cat-right

Gos

Gos, gous « chien ». Dans beaucoup de langues il y a un genre d’onomatopées pour exciter ou appeler des chiens qui consistent dans les sons k et s, avec ou sans voyelles entre ces deux sons : en suisse-allemand ks-ks , néerlandais koest  ( du français couche-toi  en parlant aux chiens mais je me demande pourquoi les Néerlandais parlent français aux chiens??) , espagnol cuz-cuz (?), allemand kusch, occitan cuss-cuss, gous-gous, ou guiss-guiss. A partir de ces sons a été créé le verbe agoucer « exciter (un chien) » d’ou le dérivé gos, gous « sorte de chien », attesté depuis le Moyen Age en wallon, picard d’un côté et en occitan à l’ouest du Rhone (Thesoc: Ariège, Aude, Hte Garonne, Hérault, Pyr-Orientales , Prov. d’Huesca; d’après les dictionnaires cités par le FEW aussi dans l’Aveyron, le Cantal, le Limousin, le Périgord et en Béarn).

Un visiteur précise:

Mes interlocuteurs en occitan (ils se font rares) prétendent (à Pézénas) que le mot « gos » vient de la montagne, tandis que le mot « chin » serait le plus courant en plaine. Cela ne les empêche pas de dire « ai una canha de gos« , m. à m. « j’ai une flemme de chien » ou encore « Es coma la gossa de Cacari » (i accentué). J’ignore qui était ce Cacari mais il devait avoir une chienne particulièrement paresseuse.

Malgré l’attestation à Prades gousa « jeune fille qui court après le garçons », les étymologistes ne croient pas que le mot  français gosse « enfant » a la même étymologie, mais on n’en a pas encore trouvé l’origine. La dernière proposition est le suédois! Voir TLF

                             
gos
d’Obama            capitules                        orlaya                   renoncules

Le mot occitan gos, gous a été transféré à des outils : ancien occitan gosa « machine de guerre » (laquelle ou une interprétation fausse  ?), Aveyron engoussos « machine pour assujettir un fuseau dont on dévide la fusée »(image?) et à une série de plantes: gousses « capitules de la bardane » (Carcassonne), gousséts « cynoglosse » (Pamiers, goussés « orlaya grandiflora » (Aude), mais en Lauragais ce sont les « fruits du renoncule des champs ».

L’après le FEW, suivi du TLF le mot français  gousse  serait un emprunt à l’occitan. Une proposition de Sainéan. Suivez ce lien.

Gorp

Gorp s.m. « corbeille, panier, hotte » du latin corbis « panier » est limité à l’occitan et au francoprovençal, mais subsiste aussi en italien corba et espagnol corbe. La forme au féminin se trouve aussi en frpr. et en provençal. A Marseille gouerbo « corbeille d’éclisses ».

De nombreux dérivés ont été formés àl’aide des suffixes -ella, -ellu, -one, -ittu : garbella « corbeille en jonc; laiche = une plante des marais »,

garbelon, grobeta, gourbelin « petit panier » (Alès) etc.
Dans le Centre, en bourbonnais, dans l’Auvergne et le Forez gorba et ses dérivés ont pris le sens de « tas, tas de gerbes, grosse meule » probablement à partir du sens « contenu d’une gorbe« .
Dans le Cahors et l’Aveyron nous trouvons un gorbi, gouorbi « panier de somme » qui repose sur un étymon corbis +-ium qui a donné en basque gorbia « charrette avec un réceptacle rond en osier ».

Les mots allemand Korb, néerlandais korf « panier » sont empruntés à l’italien, basque khorbe « crèche pour animaux » à l’occitan.

