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Marche Nîmoise.

La Marche Nimoise est le nom de la région du Gard à l’Est de Nîmes jusqu’au Rhône. L’étymologie de Marche est le germanique *marka « frontière ». A la tête d’une Marche se trouvait un marquis « titre féodal de celui qui est placé entre le duc et le comte ».  Le sens dans Marche Nîmoise est « région frontalière« . (Je ne sais pas  s’il y a jamais eu un marquis de cette région ou si le nom est resté du haut Moyen Age, du Marquisat de Gothie. )

Linguistiquement parlant il s’agit de la région du Gard où les traits provençaux dominent.

Très souvent les frontières linguistiques, ou limites de certains phénomènes phonétiques ou lexicaux, sont expliquées par l’existence de frontières 1) politiques, 2)ecclésiastiques ou 3)naturelles.

  1. Le Marquisat de Gothie, partie de l’ancien royaume wisigoth de Toulouse, installé par les Francs après 759 comprenait au moins le territoire occupé maintenant par les départements de l’Aude, de l’Hérault et du Gard.(cf.Wikipedia)  L’ouest du Rhône appartenait au comte de Toulouse et faisait partie du Royaume de France. L’est du Rhône faisait partie de l‘Empire germanique. Ce fleuve formait donc une frontière politique importante.
  2. Il était également la frontière du diocèse de Nîmes, fondé à la fin du IVe siècle.
  3. Le Rhône était une frontière naturelle difficile à passer : il y avait au Moyen Age quatre ponts sur le Bas Rhône: Pont-St. Esprit, Avignon, Beaucaire et Arles, mais celui d’Avignon n’etait plus utilisable depuis le XVIIe s. et celui de Beaucaire depuis le XVe s. cf. l’article d’Abel Chatelain. pour beaucoup plus de détails.

Pourtant la Marche Nîmoise présente une prédominance de traits provençaux, notamment des traits phonétiques. Comment expliquer cela ? Je suis convaincu que ce grand fleuve, difficile à passer, n’a pas été un obstacle pour la communication entre les habitants des deux rives, mais le contraire. Les grandes routes du Nord et de l’Italie vers l’Espagne passaient par la région du Bas-Rhône. Il n’y avait pas de ponts entre Vienne et Pont St.Esprit. Lepassage du fleuve ne présentait pas d’intérêt avant Pont St.-Esprit, puisque la route suivait le fleuve. Mais à partir de cette ville il fallait choisir. Aller en Italie (Rome) ou vers l’Espagne (St. Jacques-de-Compostelle). S’il n’y avait pas de ponts, c’étaient des bateliers locaux qui transportaient les voyageurs ou les marchandises. Ce travail était tellement important que les bateliers de Beaucaire se sont opposés avec succès à la construction d’un pont jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

On comprend facilement que ces contacts journaliers entre les habitants des deux rives ont eu des influences sur leur manière de parler, aussi bien la prononciation que le vocabulaire. J’ai constaté personnellement le même phénomène dans les parlers des 3 derniers villages du col du Grand St.Bernard (Val d d’Aoste) et les 3 premies villages de l’autre versant du col (Valais suisse). Tous les mots avec un -ü- accentué sont prononcés avec un -i- dans ces villages des deux côtés du col du Grand St.Bernard.

Un sujet très intéressant serait d’étudier à quels champs sémantiques appartiennent les mots que les deux zones, la Marche Nîmoise et la rive est du Rhône ont en commun, en opposition au reste du domaine languedocien ou provençal. Par exemple le type darbon « taupe » ou amolar « aiguiser », s’arrêtent au Rhône, pata « chiffon » traverse à peine le fleuve mais va pas plus loin, tandis que jardin remplace ort dans une grande partie du Gard et de l’Hérault. Voir Lectures de l’ALF pour d’autres exemples qu’il faudra compléter par les données du FEW.

La zone de tranistion provençal/languedocien

Marcamau, marcamal

Marcamau, marcamal « une figure qui fait peur, un bandit » (Lhubac). Un visiteur m’écrit que sa grand-mère de Clarensac (30) lui disait « que tu marques mal », quand il était mal habillé (jeans avec des franges).

L’expression marquer mal  « être mal mis, avoir un aspect, une mine qui n’indique rien de bon » n’est attesté en français que depuis 1878. Il était très en vogue dans les années ’50 d’après les témoins de von Wartburg. Mais les attestations occitanes sont plus anciennes et l’expression a très probablement été empruntée à l’occitan. Mistralla donne dans son Trésor :

Mistral

Elle est surtout connue en provençal (cf. le site de Marius Autran pour La Seyne) et en languedocien, avec des variantes de sens, mais il s’agit toujours de l’aspect apparent de quelqu’un.

