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Menoun 'gigot pascal' ou 'bouc chât...

Menoun « bouc châtré à 4 ans » (M) est un dérivé du verbe minare « mener les bêtes », attesté en ancien provençal depuis 1397 et en moyen français depuis de 16e siècle; menon est resté dans les dictionnaires Larousse jusqu’en 1949. (FEW VI/2,104a).  Le sens « reine des abeilles »  s’explique également à partir du sens du verbe.    Fraire menoun  pour fraire minour doit reposer sur un jeu de mots.

  

Menoun « gigot pascal ».

Dans l’article  men-  le FEW  a réuni une famille de mots  qui expriment principalement la petitesse  et appartiennent surtout au langage enfantin.  Béarnais menin  adj.  « très petit’,  à Lescun di menin « petit doigt », dans le Var meinet « petit », dans l’Aveyron  del menèl  « petit doigt », languedocien mani « petit; petit enfant » (Sauvages S2).

menoun absent ?

C’est à ce groupe qu’appartient  le mot menoun que j’ai rencontré dans un site Wikipedia sur la cuisine provençale  qui écrit:

« Le Gigot pascal est un mets du temps de Pâques, à base d’agneau ou de chevreau. Il est dénommé menoun en Provence.

Y a-t-il un lecteur qui puisse me  confirmer ce mot avec ce sens? Merci d’avance!

 

 

Mène "manche dans une partie de jeu de boules...

Mène « manche dans une partie de jeu de boules ». René Domergue Avise, la pétanque! donne une définition très précise :

Une mène : temps entre le lancer du petit et le lancer de la dernière boule (plusieurs mènes dans une partie).

En dehors du milieu bouliste et des joueurs à la belote le mot doit être rare. Même Google ne donne que très peu d’exemples.

Dans les dictionnaires de l’occitan  il y a  plusieurs mots mèna, mène,  mais aucune signification qui s’approche de « manche dans un jeu »1.

  1. Dans le dictionnaire de l’abbé de Sauvages (S1) il y a deux articles mèno :  une  mèno   « scion de greffe », et mèno  « espèce,  race », par exemple chi dé bono méno « chien de bonne race » et  le dérivé  mènier « tête de châtaignier à greffer, c’est un châtaignier franc récépé et taillé en moignon, qui fournit tous les ans des scions…. ». Sens classés dans le FEW VI/2, 102b-103a comme  dérivés du verbe minare.  Ce sens est encore vivant à Nîmes en 1989  d’après Joblot2, qui donne la définition suivante « une mène  est un genre, race, qualité » , et un exemple : Il possède deux scies de mènes différentes.    Pour lui « ce mot mène est entré dans le vocabulaire  courant des joueurs de boules qui désignent de ce nom chaque nouvelle partie du jeu. L’équipe qui a gagné la mène achevée mène la mène nouvelle.  Je crois que Joblot est tout près du sens qui est à l’origine du sens « manche » : une action ou un élément d’un ensemble.
  2. En occitan il y a une autre mena,  ou  meno  qui signifie  « filon de minerai, mine » en qui vient du gaulois meina « minerai », mais rien qui m’explique le sens « manche dans une partie de jeu de boules ».
  3. Enfin  Claudette Germi, Mots de Champsaur, Hautes AlpesGrenoble, 1996i me fournit un autre emploi de mène : »Encore quelques mènes  et ils auront fini de labourer. »  et l’emploi du même mot dans la même localité dans un autre jeu : « On a fait un concours de belote, on croyait gagner, mais  à la dernière  mène, ils ont eu un carré d’as  et un cinquante…. Pauvre de nous.

Elle cite le travail de Gaston Tuaillon 3 qui a donné la définition suivante pour le mot mène  dans le parler franco-provençal de Vourey (Isère)

Un aller (ou un retour) dans un travail comme les labours ou dans un jeu comme le jeu de boules où l’on ne cesse d’aller et de venir ».

