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tougno, tougnol "pain de maïs"

Ci-dessous un tougnol moderne de l’Ariège, photographié par La dormeuse à Mirepoix.

tougnol Mirepoix

C’est un article de La dormeuse qui m’a poussé à écrire cet article:

C’est ce tougno qui m’intéresse ici, car, quoique dans une version améliorée comme celle du millas, déguisée, parée, toute faite de lait et de sucre, et de graines d’anis, il se mange toujours à Mirepoix, sous le nom plutôt audois de tougnol.La tradition veut que le tougno ait été au temps de la croisade le pain des Cathares, i. e. celui que les Bonshommes et les Bonnes Femmes portaient dans leur sac et, commémorant ainsi le dernier repas du Christ, partageaient en tant que compains sur leurs chemins d’infortune. “Insipide, lourd et sans levain”, ce pain-là depuis longtemps ne se trouve plus. Le tougnol actuel relève de la pure friandise. Ce qui compte toutefois, aujourd’hui comme hier, c’est de se souvenir qu’on ne se nourrit pas seulement de pain terrestre, mais aussi de symboles.

Alibert propose la graphie tonha « pain de maïs ou de seigle ».    Mistral écrit Tougno  voir tonio dans son Trésor:

Le lien sémantique entre « femme stupide » et « pain de maïs » n’est pas facile à établir.  Aussi le FEW les a considérés comme homonymes. Pour tougno  « sorte de pain » il suppose une base onomatopéique to(u)gn- qui a abouti à un verbe tougnar “presser, du poing, tasser, frapper” , le dérivé entougnà “emplir en pétrissant” et au figuré le substantif tougne avec les sens “bosse, bigne; motte épaisse plus ou moins ronde, petit pain rond”. Tout cela en béarnais. Dans le Val d’Aure capitougno s.f. “grand pain” et en aragonais toña grand pain de seigle”1 .

Alibert  a eu raison de faire un deuxième  article tougno  et il a aussi changé la  graphie : tòni m.  tònia  f. « Pierrot, coiffure de femme; benêt; nigaud; étron; ver des châtaignes ». Tonias, toniet  « id. »  Etymologie latin Antonius. Voir l’article Tougno « Antoinette ».

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  1. Alibert propose :du latin tundia  de  tundere ‘battre à coups redoublés » d’où « pétrir »,  mais ce tundia n’est nulle part attesté

Gandole ‘rigole’

Gandole « rigole  de la rue » (Manduel). Etymologie : gandole  vient de l’italien gondola « bateau plat  dont la proue élancée se recourbe  en  dehors, en usage à Venise » attesté en français depuis  1550. Pour l’abbé de Sauvages (S2)  une gandolo est « une tasse », sens également attesté en moyen français en 1589, mais bien plus tôt en ancien occitan à Avignon en 1412  gandole m. « pot, cruche ». Ci-dessous l’article correspondant  dans le Trésor de Mistral, qui contient tous les emplois au figuré de ce nom de bateau.

gandolo dans Tresor MistralL’étymologie du vénitien gondola est très probablement le grec κονδυ (kóndy) « vase à boire ».  La forme gandola  s’explique selon le FEW par l’influence de la famille de  mots comme languedocien sé gandi  « toucher au but, arriver » qui viennent du gotique *wandjan « tourner », mais je pense qu’il s’agit plutôt d’une simple dissimilation gondolo avec trois -o-  > gandolo.

L’évolution sémantique  « vase, pot, cruche » > « bateau » se retrouve dans bien d’autres cas.  Voir dans la définition de Mistral : « sorte  de vaisseau à boire.. »

Une autre évolution sémantique,  « vase, cruche » > « objet de peu de valeur » se trouve dans le sens « mauvais chien »  attesté à Champsaur par Claudette Germi.  Dans la même catégorie Mistral donne « personne qui néglige sa mise; paresseux ».

