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Français régional, la Cigale et la Fourmi

Plusieurs visiteurs ont eu la gentillesse de m’envoyer la  fable  LA CIGALE ET LA FOURMI façon provençale !!!  écrite par Caldi Richard . Je crois qu’elle voyage librement sur le web. Une excellente occasion pour moi de m’en servir pour illustrer la notion de français régional.

Mode d’emploi :
gras rouge = lien vers l’article dans mon site.
gras bleu = note en bas de page.
gras marron = lien vers le Trésor de la langue française TLF.

 CIGALE ET LA FOURMI façon provençale ! par Caldi Richard

Zézette, une cagole de l’Estaque, qui n’a que des cacarinettes dans la tête, passe le plus clair de son temps à se radasser la mounine au soleil ou à frotter avec les càcous1 du quartier.

Ce soir-là, revenant du baletti2 où elle avait passé la soirée avec Dédou, son béguin, elle rentre chez elle avec un petit creux qui lui agace l’estomac.

Sans doute que la soirée passée avec son frotadou lui a ouvert l’appétit, et ce n’est certainement pas le petit chichi  qu’il lui a offert, qui a réussi à rassasier la poufiasse. Alors, à peine entrée dans sa cuisine, elle se dirige vers le réfrigérateur et se jette sur la poignée comme un gobi  sur l’hameçon.
Là, elle se prend l‘estoumagade3 de sa vie.
Elle s’écrie :
–  » Putain la cagade! y reste pas un rataillon4, il est vide ce counas.
En effet, le frigo est vide, aussi vide qu’une coquille de moule qui a croisé une favouille. Pas la moindre miette de tambouille.
Toute estransinée5  par ce putain de sort qui vient, comme un boucan, de s’abattre sur elle, Zézette résignée se dit :
–  » Tè vé, ce soir pour la gamelle, c’est macari, on va manger à dache6 « .
C’est alors qu’une idée vient germer dans son teston.
–  » Et si j’allais voir Fanny ! se dit-elle.
–  » En la broumégeant un peu je pourrai sans doute lui resquiller un fond de daube « .
Fanny c’est sa voisine. Une pitchounette brave et travailleuse qui n’a pas peur de se lever le maffre7

 Aussi chez elle, il y a toujours un tian qui mijote avec une soupe au pistou ou quelques artichauts à la barigoule.
Zézette lui rend visite.
–  » Bonsoir ma belle, coumé sian ! Dis-moi, comme je suis un peu à la dèche en ce moment, tu pourrais pas me dépanner d’un péton de nourriture ! Brave comme tu es, je suis sûre que tu vas pas me laisser dans la mouscaille.
En effet, Fanny est une brave petite toujours prête à rendre service.
Mais si elle est brave la Fanny elle est aussi un peu rascous (= rascas « teigneux »?) et surtout elle aime pas qu’on vienne lui esquicher les agassins quand elle est en train de se taper une grosse bugade; ça c’est le genre de chose qui aurait plutôt tendance à lui donner les brègues.
Alors elle regarde Zézette la manjiapan8 et lui lance:
–  » Oh collègue ! Tu crois pas que tu pousses le bouchon un peu loin ? Moi !!!, tous les jours je me lève un tafanari comaco pour me nourrir ! et toi pendant ce temps là, qu’est-ce que tu fais de tes journées?
–  » Moi !!???? « , lui répond la cagole
–  » J’aime bien aller m’allonger au soleil ! ça me donne de belles couleurs et ça m’évite de mettre du trompe couillon.  »
–  » Ah ! Tu aimes bien faire la dame et te radasser la pachole9  au soleil, et bien maintenant tu peux te chasper.
–  » Non mais ???!!!! , qu’es’aco ? C’est pas la peine d’essayer de me roustir10 parce que c’est pas chez moi que tu auras quelque chose à rousiguer, alors tu me pompes pas l’air, tu t’esbignes et tu vas te faire une soupe de fèves.