La première attestation de ce sens en ancien occitan est  mena « manière d’être » ( XIIe-XIIIe s.), qu’on retrouve en italien, chez Dante mena « condition, sorte ». En occitan moderne, c’est l’expression  de bouono meno « de bonne qualité » qui domine.

L’étymologie serait alors le verbe menar « mener, conduire, accompagner, exploiter un domaine agricole » du latin minare  « conduire ». Un dérivé de menar,  menada signifie  « ce qu’on mène en une seule fois; quantité d’olives qu’on détrite en une fois » (Alibert). Le même sens est aussi attesté pour le mot voyage (Mistral, Champsaur)

Je crois avoir trouvé une autre explication de l’évolution sémantique que celle proposée par G.Tuaillon.  Je pense que le passage du mot mèno  dans le milieu bouliste, est parti de  l’expression de bouono meno . L’équipe qui a gagné « a fait un jeu de bouono meno,  et pour ne pas vexer l’équipe adversaire, il faut admettre qu’eux aussi ont fait une bouono meno.   Une  mène  est par conséquent toujours bouona.

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  1. D’ailleurs le même problème existe pour le sens de « manche ». Le TLF suit le FEW et  donne comme étymologie  manche  « partie de vêtement …. »  sans pouvoir l’expliquer. Pourtant von Wartburg  (FEW)  écrit dans une note que  le lien sémantique reste mystérieux.  Alain Rey  écrit sans me convaincre  « Par analogie moins transparente manche  a pris le sens « tour de cartes » 1607, d’où « partie liée à une autre » (1803) , les deux parties jouées étant comparées aux manches solidaires d’un vêtement.
  2. Petit vocabulaire local à l’usage des gens du Midi. Nîmes, 1989
  3. Les régionalismes du français parlé à Vourey, village dauphinois.  Paris, 2000. page 250

le bolsín est une petite Bourse

Il y a quelques jours j’ai reçu un mail:

La demi finale du bolsin aura lieu à Manduel le jeudi 17 août 2017 à 18 heures aux arènes de Manduel.

Habitant  Manduel depuis plus de 20 ans,  connais un peu la course camarguaise, l’abrivadole raset et le raseteur, les spectateurs qui avertissent le raseteur avec  avisa lo biou et le toro piscine bien sûr, mais pas le bolsin non. Google m’indique qu’il y en a plusieurs dans la région, mais pas la signification du mot, qui est aussi  introuvable dans les  dictionnaires occitans et français.

Enfin dans l’article becerrada Wikipedia m’explique qu’il s’agit de tauromachie et pas du tout  de course camarguaise, une manifestation pour les aficionados et une nouveauté:

Entre becerrada et novillada est apparu un nouveau type de corrida pour débutants : le bolsin, qui n’est répertorié dans aucune encyclopédie. C’est aussi une corrida d’apprentissage qui se déroule avec des erales (veaux de moins de deux ans) et qui répond aux mêmes règles que la becerrada, que la novillada, que la corrida, et qui se déroule en habit de lumières11.

La note 11 « définition de bolsin »,,  m’amène à une page avec plus de détails(www.imagesplus.fr) :

BolsinPhotothèque

L’auteur écrit « le mot bolsin signifie « coulisse » en espagnol.  Comme d’habitude je vérifie. Le mot espagnol n’est pas bolsin, mais bolsín
(On prononce le  -i- et le -n). Ce sens ne se trouve pas dans le dictionnaire de la Real Academia, qui le définit comme une petite bourse ou marché:

bolsinRAEIl s’agit donc d’une réunion de boursiers en dehors des heures et du site réglementé.  L’etymologie est le mot bolsa « bourse » c’est-à-dire au sens de « Lieu où des personnes (négociants, agents de changes, courtiers, etc.) s’assemblent périodiquement » etc.  La Real Academia écrit:

bolsa deuxL’étymologie fournie par la Real Academia est le nom de famille flamande van der Bourse à Bruges.
Cela m’étonne, mais elle est aussi mentionnée avec réserve, dans le Trésor de la languefrançaise (CNRTL):