Un visiteur du Québec  m’écrit

Bonjour, je suis originaire de Thetford Mines à 100 km au sud de la Ville de Québec. Dans ma famille, nous utilisons l\’expression « en gandole » au sens de négligé (propriété, appartement, maison en gandole). Mes collègues de travail originaire de Québec et Victoriaville ne connaissaient pas l\’expression. La recherche internet m\’a conduit à votre propos. Je comprend que cela origine du grec? Salutations

Je lui ai donné le lien vers le FEW qui confirme  le sens « objet usé » pour le poitevin. FEW II/2, 1028

un vaisseau à boire ?

Le sens que j’ai mis dans le titre de cet article était  encore vivant à Manduel (Gard) au XXe siècle.  Mon  informateur pour Manduel m’a écrit :

…en effet je t’avais parlé du mot « gandole« , mais il y a longtemps. Il y a encore plus longtemps que ça, ma mère me racontais qu’une grand-mère envoyant sa petite fille faire des courses à l’épicerie lui avait fait cette recommandation en français (il ne fallait pas parler patois aux enfants qui allaient à l’école): « Fais bien entention en virant le canton de pas mettre ton pied dans la gandole ».

Je lui ai demandé si  entention  était bien la forme utilisée à Manduel. Il m’a répondu:

Non on ne disait pas entencioun à Manduel mais (normalement) atencioun. C’est la grand-mère qui s’évertuait à vouloir parler français à sa petite-fille.

C’est l’histoire de la langue occitane.

Vous trouverez d’autres propositions  étymologiques dans le Dizionario etimologico

Je suis un peu étonné que personne a supposé que le mot gondole avec le sens  « tasse, pot, cruche »   a été introduit directement en  occitan par les Grecs. Cela est probablement dû au manque d’attestations antérieures à   1412.   Ce qui veut dire qu’il y a encore du travail à faire.

Mounine ‘guenon’

Mounine  s.f.  « Sexe de la femme » est un dérivé de mona « guenon ». L’étymologie de mona  est l’arabe maimun  « singe », mot introduit dans presque toutes les langues romanes par le commerce des singes.:  italien maimone, catalan  gat maimó, móna,   espagnol et portugais  mono, mona,  italien et espagnol monina.  Les deux mots monne  et monine  ont aussi existé  en français. Cotgrave (1611)  écrit:L’évolution de la forme  maimon  attestée en ancien occitan (1339)  vers mona  s’explique par la chute de la première syllabe sentie comme une réduplication.

La première attestation de monina  (1470) vient  du provençal (Avignon) et ce dérivé est surtout répandu dans le domaine occitan.

Plusieurs sites  marseillais donnent uniquement  le  sens « sexe de la femme1« . Couillon de la mounine « Simple d’esprit »: « Vé le, ce couillon de la mounine qui fait pas la différence entre un 51 et un Casa ». Variante : moumoune.

Ci-dessous l’article mounino  de Mistral, vous voyez que le sens du mot a évolué depuis le 19e siècle :

 

Dans son article enserta « greffer »  il cite en plus l’expression enserta ‘no mounino « reboire avant d’être dégrisé ».

la calanque Mounine

Mona, monine  et les autres dérivés de maimun  « singe » se trouvent dans tout le domaine galloroman. Pour le moyen français voir 6 articles dans le DMF.  D’après la classification du FEW XIX, 115  il y a dans les parlers galloromans  une douzaine de significations:

  1. figure ou femme laide, par ex. béarnais moune
  2. grimace, boudeur, maussade, par ex. dans le Tarn mouná « bouder », Pézenas mouniná
  3. fantôme  dans le Périgord mounardo « mort »
  4. enfant, jeune  par ex. Paris  mounin  « petit garçon, apprenti »
  5. sexe de la femme  par ex. dans le Rouchi et en argot moniche
  6. vieille vache, par ex. dans le Cantal mona  « vieille vache qu’on engraisse »
  7. ivresse, par ex. Alès mounino,  Montpellier carga la mouninà  ‘s’enivrer »
  8. sourd
  9. nigaud, par ex. à Lyon mounin  « sot, nigaud »
  10. poupée , par ex. à Lescun mounáko
  11. chatte , par ex. à Toulouse mouna, à Barcelonnette mounet, en Limousin  mounasso
  12. autres animaux , par ex. en provençal  mouno  « gadus merlangus », mouna  à Nice et à Palavas.