Galinetta

Galinetta « coccinelle; clavaria flava (champignon) » est un dérivé de galina « poule » du latin gallina « id ». D’après ma source le claviaria jaune est le flava, le rouge est le botrytes. Mes connaissances en mycologie sont très limitées, mais je ne serais pas étonné si la galinetta est le « clavaria botrytes ».

 galineto dâou bon Diou (S) galinolo « coralloïde » (S)

L’histoire de gallina est un excellent exemple des avantages de la méthode du FEW.  Gallina « poule » est conservé dans presque toutes les langues romanes : roumain gaina, italien gallina, catalan et espagnol galina, portugais galinha, et en gallorman geline (ancien français), galino (languedocien). A partir du XIIIe siècle, on commence, notamment à Paris, à utiliser le mot poule au lieu de geline. La raison est probablement ce que nous appelons aujourd’hui le « marketing » : une poule « jeune geline » se vend mieux qu’une geline dont on connaît pas l’âge.

De nos jours l’histoire se répète. La poule a vieilli. C’est bon pour la soupe. Il n’ y a que des poulets sur la broche! Il est abattu entre 42 et 45 jours, c’est la loi. Pourtant dans la tradition la geline reste poulet jusqu’à 70 ou même 90 jours.

Un poulet  est « Petit de la poule et du coq, mâle ou femelle, entre le moment où il perd ses duvets au profit des plumes, et le moment de sa maturité sexuelle.  » TLF.

Dans les menus des restaurants néerlandais par contre on vous propose des kip(petjes)« petites poules » ou des haan(tjes) « coquelets », en Allemagne des Hänchen etc. En Espagne toujours un pollo.

Le pourquoi du transfert du nom de la poule sur la coccinelle ne m’était pas clair. On le retrouve en picard galline, à Nice galineta et en Italie dans le Valle Anzasca galining della madona. Il n’est pas impossible que la couleur rouge ya joué un rôle . Le mot coccinelle vient du latin coccinus adj. « d’écarlate » dérivé de coccum « kermès, espèce de cochenille qui donne une teinture écarlate; écarlate », en raison de la couleur des élytres de l’insecte. (TLF). Et bas latin coccus signifie « coq » animal caractérisé par sa crête rouge. Une association du sens « rouge » et de la forme « coc- » a pu être à l’origine de galino. Il est à noter que galino désigne à Marseille et à Nice le poisson rouge « trigla lyra », galinetto en provençal.

Mais l’histoire de la coccinelle est beaucoup plus complexe que je ne croyais. A ma demande Mme Jeanine Medelice, professeur à l’université de Grenoble, m’a envoyé une copie de son article Les désignations de la coccinelle dans les dialectes romans de France: commentaire des données retenues pour le dossier 08.126 de l’A.L.E. paru dans le Bulletin du centre de dialectologie, II (1986),119-136. Je la cite:

« La coccinelle est un petit animal bénéfique auquel les croyances populaires prêtent de nombreux pouvoirs : prévision du temps, prédiction de mariage … Favorite des enfants, elle est présente dans de nombreuses comptines et de nombreuses formulettes qui ont fait l’objet de tout aussi nombreuses études. » Plus loin : « l’élément primordial dans la dénomination de la coccinelle est son lien avec tout un ensemble dont le dénominateur commun est le notion de « sacré ». Coccinelle = bête à bon Dieu.

Les deux éléments de bête à bon Dieu , néerlandais lieveheersbeestje, peuvent être remplacés par des éléments sémantiquement proches: bête devient poule, petit pinson, mouche, perdrix ou galinette; le bon Dieu devient le paradis, Sainte Cathérine, catarineta (Fourques,Gard)etc. Allemand Marienkäfer. Par raccourci la galinette du bon Dieu devient la galinette tout court.

Mme J.Medelice ne disposait pour l’occitan que de l’ALF, de l’Atlas linguisique du Massif central, celui de la Gascogne et celui de l’Auvergne et du Limousin. Maintenant nous pouvons consulter les autres grâce au Thesoc. Mme Medelice a établi 5 catégories:

  • 1) La coccinelle et le sacré
  • 2. Les prénoms
  • 3. Les métiers féminins
  • 4. Le monde animalier
  • 5.Les désignations incantatoires [onomatopéïques] : a) pures [comme bab-, barb-] b) l’impératif incantatoire [ type nom + vole].

