abord de nommer margarine, du grec margaritha perle’. La matière nacrée constituait sa combinaison avec la potasse. L’existence de ces composés soulevait un problème non moins général et inattendu, celui des acides organiques insolubles dans l’eau. Or l’existence d’un acide de ce genre parut si extraordinaire, si contraire à tous les faits alors connus, que Chevreul hésita d’abord et n’osa se prononcer. Ce ne fut que plus tard, après avoir préparé et étudié les sels de composition définie que ce corps formait avec les alcalis terreux et les oxydes métalliques, que Chevreul se décida à changer le nom de margarine en celui d’acide margarique. Ce nom aurait dû rester dans la science ; mais par suite de cette manie, trop fréquente dans les sciences naturelles, de démarquer le linge de ses prédécesseurs, on a remplacé le nom d’acide margarique par celui d’acide palmitique » .http://hdelboy.club.fr/Chevreul.html

  Le cocktail Margarita doit être servie dans un verre à margarita givré au sel fin.  ce qui donne un aspect nacré au sel.

Dans le roman historique Les Roses de la vie  Robert Merle.  utilise régulièrement l’expression à la franche marguerite « franchement, sans détours » qui est attestée depuis le XVIe siècle. En occitan a la franco margarido. L’expression semble encore être vivante en Suisse romande. L’origine est inconnue. Peut-être est-elle liée à la vieille tradition d’effeuiller une marguerite. :  A chaque pétale arraché correspond un sentiment d’un homme ou d’une femme : « Il/elle m’aime un peu – beaucoup – à la folie – passionnément – pas du tout ». Au dernier pétale arraché correspond la réponse à la question « m’aime-t-il ? ». La réponse est a la franco margarido.

effeuiller une marguerite

Margaridelhas. Un dernier exemple du riche développement de  margarita : ‘je trouve le dérivé suivant: margaridelhas les « 4 rondelles de l’enclumette » . (Alibert)

margaridelhas

Margouline, Font Marjolaine

 

La Font Margouline est devenue la Fontaine Margouline d’après Google. ??

MargoulineMapChemin de Font Margouline à Nîmes.

Dans les vieux documents, le cartulaire de Notre Dame de Nismes (1144)  jusqu’au compoix de 1671, elle est appelée Margolina, Mangolina, d’après Aimé Serre, Les rues de NîmesIl rattache ce nom au mot margolh  « boue » qui  vient d’un ‘étymon gaulois marga  « calcaire ».  Il y a en effet  pas mal de mots du type margouiller  avec le sens « patauger » ou « boue »1, mais la Font s’appelle Margoulina et non pas *Margoulhina ou *Margouillina. Un problème de phonétique historique.

C’est pourquoi je propose une autre étymologie, un peu plus poétique d’ailleurs, à savoir le nom d’une plante assez courante l’oreganum vulgare ou marjolaine,  marjolena    marjouléno , mardžouléno ou majourana dans les parlers occitans2.

A l’origine du type marjolena se trouve  le mot du bas latin  majorana,  conservé dans l’occitan majourana, majhourâno (Sauvages).   Dans la langue d’oïl  majorana a été associé au nom de la Vierge  Maria , ce qui a donné l’insertion d’un  -r- : mariorana.  Ensuite a eu lieu une  dissimilation des deux -r-, ce qui a donné  mariolana, marjolena.  Margoline « marjolaine » esr attesté dans l’Orléanais au XVe siècle.

Le FEW suppose que la forme marjolena est née dans la langue d’oïl et a gagné du terrain au cours des siècles dans le domaine occitan. Si mon interprétation de  Margolina dans le cartulaire de Notre Dame de Nismes qui date de 1114 !, est juste, c’est peut-être l’inverse qui a eu lieu.

marjolaine

  1. Voir FEW VI/1, 320
  2. FEW XXIV,384 article amaracus