Guichardin dans sa Description des Pays-Bas [1567] chapitre Il Ritratto della Borsa d’Anversa, le mot borsa, d’abord appliqué à la bourse de Bruges, devrait son nom à une place où se trouvait la maison, ornée de trois bourses d’une noble famille appelée della Borsa [van Der Burse], lieu de réunion des commerçants de la ville

et  par le dictionnaire étymologique du néerlandais, qui y ajoute  :

Le mot flamand/néerlandais Beurs a été emprunté par différentes langues: allemand Börse [1531]; Anglais bourse; danois Børs; suédois Börs; norvégien Børs; français Bourse (encore avec majuscule) [1549]; Italien (via français) Borsa [18ème siècle]; espagnol bolsa.

L’hstoire de bolsin est récente. Une discussion dans le forum de  Wordreference   nous explique  que

Hoy en día el término[bolsin taurino] se refiere a un concurso para maletillas o aspirantes jóvenes (menores de 21 años) a toreros. Hay muchos al año y en distintas localidades de España. Pero hay referencias periodísticas de hace bastantes años en donde el término se empleaba con el sentido actual de « escalafón » [fr; hiérarchie; échelle]. Veamos unos ejemplos:

El origen del término « bolsín taurino » es el de « bolsa taurina« . Bolsa taurina era en el toreo, parece ser, lo que la bolsa de comercio en el mundo empresarial (comercial e industrial). Como ya dije anteriormente, lo que actualmente se denomina « escalafón ». He encontrado un artículo titulado « Alza y Baja » en el periódico madrileño « El Enano » del 23 de agosto de 1908, donde se puede leer:

« No hay cosa más variable y que esté sujeto á fluctuaciones que el papel taurino… En fin, lectores apreciables, que si todas las bolsas son inseguras, oscilantes y engañosas, la bolsa taurina es sobre cualquier otra de las que oscila más y alucina más. Y no hablemos del alza y baja de los matadores ya conocidos y juzgados de antes. Las corridas de provincias influyen en el mercado taurino con una eficacia aterradora… »

« Sigue subiendo el papel Quinito, que es el que más alto se cotiza este año en la Bolsa taurina. »
El País, Madrid, 9-5-1902.

Los Márquez, que tan lisonjera subida experimentaron en la bolsa taurina el lunes de Pascua, tuvieron el domingo último una lamentable depreciación. Es lástima. Estos valores, en alza durante el año anterior en casi todos los mercados de provincias, se cotizaron muy altos también en Madrid. ¿Por qué esta baja tan sensible? El pánico en las operaciones últimas pudieran explicar el fenómeno. Un poco de buena voluntad, más ánimo y menos mandanga es lo que falta a los Márguez para volver a recuperar el valor momentáneamente perdido.
Muchas Gracias, Madrid, 25-4-1925.

En français la même évolution s’est produite.(Voir bourse2 CNRTL). On parle de la Bourse du Travail, d’une bourse de timbres, et quand j’étais artisan lapidaire j’allais à des Bourses aux minéraux et fossiles.

 

 

 

 

Romana

Roman, romana :  1. »balance romaine » (Alibert)

             

Eh non, la romana ne nous vient pas de Rome!, mais  du Nord de l’Afrique, de l’arabe rumman(a) « grenade, le fruit du grenadier ». Dans des traités scientifiques arabes du XIe-XIIe s. la romana est décrite et notamment le peson qui se déplace sur la réglette et qui avait la forme d’un grenade. En valdôtain (Vallée d’Aoste, Italie) la romana désigne toujours le peson.