En consultant les données du Thesoc, vous verrez qu’elles rentrent (presque) toutes dans une de ces catégories. Je retrouve par exemple l’élément incantatoire dans le nom devinola (Aveyron, Thesoc).

D’après un artcile dans Wikipedia,  la coccinelle était l’oiseau de la déesse Freya : Freyafugle, ce qui a donné en allemand après la christianisation: la bête à Marie > Marienkäfer, anglais ladybird. De nombreux noms dialectaux flamands et néerlandais dans cet article de Wikipedia. L’article allemand est encore plus complet. Dans le chapitre Der Marienkäfer und der Mensch l’auteur donne beaucoup de variantes.Et il raconte que la plus ancienne attestation de la coccinelle comme porte-bonheur date de 20.000 ans . Il s’agit d’une coccinelle de 1.5 mm taillée dans de l’ivoire de mammouth , trouvée à Laugerie Basse en Dordogne.

trygla lyra _galine   
galine(tto
) en provençal         et                       galino ou dourmiliouso en languedocien

Je dois avouer qu’il n’est pas toujours évident de retrouver les motivations des noms d’animaux et de plantes. Par exemple à Barcelonette et ailleurs la gelineta est la « Lampsane commune, appelée aussi Grageline, Herbe aux mamelles, Graveline ou Poule grasse » (Voir ce site. )  

D’après le dictionnaire Panoccitan, l’occitan aurait conservé la situation ancienne galina « poule » et  pol « poulet » mais d’après le Thesoc c’est plutôt le mot  pola  que les gens utilisent. D’ailleurs le FEW a constaté en comparant les données de l’ALF aux dictionnaires plus anciens,  que  le progrès de poule « poule » au détriment de galina était déjà remarquable au début du XXe siècle . J’ai vérifié avec le Thesoc, pour le Gard. Dans ce département galino est largement gagnant, mais il est curieux que des villages comme St-André de Valborgne et Camprieux qui sont très conservateurs en général, présentent le type polo. Une explication sociologique à trouver? S’agit-il d’une reconquête de l’occitan ou d’un gallicisme?

Gafa, gafar

Gafa « davier de tonnelier »c’est-à- dire une sorte de tenaille pour faire entrer les cerceaux du tonneau, appelée aussi « tirtoir »ou « chien ».

Gaf- « crochet », gafar signifie « gaffer ; mordre, harper; accrocher, suspendre; attraper; coller ». Alibert donne plusieurs dérivés avec des sens qui s’y rattachent, comme par exemple gafarot  « grateron, glouteron ;  les graferots   « fruits de la bardane » sont  nommés ainsi parce qu’ils s’accrochent aux vêtements ou aux poils des bêtes. D’autres formes: galafot (Puisserguier), galafoch (S). Gafarot  signifie d’après Alibert aussi « passeur de rivière » , mais ce gafarot  fait partie d’une autre famille de mots; cf. gafa « gué »

  gafa « crochet » gafarot   crochets

La famille de mots gaf- avec le sens « saisir » et ses dérivés est indigène dans le sud de la France jusqu’à la Loire.  Nous retrouvons cette famille de mots en catalan et espagnol gafa « crochet », esp. et portugais gafar « saisir ». La zone de répartition correspond à celle où la langue des Goths a influencé la langue romane indigène. Nous pouvons donc supposer un lien avec les mots germaniques Gaffel « fourche », anglais gaffle,  néerlandais gaffel .  Il faudra supposer un verbe   germanique *gaffon « saisir avec un crochet » créé à partir d’une racine *gaff-.