Un autre visiteur me signale une expression souvent entendue dans l’ Hérault (Pouzols) et l’Aude : Marco-mau se passejo  » il y a de l’orage dans l’air », au propre ou au figuré  » la situation devient menaçante »; littéralement : « Marquemal se promène, Marquemal est de sortie ». Et il ajoute: Le surnom de Marcomau a été donné à divers individus, ermites, marginaux ou délinquants.
Un marco-siau est un hypocrite, sournois.

En argot des imprimeurs le marque-mal est « le receveur des feuilles à la machine ». (Pourquoi??).

Pour l’étymologie du verbe marka, marcar et ses nombreux dérivés, qui sont tous postérieurs au XVe siècle, suivez ce lien vers le TLF.

Mangayre, manjo –

Mangayre. Dans un texte concernant les moeurs du 25 août 1596 :

« Cest présenté Antoine Gautié jeune. A esté prié de nourir et entretenir son père quest malade le mieus qu’il pourra, et a esté sencurré de ce qu’il ne le traicte pas comme il faut et mesme quelques fois l’injurie et outrage, l’apelant « mangayre« . A promis de le traicter le mieus qu’il pourra. »

Je pense qu’il s’agit d’un gros mot et qu’Antoine a traité son père de mandzaire du latin manducarius « (gros) mangeur, goinfre ». A l’époque  un gros mangeur malade dans une famille pauvre était une charge lourde. En occitan moderne mangeaire est un « dissipateur » (provençal, Alès, Castres, etc.).

Encore aujourd’hui les Manduelois sont des Manjo-Bourro pour leurs voisins de Bouillargues, c’est-à dire, qu’ils allaient cueillir les jeunes pousses dans les vignes de Bouillargues pour les manger en salade! Une video  Festo di manjo-bourro.

Deux pages de  manja +  un substatif dans l’index du livre de Claude Achard,  Les uns et les autres. Dictionnaire satyrique.  Pézenas, 2003.

Manado, manielha

Manado s.f. « troupeau de taureaux et de chevaux » , manade  en français régional, est dérivé de latin manus  « main ». Man signifie déjà en  ancien occitan « travail, main d’oeuvre » et manada « poignée, ce que peut contenir la main » comme l’ancien français manée . L’évolution sémantique de « poignée » vers « troupeau » se retrouve dans des expressions comme « une poignée de gens, de taureaux ».  Une autre possibilité est que  le sens « troupeau » a été emprunté à l’espagnol manada .

Pourl’abbé de Sauvagesune manado est un troupeau en général : uno manado dë pors « un troupeau de cochons » et pour lui ce mot vient de l’espagnol, mais dans le sens « poignée; une botte »: uno manado de cêbos  une poignée d’oignons » c’est un mot languedocien.

Manado signifie aussi « poignée d’un récipient » ou « manivelle » et est un synonyme d’ arapofere « une manique des repasseuses » c’est-à-dire une sorte de gant de protection. Il avertit les Languedociens qu’il faut dire en français  manique et non manicle, du latin manicula quoique les deux formes sont admises dans le dictionnaire de l’Académie 1694.

manade et manicle

En ancien français  la manicle est « la partie de l’armure quui couvrait l’avant-bras et la main » . Un mot avec un sens très spécifique. Il s’agit d’un emprunt au latin. Au cours des siècles le mot a dégringolé socialement : menicles « menottes » déjà au XIVe siècle, frère de la menicle « coupe-bourse ». Sur une planche de l’Encyclopédie, fig. 44 « la manicle du cordonnier »:

manicle de cordonnier.

En occitan manicula devient régulièrement manielha en ancien provençal et en languedocien manilho « anse » (S). Il  ne se trouve qu’en occitan et en franco-provençal.

Major, majoral

Major, -a adj. et subst. « majeur, aîné; doigt médian; doyen d’âge », ou  mager  « plus grand »  vient du latin maior comme français majeur

Soun màjou dans la parabole du fils prodigue de Lasalle (Gard) signifie  « son fils aîné ». Anglais mayor « maire », néerlandais majoor « rang militaire au dessus du capitaine », allemand Major id.