          

La plus ancienne forme en occitan est romà (XIVe s.), qu’on a retrouvé dans les parlers occitans modernes à Alzon (Gard) roumo « grosse romaine » et à Sumène roumo « romaine ».  Le mot est venu avec la chose par les relations commerciales, d’abord en Italie qui a emprunté le collectif rumman (> italien romano)  qui a ensuite pénétré en occitan.

Le singulier rummana nous est parvenu par l’intermédiaire de l’espagnol, le portugais et le catalan romana. Les premières attestations datent 1400. Dans son voyage vers le nord et Paris, la forme a été adaptée à l’adjectif romaine  « de Rome ». Ensuite il est revenu dans nos régions et la forme  a été adaptée  à la prononciation locale: par exemple roumèno dans le nord du Gard.

Il faut noter que les deux formes, romana et la francisée roumèna se rencontrent principalement dans les parlers occitans et franco-provençaux.

2. A la romaine (fr.rég. ?) Plusieurs mamans de Manduel m’ont raconté qu’après l’accouchement l’obstétricienne leur mettait un sac de sable sur le ventre pour que l’utérus se rétracte rapidement. Cette méthode décrite dans de nombreux sites internet, s’appelait dans notre région à la romaine. Je ne sais si cette expression est connue ailleurs. S’agit-il d’une référence à la romana ou à une méthode héritée des Romains.

3. Romana « sorte de salade verte ». D’après le Dizionario etimologico italiano :

Selon la légende, la salade aurait été introduite en France en 1389 à partir d’Avignon, alors cité papale, lorsque Bureau de la Rivière partit en Italie négocier le mariage du duc de Berry avec Jeanne d’Auvergne. Son développement s’est poursuivi en Europe du Nord tout d’abord puis en Amérique du Nord et en Australie suivant les migrations européennes dans le monde. Anglais romaine ou romaine lettuce.

  

Quincarlotà, aligot, calicot, logate, cincarat, ca...

Quincarlotà(t) « haricot » dans l’Hérault et l’Aveyron, plus spécialement « haricot bariolé » dans le Larzac, d’après les enquêtes de l’ALF et le dictionnaire de Vayssier pour Nant et le Larzac. Lhubac le signale en français régional à Gignac,quincarlotte, également avec la spécification « haricot bariolé ». Il ajoute que le haricot vert est absent du ragoût appelé quincarlotat très proche du ragoût d’ escoubilles . C.Achard a trouvé le sobriquet los quincarlets pour les habitants de La Roche ‘Rieutord-de-Randon (Gévaudan).

Vayssier. Diectionnaire patois-français du département de l’Aveyron, par feu l’ abbé [Aimé] Vayssier. Publié en 1879.

Dans un site consacré à la mémoire de la Guerre des Camisards (1702-1705), il y a une page  sur le « Pillage de la maison de Pierre Larguier à Sanbuget » (Lozère), qui mentionne :

Une carte deux boisseaux d’haricots communément appelés quincarlottes évalué 1# 10 s.

( Je ne trouve pas la date dans le document. Dommage, parce que le mot « habituellement »    ferait remonter au XVIIe siècle la première attestation et elle pourrait être contemporaine du mot  aligot.)

Je viens de trouver dans le dictionnaire de l’abbé de Sauvages, 2e éd.  paru en 1785 (S2): KINCARLÔTOS    » Des haricots bariolés »

Quincarlotà  fait partie de la famille de mots composés ou dérivés d’un verbe germanique  *harion  « déteriorer » qui a donné en ancien français le verbe harigoter  « déchirer, mettre en lambeaux, déchirer de coups » et le substantif harigote, aliguote  « lambeaux, chiffon ». ( FEW (XVI,165a).