En allemand moderne le mot pour « fourchette » ou « fourche » est Gabel, mais aussi Gaffel dans certaines régions, qui a la même origine, comme Gaffelseil un type de voile de bateau et un Gaffelschoner un type de voilier. Cf. aussi anglais gable roof  « toit à pignon ». Dans le grand dictionnaire de l’allemand fait par les frères Grimm au XIXe siècle  est écrit que dans l’histoire du mot gab-, gaf-  nous trouvons un élément important de la préhistoire européenne! En effet on retrouve cette famille dans le celtique et dans le finlandais et les objets à base du crochet qu’ils désignent  sont essentiels dans beaucoup de métiers. .

gaffelaar       gaffel
Un gaffelaar du Brabant ou de Zeeland (NL).             Le gaffelzeil « voile gaffel » tient au mât par une fourche.

Le sens « maladresse » dans l’expression faire une gaffe , attestée depuis Larousse 1872, a été emprunté au langage des matelots pour qui la gaffe est « une perche garnie d’un crochet latéral pour pousser une barque, tirer quelque chose à bord etc. » et fait donc partie du même groupe. Peut-être qu’un matelot peut nous renseigner sur cette évolution sémantique?? Une gaffe utilisée maladroitement , c’est comme un croche-pied! Et si une gaffe peut servir à « pousser » comme à « tirer à bord », faire une gaffe peut bien devenir le contraire de ce qu’on veut faire  « une maladresse ». Dans le site du ‘TLF je trouve la suggestion suivante: « peut-être par allusion aux brimades auxquelles sont soumis les débutants ou les mousses. »

Le sens du mot anglais gaffe  « a silly mistake » (XIXe s., comme l’expression française ) correspond exactement au sens du mot français faire une gaffe « maladresse ». Il est difficile à admettre que l’étymologie proposée par les dictionnaires anglais gab « bavarder » soit juste, d’autant plus qu’il s’agit d’une expression marine!   Douglas Harper   écrit : « gaffe – « blunder, » 1909, from Fr. gaffe « clumsy remark, » originally « boat hook, » from O.Fr. gaffe, from O.Prov. gaf, probably from W.Goth. *gafa « hook, » from P.Gmc. *gafa. Sense connection is obscure. The gaff was also used to land big fish.  »

En restant dans le domaine maritime, le PDG de BP, Tony Hayward, est un gaffe-proner d’après le NewYork Times du 4 juin 2010 . Proner est probablement un emprunt au moyen français prone « porté vers, enclin » attesté depuis l’ancien français vers1173, du latin pronus  » penché en avant; enclin à ».

gaffe_proner
gaffe-proner

Faire gaffe  Le mot français gaffe dans l’expression faire gaffe par contre est d’origine argotique. La première attestation date de 1455, gaffre « gardien, sergent » , mais il ne réapparaît dans les textes et les dictionnaires qu’au XIXe siècle : le gaffe  » le guet », être en gaffe « aux aguets » et  le verbe argotique gaffer « guetter »,  en français moderne faire gaffe.

L’origine est probablement le mot allemand Gaffer « quelqu’un qui regarde la bouche et les yeux grand ouverts », du verbe gaffen « regarder fixement la bouche ouverte ». L’expression faire gaffe veut bien dire « bien regarder, les yeux grand ouverts ».  Il n’est pas improbable que le mot a été emprunté une deuxième fois au XIXe siècle au lieu de continuer l’ancien gaffre.

Le mot anglais gaffer « supervisor » gaffer – 1589, « elderly rustic, » apparently a contraction of godfather; originally « old man, » it was applied from 1841 to foremen and supervisors, which sense carried over 20c. to « electrician in charge of lighting on a film set. »  pourrait bien avoir la même origine.  Je ne vois pas très bien comment godfather  peut être prononcé  gaffer  en anglais comme le propose  Douglas Harper et autres.

Le sens moderne s’est spécifié dans le monde du cinéma : « le chef de l’éclairage dans un film ou studio TV ».  Vous le verrez dans les génériques. Un faux ami pour les Français.

Margot

Margot signifie « pie » dans des parlers de l’Allier, des Bouches-du-Rhône; la Drôme et de l(Hérault.