Majorau « chef, maître d’un pays » (Camargue),  est un dérivé très ancien. On le retrouve en cat. et esp. avec le même sens. A Alès le majoraou est «l’ainé de la famille ».

Dans le Félibrige, les majorau jouent un rôle important:

Le Félibrige est fondé en 1854, par quelques poètes provençaux. Le mouvement se donne initialement pour vocation de restaurer le provençal. Très vite, il se développe et s’organise dans tout l’espace occitan. Le rayonnement du Félibrige est énorme, le provençal connaît un renouveau sans précédent et fédère des poètes dans toute l’Occitanie. En 1904, le prix Nobel de littérature est attribué à Frédéric Mistral pour Miréio  (‘Mirelha‘ en graphie classique). Aujourd’hui, le Félibrige est structuré autour d’un Capolier et de cinquante Majorau. Un des temps forts du mouvement est son rassemblement annuel de la Santa Estela.

Francisé en majoral qui en plus a créé le dérivé majoralat. TLF

Majofa, amaousso

Majofa, majossa, majofra « fraise (des bois) », majoufièr « fraisier » continue les formes de l’ancien occitan majossa (Albi 1320) et majoffa (Cahors 1274), mos (Indre), maous (Charente) Thesoc, amaousso, amours, maiousso (Mistral).

L’étymologie est probablement une racine *mag- proto-indo-européenne, c’est-à-dire qui date d’avant l’arrivée des Celtes en Gaule vers  500 avnt J.-C. et empruntée par eux à ce peuple inconnu. En Gaule nous trouvons les formes majossa , majoffa principalement dans l’occitan, mais également en poitevin et dans le domaine franco-provençal. En dehors de la Gaule, nous trouvons le même type dans le nord de l’Italie.

La plupart des formes romanes font supposer une base *magiusta, qui ont  suivi l’évolution  des dialectes gaulois  et a abouti à *magiussa ou *magiuffa. Pour ceux qui s’intéressent au proto-indo-européen, je ne peux que les renvoyer à l’article du FEW VI, 19b-22a *mag qui donne aussi une revue des différentes propositions, e.a. Jud dans Romania 48(1922)607-608 que vous pouvez consulter grâce à Gallica.

Une visiteuse me fait la remarque suivante : « Concernant occ. majufa « fraise des bois » et la racine *mag- en effet très ancienne je ne peux que vous signaler l’existence en basque du terme maguri « fraise » et de ses variantes maidubi, marabio, marauri « id. » presque toutes en dialecte haut-navarrais. »

L’abbé de Sauvages (S2) ajoute que les majhoufos, majhofos infusées dans le vin sont un bon remède contre les engelures. Au singulier Qinto majhofo veut dire « quel coup, quelle bosse ».

La culture de la fraise qui se développe à partir du XVIIIe siècle après la découverte des grandes fraises sauvages de Chili et de l’Amérique du Nord, a eu comme conséquence que la majofa désigne comme avant la fraise des bois et que le mot frago, fraga est réservé à la fraise de jardin.

Maïsso

Maïsso, s.f. « mâchoire », bon maïsso « bon appétit (en parlant d’un porc à l’engrais) », au figuré en fr.rég. avoir bonne maïsse «avoir la langue bien pendue » (ML août 2005).

Maisso représente le latin māxĭlla « mâchoire » devenu maxella dans les langues romanes. La forme languedocienne n’est pas  expliquée, peut-être est-elle  influencée par cais « mâchoire ».

Par métonymie (déjà en latin) maisso désigne aussi la « joue » et au fig. « gourmandise ». En languedocien il y a de nombreux dérivés  de maisso, au propre comme au figuré, par ex. maissar ou maissejar « bavarder », maîssaire « bavard »(Alès) ou meisseto  « linaire ou muflier bâtard » (Montpellier), que Mistral compare à une  gueule d’animal; maisseto » idem » (Alibert). A Gignac une maïsse est une ‘grande gueule’ mais aussi un « homme doué d’un appétit formidable » Lhubac.

Mai

Mai « plus, davantage ». Prononcez comme aïe  en français.  SeguierI  donne les exemples suivants : encore may, donna me n’enmay, un pauquet may, may et tant may. Du latin magis « plus, davantage ». Très courant en français régional.

Magnolia

Magnolia. C’est en 1703 que Ch. PLUMIER, dans son Nova plantarum americanarum genera, p. 38 a donné le nom magnolia à cette arbre à fleurs pour honorer Pierre Magnol, le grand botaniste et directeur du Jardin botanique de Montpellier . Le nom a été repris par Linné, qui avait de très bonnes relations avec les frères de Sauvages  et l’université de Montpellier. Ce n’est pas de l’occitan, mais j’ai été surpris par cette étymologie et le nom Magnol a bien un consonance occitane.
Voir l’article dans Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Magnol.