Texte de Caldi Richard

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  1. Cacou (ou kakou) : Jeune qui veut se montrer. Orthographe incertaine. on voit aussi caique, quèque, kaike. »Les bandes jaunes sur la carosserie noire, ça fait cacou! »
  2. Dérivé récent de ballare « danser »
  3. « douleur d’estomac » et puisque  l’amour passe par l’estomac « serrement de coeur »
  4. en provençal : retaïoun  « petit morceau, rognure » de re– + tailler
  5. du verbe estransinar « harasser; v.r. se dessécher d’inquiétude, pousser des cris perçants » d’après Alibert;  du latin ex + transire passer au-de là
  6. Voir Wiktionnaire à dache
  7. Terme d’origine obscure qui désigne le postérieur dans l’expression : se lever le maffre. « Mon père, y s’est levé le maffre toute sa vie aux Chantiers ». tous les jours pour remplir son cabas. Marius Autran
  8. manja  « mange » + pan « pain »
  9. D’après Alibert « pot-pourri, tripotage; potée pour la volaille ».  D’après le Wiktionnaire :(Provence) (Marseille) (Vulgaire) Sexe féminin (organe sexuel).(Marine) Filet de pêche en forme de poche pour attraper les petits poissons
  10.   Occitan  rostir  « escroquer » du germanique raustjan

Franciman

Franciman , « terme de mépris pour ceux qui parlent français entre eux »(Seguier1), mot pr. et lang. L’abbé de Sauvages le mentionne mais sans le sens péjoratif. Dans l’Aveyron : « langage des gens qui parlent mal le français ».

Composé  de France et man.  Le nom France ne désignait à l’origine que l’Ile de France, opposé à Champagne, Picardie, etc. Plus tard avec l’extension du pouvoir du roi, « tout le nord de la France » opposé à « Provence », c-.à-.d. le pays d’oc, parfois jusqu’au XIXe s.

Le suffixe man fait penser à germanique -mann qui sert à nommer des peuples, mais dans franciman il ne peut pas être une continuation directe. Il s’agit plutôt d’une formation analogique à normand,  flamand, allemand.

Freta, fretadou

Freta, « frotter » d’un latin frictare formé sur frictus  du verbe fricare « frotter », mais il y a des évolutions phonétiques inexpliquées. En occitan c’est la forme freta- qui domine ; la forme frota ou fruta  comme  p.ex. à Pézenas ou à Nîmes (Mathon)  est peut-être née sous l’influence du français  où la forme avec –o- règne seule.  Ancien occcitan  fretar signifie aussi « battre, rosser ». De là en aoc. et en languedocien fretado « volée de coups », mot connu aussi à Lyon, en dauphinois, limousin et béarnais.

Fretado « volée de coups ». FEW III, 785

Dans le post du 19/03/2016 Christine Belcikowski raconte l’ histoire d’Antoine Fontanilhes, un homme dont le programme peut se résumer ainsi « le changement c’est maintenant! » . Antoine Fontanilhes s’installe définitivement aux Pujols , où, inspiré par la théorie des Physiocrates, il s’applique à mettre en oeuvre les principes d’une agriculture de type “éclairé »

Quand les Fontanilhes, père et fils, suscitent l’hostilité aux Pujols

“Ce 31 de janvier 1807 a comparu à notre municipalité le Sieur Antoine Fontanilhes, le père, propriétaire, habitant de cette commune, lequel est venu se plaindre des insultes graves et menaces dangereuses de la part de Philippe Cathala, habitant aussi de cette commune, lequel plaignant nous a dit et affirmé, sur l’offre de son serment, le fait suivant : que, jour de hier, environ les onze heures du matin, se trouvant à [Illisible], l’extrême dégradation du chemin vicinal d’Espujols à Arvigna au local appelé Perrot, le dit Cathala, passant avec ses boeufs et ayant une grosse aiguillade en ses mains, lui dit foutre de boleur (voleur) en plusieurs reprises et, le menaçant avec son aiguillade, il ajouta encore foutre boleur, si nous pouden trouva cap à cap et que nous sion pas embarrassats de nous, birious une belle fretade que ten soubendras. Sur quoi, le plaignant s’écarte sur son champ de Perrot et à défaut de porte de la maison commune ouverte.”

Frétadou « amoureux qui se serrent de près » (Mathon), frotadou « homme amoureux » (Andolfi), frettadou « coureur de jupons » (Montélimar).

Dans les dictionnaires XVIIIe-XXe s., on ne trouve en provençal  et languedocien  que les sens  « torchon, essuie-main, frottoir ».  D’après RollandFlore vol.XI, p.77 c’est le nom de la « prêle »,  qui s’appelle aussi cassòuda, consòuda escuret, escureta, escura-copa, erba de vaissela, etc. voir Thesoc. On se servait autrefois de la  prêle pour frotter les casseroles. En raison de sa forte teneur en silice (10 %), elle était autrefois utilisée pour décaper, nettoyer ou même polir le laiton, le cuivre, les métaux précieux et le bois. (Wikipedia) .