On peut se demander quel rapport peut-il y avoir entre une pie et les nombreuses autres sens comme  un ersatz pour le beurre, une jeune fille, une pâquerette, la Reine Margot, une coccinelle, une mitrailleuse, une perle et un cordage maritime? V

                                     

L’histoire du mot latin margarita telle qu’elle est racontée par Walther von Wartburg  dan s le FEW montre clairement à quel point sa conception de l’étymologie est riche d’enseignements. En partant de l’étymon, l’histoire de chaque mot est racontée et expliquée  dans son contexte géo-linguistique et social.

Dans un dictionnaire étymologique ordinaire vous trouverez quelque chose comme margot « pie, du nom de jeune fille Margot forme abrégée de Marguerite du latin margarita « perle »  empruntée au grec. Éventuellement l’auteur rattache le mot grec à une racine indo-européenne et au Sanskrit parce que les Grecs ont importé les perles de l’Inde.

Dans le FEW par contre vous trouverez dans l’article margarita « perle » tous les mots, toutes les formes et toutes les significations qui se sont développées en galloroman et très souvent dans les autres langues romanes et germaniques. Pour avoir une idée de la richesse du FEW regardez la page que j’y consacre.

Le mot latin margarita « perle » est emprunté au grec. Il  est venu de l’Inde avec la chose au temps de Cicéron, premier siècle  av. J.-C. Les Romains adoraient les métaphores et ils ont dû faire comme nous en faisant un compliment à leur femme « margarita  es ! » Macrobe dit que pour l’empereur Auguste margarita était un terme de tendresse. Plus tard ils ont donné le nom Margarita à leurs filles. Sainte Marguerite d’Antioche (IIIe s.) par exemple est devenue très populaire.

                                                Sainte Marguerite d’Antioche

Tellement populaire que de nom propre Margarita est devenu nom commun *margarita « jeune fille ». Margot devient margot « femme » ou « jeune fille ». Par la suite nous constatons une évolution sémantique « femme » > « femme de petite vertu ».  Cette évolution est récurrente. En français le mot  fille par exemple a pris ce sens  depuis François Villon dans l’expression  « aller voir les filles ».   A partir du XVIe siècle nous avons des attestations sûres de margot ‘ femme ou fille de petite vertu’, transformé plus tard en margoton, puis goton.

J’ai l’impression en parcourant les définitions données pour margot  « fille peu modeste, drôlesse, d’humeur galante; petite personne sans conséquence,  de moeurs relâchées » etc. que le mot margot a une nuance affective. En néerlandais également Margriet abrégé en Griet est devenu nom commun griet ‘femme, fille’, comme  en allemand Gretchen  peut signifier « jeune femme ».

Déjà au XIVe siècle est attesté margot avec le sens « pie », bien avant que Jean de La Fontaine publie sa fable de Margot la pie (1694) et ce sens est bien vivant dans les patois.  Emprunté par le breton margot ‘pie’ et par l’anglais magpie. Alibert donne la forme margassa ‘pie-grièche’ qu’il fait venir de darnagas  « pie grièche », mais je pense qu’il s’agit plutôt d’un dérivé de margot avec changement de suffixe. La pie grièche est un oiseau soi-disant ‘cruel’.

margot ‘femme bavarde’ n’est attesté que depuis 1803, mais a dû exister bien avant cette date. L’argot anglais mag est associé au bavardage des femmes depuis 1410 au moins dans l’expression : Magge tales ‘nonsens’; magpie ‘pie’ depuis 1605.

Margarita ‘perle’. Il faut faire un pas en arrière. Le français et l’occitan sont les seules langues romanes où margarita a gardé le sens ‘perle’ : ancien français margerie et ancien occitan margarida. Il est passé en ancien anglais margeri perle, et toujours utilisé comme prénom Margery. Un sens figuré existe dans l’ Aveyron : morgoridos ‘appendices charnus de la chèvre’. Et Mistral donne comme languedocien l’adjectif margaridat pour une chèvre ‘qui a le cou mamelonné’.

morgoridos   Margery  bourgeon

Au XIIIe siècle margarite avec le sens ‘perle’ est de nouveau été empruntée au latin, mais le mot est fortement  concurrencé par perle. Nous ne la retrouvons que dans la vieille expression « Jeter des marguerites aux/devant les pourceaux », une référence à la Bible et en particulier à l’Evangile de Matthieu où l’on peut lire : « Ne donnez pas aux chiens ce qui est saint et ne jetez pas vos perles [dans la traduction moderne]devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et se tournant contre vous, ne vous déchirent ».  Pour connaître les expressions correspondantes dans d’autres langues, cliquez sur ce lien.