               

Pierre Magnol 1638-1715                                                                agniolia

Magnan, magnanerie

Magnan (forme adopté par le français TLF), magna, magnaou « ver à soie »;  magnaghié ou magnassié « ouvrier chargé de l’éducation des vers à soie » (S). L’abbé de Sauvages ajoute qu’il préfère pour le français le mot magnaguier à nourrissier « parce qu’il est plus expressif et déjà reçu à Alais, un des centres où l’on entend le mieux cette éducation ».

Magnanerie (TLF), magnaghieiro (S) n’est pas seulement le bâtiment ou le local mais aussi « la construction des pieds droits & des tables sur lesquelles on place ces insectes ». (Ce dernier sens n’est pas mentionné dans le TLF qui ajoute pour le sg. le sens « sériciculture »). Pour l’abbé de Sauvages le mot magnagerie est le mot languedocien pour ‘l’art d’élever les vers à soie » et il mentionne comme mot français, inventé un siècle plutôt, la serodocimasie qui n’a pas pu s’imposer depuis.

   et 

Déjà en 1756 l’abbé de Sauvages a écrit que le mot magna, magnaou vient de l’italien mignato. En 1898, C.Nigra suivi par Sainéan et d’autres, a repris cette étymologie, probablement sans connaître le dictionnaire de notre cher abbé. D’après eux l’origine serait magnatto « ver à soie » des dialectes du nord de l’Italie ou du mot italien mignatta « sangsue ».  Les deux  mots remontent à une racine miñ- qui est à l’origine des noms du chat. A l’appui de cette hypothèse il cite les dénominations de la chenille issues de mots désignant le chat, telles que en Italie du Nord gat(t)a, gattina, gattola, ancien français chatte-peleuse, anglais caterpillar, et français chenille.

Je pense que les images suivantes montrent clairement que l’association ver à soie /chat, chaton est directe et n’a rien à voir avec la chenille.

            

                chatons                                                                    cocons de vers à soie                                                  chenille

Une autre proposition vient de Gamillscheg qui rattache magnan directement à l’italien magnatto « ver à soie » (que je n’ai pas pu retrouver avec ce sens précis) d’où le français maignat, magniaux du XVIe siècle, transformé en magna par étymologie populaire, association à magnar « manger », parce que le ver à soie mange énormément de feuilles de mûrier. En tout cas j’ai trouvé dans un lexique du patois de Venise un magnat(t)o participe passé de magnare « manger »: « Anke io ho magnatto la carbonara ieri sera!! » Il semble que le verbe magnare signifie justement ‘manger beaucoup’! : Magnare a ufo est Mangiare ingordamente ; Magnare anca le broze de San Roco est Mangiare in modo insaziabile, consumare tutto ; Magnare fora tuto est Dilapidare ogni sostanza, consumare.

Une excursion dans le monde de la sériciculture.

Dans la première édition de son dictionnaire de 1756, l’abbé de Sauvages donne une liste de mots languedociens qui se rapportent à la sériciculture. Si cela vous intéresse, vous pouvez les voir en cliquant p.Sauvages 286, p.Sauvages 287, pSauvages 288 (avec Adobe Reader . Si non téléchargez-le!).

L’abbé était un fin connaisseur de la sériciculture. Il a fait beaucoup de recherches à ce sujet pour aider les Cévenols. Voir à ce propos ma page Sources, liens s.v.Sauvages.  Il avait entendu parler du magnifique ouvrage de Anna Maria Sibylla Merian, 1647-1717  sur les insectes de Suriname, (Voir Wikipedia), dont il y a deux exemplaires à la bibliothèque nationale et dont vous pouvez voir les illustrations grâce à la bibliothèque d’Amsterdam, qui a fait un très beau travail de numérisations. Magnez-vous!! C’est magnifique. En très haute résolution.  Une petite aide pour comprendre le néerlandais : beeld « image », beschrijving « description », terug  « retour », vorige  « précédent »,  volgende « suivant ».

            

Tous les dessins de Merian sont coloriés à la main ! Un dessin superbe intitulé metamorphosis   sur votre écran, en cliqant ici.

Une page intéressante sur la magnanerie dans le Roussillon, spécialement à Cattlà.

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