Aligot « aligot » A mon avis le mot aligot (de l’Aubrac) vient directement de ce sens. Vous n’avez qu’à regarder l’image de Wikipedia qui donne latin aliquod « n’importe quoi » comme étymologie. Mais l’aligot  n’est surtout pas « n’importe quoi »!

aligot

L’explication de l’évolution sémantique est la suivante. A la fin du XIVe siècle apparaît en français le mot hericot ou haricocus du mouton; harigot « ragoût fait avec du mouton coupé et des légumes « (DMF article 7 de l’étymon *harion). Ce sens est resté vivant dans l’Aubrac, p.ex. olicouót « ragoût fait avec des abatis de volaille », aricot à St-Affrique. Henri Affre , Dictionnaire des institutions, mœrs et coutumes du Rouergue. Rodez, 1903, donne une variante pour Laguiole avec la définition suivante: oligot « plat composé de pommes de terre cuites à l’eau et de fromage encore imparfait pris en quantité égale et frits ensemble dans du beurre, qu’on fait à tout festin de noces ». (cité d’après le FEW).

L’aligot serait d’abord un ragoût selon le FEW, mais quand on mélange des pommes de terres avec du fromage et du beurre, on obtient  plutôt des  lambeaux ou les chiffons, notion qui a dû être présente devant les yeux des noceurs. Nous trouvons la même image dans le mot actuellement  très à la mode de chiffonnade, anglais chiffonade.

Dans les premières attestations haligot, aligot, harigot s.m. signifie « aguillette » un ornement des vêtements et haligote s.f. « lambeau, déchirure, chiffon d’étoffe; pièce rapportée, aiguilette » (Voir Godefroy); le verbe haligoter signifie  « déchirer, taillader, mettre en lambeaux » etc. Au XIVe s. apparaît hericoc de mouton « ragoût de mouton, coupé en morceaux, avec des fèves, des pommes de terre ou des navets »  (Godefroy Complément), dans le Viandier de Taillevent. qui date probablement de la fin du XIVe siècle.

Beaucoup plus tard, à partir du XVIIe siècle apparaissent les fe(b)ves de haricot « semences de phaseolus vulgaris », appelés  ensuite haricots tout court. Les haricots  deviennent vite populaires, d’abord comme légumes dans le ragoût et ensuite  comme légumes bon marché. Les haricots verts sont « des gousses de haricots encore vertes et assez tendres pour pouvoir être mangées ».

Dans le Dictionnaire Français de P.Richelet de 1680 le mot haricot désigne en premier lieu le ragoût:

haricot      
Vous voyez que la recette que ma femme a choisie pour m’encourager dans mes recherches,  diffère de celle de Richelet.

Calicot « fève ».  Richelet écrit que des paysans  d’autour de Paris appellent ces fèves calicots,  au lieu de  haricots. La première syllabe de quelques formes comme fève de callicot (1651, en français), caricote (dép. de l’Oise) karikot (dep. de l’Yonne) et notre quincorloto ( placée aussi dans les Incognita du FEW à cause de la première syllabe) reste obscure, mais elles sont bien liées à l’haricot.

 Une influence du mot calicot « tissu indienne bariolée » semble très peu probable, parce qu’ il est réservé aux récits de voyages et n’apparaît dans la langue commune qu’au XIXe siècle. (TLF).   Un autre problème, peut-être provisoire, empêcherait  cette filiation, à savoir que l’expression fève de haricot (1628) est attestée 23 ans avant fève de calicot. (1651).

Pourtant, au XVIe s. le haricot s’appelait fasiol de Turquie (1561) et plus tard aussi pois d’Inde (1614), ce qui prouve qu’on était conscient qu’il venait de loin. Le  mot calicot avec le sens  » tissu blanc ou multicolore en coton fabriqué à Calicut en Inde » apparaît en 1613 et ensuite en 1663 (TLF) en français, mais déjà au début du XVe siècle en anglais (Harper).  En français on appelle ces tissus des « Indiennes » (TLF). Cela me permet de supposer quand même un lien entre les désignations pois d’Inde et fèves de callicot, d’autant plus que les haricots fèves sont blanches ou multicolores, comme les tissus de Calicut, et que l’Inde était aussi bien à l’Est (Indes, Indonesie), qu’à l’Ouest (les Indiens),  d’où étaient venus les phaseolus.  Le commerce des tissus colicots entre l’Inde et l’Europe a pris une grande importance au XVIIe siècle.  Le manque d’attestations n’est peut-être qu’un hasard.