Détail du fameux tableau Proverbes flamands de Pieter Brueghel l’Ancien

Le mot perle a remplacé marguerite  parce que marguerite signifie aussi »‘pâquerette » depuis le XIIIe siècle et plus tard « la grande marguerite » probablement par comparaison des bourgeons des pâquerettes ou des marguerites qui ont un aspect nacré, à des perles.  Voir la première image ci-dessus. Au XVe -XVIe siècle on distinguait la petite marguerite, occitan pitchouno margarido (Toulouse) de la marguerite / margarido tout court (leucanthemum vulgare). Ensuite la pâquerette devient la margarideto.

Avec différents adjectifs le même nom a été donné à bien d’autres fleurs. Le transfert sémantique de margarita « perle » > « fleur » s’est répandu dans toutes les langues romanes et même au delà : italien margheritina, espagnol et portugais margarita, catalan margarida, anglais marguerite (maintenant daisy), néerlandais margriet.

Reste la margarine. Je copie ce que j’ai trouvé dans un site sur le chimiste français Chevreul qui l’a inventée:

  margarine.

Il débuta par l’examen d’une substance obtenue en délayant le savon de la graisse de porc dans une grande masse d’eau. Une partie se dissout, une autre se précipite en petites paillettes brillantes, sorte de matière nacrée. Cette matière nacrée, attaquée alors par l’acide muriatique, se sépara en chlorure de potassium, et en un autre corps composé fusible vers 56°, qu’il proposa d’abord de nommer margarine, du grec margaritha perle’. La matière nacrée constituait sa combinaison avec la potasse. L’existence de ces composés soulevait un problème non moins général et inattendu, celui des acides organiques insolubles dans l’eau. Or l’existence d’un acide de ce genre parut si extraordinaire, si contraire à tous les faits alors connus, que Chevreul hésita d’abord et n’osa se prononcer. Ce ne fut que plus tard, après avoir préparé et étudié les sels de composition définie que ce corps formait avec les alcalis terreux et les oxydes métalliques, que Chevreul se décida à changer le nom de margarine en celui d’acide margarique. Ce nom aurait dû rester dans la science ; mais par suite de cette manie, trop fréquente dans les sciences naturelles, de démarquer le linge de ses prédécesseurs, on a remplacé le nom d’acide margarique par celui d’acide palmitique » .http://hdelboy.club.fr/Chevreul.html

  Le cocktail Margarita doit être servie dans un verre à margarita givré au sel fin.  ce qui donne un aspect nacré au sel.

Dans le roman historique Les Roses de la vie  Robert Merle.  utilise régulièrement l’expression à la franche marguerite « franchement, sans détours » qui est attestée depuis le XVIe siècle. En occitan a la franco margarido. L’expression semble encore être vivante en Suisse romande. L’origine est inconnue. Peut-être est-elle liée à la vieille tradition d’effeuiller une marguerite. :  A chaque pétale arraché correspond un sentiment d’un homme ou d’une femme : « Il/elle m’aime un peu – beaucoup – à la folie – passionnément – pas du tout ». Au dernier pétale arraché correspond la réponse à la question « m’aime-t-il ? ». La réponse est a la franco margarido.

effeuiller une marguerite

Margaridelhas. Un dernier exemple du riche développement de  margarita : ‘je trouve le dérivé suivant: margaridelhas les « 4 rondelles de l’enclumette » . (Alibert)

margaridelhas