 

Fretado. Le changement …

Fretado « volée de coups ». FEW III, 785 Pour l’étymologie  voir aussi mon article freta.

Dans le post du 19/03/2016 Christine Belcikowski raconte l’ histoire d’Antoine Fontanilhes, un homme dont le programme peut se résumer ainsi « le changement c’est maintenant! » . Antoine Fontanilhes s’installe définitivement aux Pujols , où, inspiré par la théorie des Physiocrates, il s’applique à mettre en oeuvre les principes d’une agriculture de type “éclairé »

Quand les Fontanilhes, père et fils, suscitent l’hostilité aux Pujols

“Ce 31 de janvier 1807 a comparu à notre municipalité le Sieur Antoine Fontanilhes, le père, propriétaire, habitant de cette commune, lequel est venu se plaindre des insultes graves et menaces dangereuses de la part de Philippe Cathala, habitant aussi de cette commune, lequel plaignant nous a dit et affirmé, sur l’offre de son serment, le fait suivant : que, jour de hier, environ les onze heures du matin, se trouvant à [Illisible], l’extrême dégradation du chemin vicinal d’Espujols à Arvigna au local appelé Perrot, le dit Cathala, passant avec ses boeufs et ayant une grosse aiguillade en ses mains, lui dit foutre de boleur (voleur) en plusieurs reprises et, le menaçant avec son aiguillade, il ajouta encore foutre boleur, si nous pouden trouva cap à cap et que nous sion pas embarrassats de nous, birious une belle fretade que ten soubendras. Sur quoi, le plaignant s’écarte sur son champ de Perrot et à défaut de porte de la maison commune ouverte.”

Fricaud ‘éveillé’

Fricaud « qui a le teint frais » M vient du germanique friks friks« avare; vif, hardi ».   FEW XV/2, 171b : ( reprise de l’article publié dans le vol.  FEW III, 803 b)

Appartiennent à la même famille:

Barcelonnette : fric « coquet, pimpant »;

languedocien fricaud, fricáu « éveillé, gentil »

languedocien fricaudéto « moineau »,

Castres fricaudèl « amoureux éveillé, intelligent ».

moineau

Fricot

Fricot signifie à Sète « une bonne opération,une bonne récolte, une pêche miraculeuse » et viendrait  de l’occitan   fricòt « plat quelconque, ragoût, puis festin, régal »1

fricot dans le Tresor de MistrelMistral indique déjà qu’il s’agit pas d’un mot occitan : fricot (en style populaire).  La première attestation date de 1758 et vient de l’argot parisien. Le TLF donne l’année 1767 attesté indirectement dans le breton. frico.  Les attestations du FEW montrent que  fricot  est courant dans tout le domaine galloroman, de Tourcoin jusqu’à Teste. Les sens sont en général très positifs, « festin, régal, mets succulent » etc. , comme ceux du dériver  fricoter « faire bombance; manger avec plaisir ». L’Académie française  l’admet dans son dictionnaire de 1878.

Le sens « régal »  également  parisien a été transformé à Sète en  « une pêche miraculeuse ».

Pour l’étymologie voir fricot  dans le TLF. Latin frigere « faire cuire » qui avec le verbe coactiare a donné  fricasser. Ensuite fricasser a été  compris comme un dérivé en –asser  et à partir de la racine  fric-  a été créé fricot, fricoter, fricandeau, fricadelle  comme  fricous  « friand » à Pézenas.

La suite est dans l’article « fricadelle  » en bahasa indenesia

 

 


  1.   d’après R. Covès,  Sète à Dire, p.131

Frigoulo, farigoulo

Frigoulo « thym », vient du latin fericula un dérivé de ferus « sauvage ». Un mot typique pour la région autour du golfe de Lion, cf. catalan frigola,  et  l’ancien occitan ferigola.