C’est un message de Michel Chauvet, ethnobotaniste à l’INRA, qui m’a stimulé à faire ces recherches. Il m’a écrit:

« Vous savez qu’on a des variantes avec « calicot ». Il se trouve que les toiles indiennes (dont le calicot) sont devenues à la mode précisément entre la fin du XVIe – début du XVIIe en Europe de l’Ouest. Grâce à Wikipedia (in English), j’ai découvert qu’il existait des chats calico, un crabe calico et un pirate surnommé Calico Jack. Il semble donc que calico ait pris le sens ou la connotation de bariolé, ce qui convient très bien à des haricots. On connaît en effet plusieurs noms qui se réfèrent à des graines bariolées (par contraste avec celles du pois ou de la fève qui sont de couleur terne et uniforme) : fève peinte étant l’un d’eux. Mon idée est donc que « fève de calicot » serait une innovation (parisienne ?) comme fève peinte, et qu’ensuite seulement par étymologie populaire on serait passé à « fève de haricot« .

Il m’a signalé également les nombreuses recettes de cuisine avec des calico beans!Ce lien en donne 189. Je n’ai pas réussi à dater la première attestation de « calicot beans », mais le résultat peut être intéressant.  Voici l’étymologie  du mot anglais calico « bariolé »  :

Origin:
1495–1505; short for Calico cloth,  variant of Calicut cloth,  named after city in India which orig. exported it.

L’utilisation des fèves bariolés  pour cuisiner le ragoût appelé haricot  a pu  suggérer aux paysans des environs de Paris , de les appeler calicots.

D’autres mots dans les Incognita du FEW pourraient bien appartenir à la même famille. Les voici :

Logate. Dans Le vrai cuisinier françois; Par François Pierre de La Varenne. Nouvelle édition, La Haye,1721, recette n 28 : « Membre de mouton a la logate . Aprés l’avoir bien choify , batez le bien, oftez en la peau & la chair du manche, dont vous couperez le bout, & lardez avec moyen lard, le farinez & pafsez par la poefle avec lard ou fain-doux. » La recette complète ici. Vous verrez qu’il s’agit d’une sorte de ragoût!
Dans le Dictionnaire des termes appropriés aux arts et aux sciences, et des mots ..., Par François Raymond. Paris, 1824, je trouve: Logate s.f. se dit d’un gigot bien battu et bien lardé. Gigot à la logate. Ensuite Diderot donne la même recette dans son Encyclopédie, tome 9, 634 (djvu).

Une confusion entre aligote  et la logate , tous les deux utilisés dans une recette de la préparation  de mouton, me semble tout à fait probable.

Cincarat.Jambon en cincarat est du jambon coupé en lamelles. Une autre recette qui utilise un mot pour désigner de la viande déchirée,  une chiffonnade dirait-on de nos jours.

Actuellement, la cuisine gâtinaude, essentiellement de la  » terre « , fait la part belle aux produits issus de l’élevage : fressure poitevine (gigouri), grillon charentais, boudin noir du Poitou, pâté de Pâques, jambon (jambon au cincarat). Mais déja connu en 1794 : La cuisiniere bourgeoise: suivie de l’office, a l’usage de tous ceux qui se . Par Menon.(lien vers la page) et en 1751 dans le Dictionnaire universel d’agriculture et de jardinage: de …, Volume 2. Paris 1751, Par François-Alexandre Aubert de La Chesnaye-Desbois,Louis Liger, p.256 il y a la même recette.