Toponymie. Devinez quel sens est à l’origine du toponyme.  Un indice →   Calanque Mounine (très belle photo par Amodalie).

Un visiteur me fait parvenir un jolie légende sur l’origine du même toponyme situé cette fois dans l’Aveyron, le Saut de la mounine  :

Vue sur le château de Montbrun au Saut de la Mounine.JPG
« Vue sur le château de Montbrun au Saut de la Mounine » by Daniel CULSANOwn work. Licensed under CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons.

Une jolie histoire à insérer, si cela vous semble opportun, après l’article « mounine » (j’y suis allé en vacances, à Saujac; c’est à côté de Cajarc, là où on trouve le célèbre « Moulinot » de Coluche… c’est pour ça que « mounine », que je n’avais jamais entendu avant, me parle) :

En suivant la D 24 vers Saujac, on débouche en haut d’abruptes falaises (enface, le château de Montbrun et un large méandre du Lot). Le saut de la Mounine tire son nom d’une vieille légende. Un ermite, au retour d’un pèlerinage à Compostelle s’était retiré dans une grotte en compagnie d’une mounine (une guenon). Le sire de Montbrun ne pouvant accepter l’amour de sa fille Ghislaine pour le fils de son pire ennemi jure qu’il aimerait mieux la voir se précipiter dans   le vide. La fille vint confier ses malheurs à l’ermite. Celui-ci sacrifia la guenon vêtue des habits de Ghislaine, en la  précipitant du haut de la falaise, pour simuler sa mort. Le châtelain est bouleversé à la vue de la dépouille qu’il croit être de sa fille. Le stratagème dévoilé, il accorde le pardon et sa main au  jeune galant.

 

 

  1. Voir par exemple  Les Cahiers du Sud, dico de Marseille;  Mounine  dans le site La Joie des mots

Gram, agram "chiendent"

Gram, agram, grame « chiendent » vient du latin gramen1.  Dans le Gard et la Vaucluse nous trouvons le dérivé gramenas  (cf. le Thesoc) .

Le nom garan, garame, garamp  a pris le sens « corde, ficelle »  à l’est du Rhône, probablement parce que les racines du chiendent ressemblent à des cordes. La même formation se retrouve en suisse-allemand  schnurgras  littéralement « herbe à corde ». A Barcelonnette  on se servait d’une corde pour châtrer des animaux  gramar.

La première attestation en ancien occitan date du XIVe siècle.  Solerius  écrit en 1549  que les Dauphinois, les Provençaux et les Gascons ont gardé le noms latin et que les Gaulois l’appellent « dent à chien » :Gramo  et gramenas  se trouvent aussi comme toponymes. Gran, gro   « terre inculte » dans le Quiberon. Voir Pégorier.

Alibert considère  grambòt « détritus végétaux que le mer rejette » et « court-bouton en forme de coin » comme des dérivés de gramp.  Surtout le second sens est difficile à expliquer.

 

 

  1. La répartition géographique, Italie, Catalogne, Espagne, Portugal,  Corse, et le domaine occitan, permet de supposer que le sens « chiendent » a déjà existé en latin

Brouffade, broufado

Broufade ou brouffade du provençal broufado d’après Wikipedia. Dans les Additions au second volume de son Trésor1, Mistral nous renseigne:

Vous trouverez de nombreuses recettes sur le web.

Mistral connaît un verbe broufa :

Il semble que le plat revient à la mode. En tout cas ma femme a récemment trouvé une recette dans une revue locale, avec le titre ‘Broufade du Gard » et elle me l’a servi à midi. Voulait-elle que je m’ébroue ou que je broufe lou rire?

Le lien sémantique entre le verbe broufar  et la broufade  n’est pas évident.  Broufado  se trouve dans le FEW  avec le français brifer « manger goulument » et l’occitan bifra dans l’article brf-   une onomatopée dont nous trouvons des représentants avec le sens « manger gloutonnement » et « souffler, s’ébrouer, mugir ». Le premier avec la voyelle -i-  et le second avec la voyelle –ou-.  Quand la broufado est bien faite, les deux sens  contribuent à expliquer son nom.

  1. Vol.2,p.1155