Normalement  fericula aurait dû aboutir à *fericla, mais c’est  peut-être sous l’influence des moines qui s’occupaient beaucoup des plantes médicinales et du latin, que l’évolution de la forme a été ralentie. Michel Chauvet me fait savoir que le mot se retrouve dans les parlers italiens (Penzig, Flora popolare italiana) :

Liguria : Ferrùgera (Bordighera); Ferùgula (Mortola); Ferigola, Frùgola, Figoli (Nizza); Frùgola, Furùgola (Escarena)… En italien, ces formes sont normales, l’accent étant sur la syllabe précédant le o / u. Pourrait-ce être une influence italienne, et alors pourquoi ?

En languedocien nous trouvons aussi le dérivé frigoulous « terre en friche rempli de thym ». Un autre dérivé, frigoulo, ou frigouleto  désigne le « serpolet » qui est très proche du thym. Depuis le XVIe siècle la férigoule se trouve dans des textes français mais toujours avec une référence au Midi, par ex. Pierre Larousse : « farigoule  nom du thym dans le midi de la France ». Il y a beaucoup de noms de lieu, par ex. :

L’abbaye St. Michel de Frigoulet. Magnifique!

Une recette trouvé sur internet : « Fricassée de volaille au pèbre d’ail et farigoule ». C’est devenu un nom de magasins, restaurants etc.

thym         serpolet

D’autres noms pour le thym pebrada, serpol, voir Thesoc.

Furo, furar

Furo « souris ». Le sens attesté du latin fur, furis est « voleur », mais le fait que le dérivé latin furo, furonis  signifie « furet », nous permet de supposer que fur signifiait également « furet ».

Le furet est un putois domestiqué. Il y a des élevages de furets! L’animal a été importé en Espagne pour la chasse au lapin et ensuite en Pays d’Oc.

En occitan il y a deux formes : fura « furet femelle », comme en catalan, et le dérivé furet. En languedocien le sens de  furo a été transféré sur la « souris » et les dérivés furé ou fureto  désignent également une « (petite) souris ».

Furar « fouiller ; fureter ; chasser au furet » du verbe latin furare « voler ». En ancien occitan furar signifie « dérober ». Les sens   actuels se sont développés sous influence de fura « furet » et ses dérivés. Le subst.m. fur « action de fouiller, perquisition » est dérivé de furar.

Spéciaux sont les verbes entrefura qui  se dit dans l’Aveyron du furet « lorsqu’il est enfermé dans un terrier par le lapin blessé qui bouche la voie » et  furetéja « chasser au furet ».
L’italien furetto, l’allemand  Frettchen et le néerl. fret ont été empruntés au français. En espagnol hurón et pg. furão nous trouvons le type lat. furo, furonis « furet » qui est également connu en occitan depuis le moyen age :  furon, furoun.  Le verbe furenejar « puer » (Alibert) est un autre dérivé du lat. furonem.  Le sens par contre est dû à une confusion entre le furet et le putois, qui lúi répand une odeur infecte.

        

1.souris 2.mulot 3.putois 4.furet

Fustet

Fustet « sumac ». Etymologie : arabe fustùk « pistachier ». En ancien occitan est attesté  festuc « pistache », mot repris par  Rabelais qui le nommait festique, peut-être sous l’influence de l’occitan faouviq ?

Pour  l’étymologie, je cite le TLF : Empr. à l’a. prov. fustet « id. » (XIVe s., Evang. de l’Enfance ds RAYN.; cf. aussi LEVY (E.) Prov.; cf. prov. mod. fustel cité ds FEW t. 19, p. 49a), lui-même empr. au cat. fustet (dep. 1249 ds ALC.-MOLL), empr. à l’ar. fústuq, fústaq « pistachier ».

Pour une description voir  l’Encyclopédie des Arts et des Métiers.

Une des premières attestations vient des livres de comptes des frères Bonis : marchands montalbanais du XIVe siècle. 1e partie / [par Barthélemy et Géraud Bonis] ; publiés et annotés pour la Société historique de Gascogne, par Edouard Forestié,..  Je n’ai pas consulté ce livre qui doit être très intéressant pour ceux qui veulent en savoir plus, parce que le fustet est le  sumac qui fournit une matière tincturale jaune et qui est encore utilisé de nos jours pour ses excellentes qualités. La différence est  que l’extract  s’appelle maintenant  RETAN-BLK-M ou TSK , c’est plus moderne…
Voir aussi Falbe ci-dessus, et rodo ou redoul .

Le transfert de sens de pistachier > sumac s’explique par leur ressemblance. Ils appartiennent tous les deux à la même famille des Anacardiaceae

 

pistachier                                                                         fustet