      
Le lard utilisé pour le jambon au cincarat                                     Le catigot    

Catigot  est la dernière, toujours un ragoût:

« matelote de poisson; pot pourris, ragoût épais » (FEW XXI, 490b). Il s’agit toujours d’une sorte de ragoût, d’un mélange. Le début de la recette : « Dans une poêle, faire revenir, dans du beurre, les filets de poisson, coupés en morceaux et farinés… (source) .

  Si vous avez une autre idée, n’hésitez pas à me contacter.

Manado, manielha

Manado s.f. « troupeau de taureaux et de chevaux » , manade  en français régional, est dérivé de latin manus  « main ». Man signifie déjà en  ancien occitan « travail, main d’oeuvre » et manada « poignée, ce que peut contenir la main » comme l’ancien français manée . L’évolution sémantique de « poignée » vers « troupeau » se retrouve dans des expressions comme « une poignée de gens, de taureaux ».  Une autre possibilité est que  le sens « troupeau » a été emprunté à l’espagnol manada .

Pourl’abbé de Sauvagesune manado est un troupeau en général : uno manado dë pors « un troupeau de cochons » et pour lui ce mot vient de l’espagnol, mais dans le sens « poignée; une botte »: uno manado de cêbos  une poignée d’oignons » c’est un mot languedocien.

Manado signifie aussi « poignée d’un récipient » ou « manivelle » et est un synonyme d’ arapofere « une manique des repasseuses » c’est-à-dire une sorte de gant de protection. Il avertit les Languedociens qu’il faut dire en français  manique et non manicle, du latin manicula quoique les deux formes sont admises dans le dictionnaire de l’Académie 1694.

manade et manicle

En ancien français  la manicle est « la partie de l’armure quui couvrait l’avant-bras et la main » . Un mot avec un sens très spécifique. Il s’agit d’un emprunt au latin. Au cours des siècles le mot a dégringolé socialement : menicles « menottes » déjà au XIVe siècle, frère de la menicle « coupe-bourse ». Sur une planche de l’Encyclopédie, fig. 44 « la manicle du cordonnier »:

manicle de cordonnier.

En occitan manicula devient régulièrement manielha en ancien provençal et en languedocien manilho « anse » (S). Il  ne se trouve qu’en occitan et en franco-provençal.

Pebre

Pebre « poivre; variété d’olive, gattilier (arbrisseau); lactaire poivré (lactarius piperatus) ». Du latin piper « poivre ».

Pèbre d’âse ou pèbre d’aï  « la sarriette ». Orthographe ou ay « âne », mais l’ail est autre chose.
Pour certains le pèbre d’ail est une variété de thym ou de serpolet. Une visiteuse vient me signaler que pour elle la sarriette a un goût entre le poivre et l’ail et il y aurait donc deux noms pebre d’ase et pèbre d’aï. En effet ces deux noms peuvent prêter à confusion, d’autant plus que très souvent les noms des plantes varient d’un endroit à l’autre. Mais ce n’est pas le cas pour pèbre d’âse et pèbre d’aï  « la sarriette ». Latin asinus a abouti à ase en provençal central et en languedocien, mais à en provençal de l’est, Alpes Maritimes et Var, où le -s- entre deux voyelles de ase est tombé. A Arles et Avignon les deux formes sont en concurrence, et la forme ase y est considérée comme « populaire ».

D’autres plantes, généralement avec un goût piquant s’appellent également pèbre  comme le « gattilier »  (Vitex agnus castus), appelé communément  Agneau chaste, Poivre de moine, Faux poivre, Gattilier, anglais Chasteberry.

Explication: en surfant j’ai trouvé les remarques suivantes: le pèbre est une  « Graine comestible à la saveur de poivre, à consommer avec modération : on l’appelle poivre de moine car il était utilisé dans les couvents pour amortir le désir de la chair. » De nos jours  d’autres effets sont mis en avant: le vitex agnus castus est une plante asiatique qui permet de mieux vivre les variations physiologiques dans les périodes de pré-ménopause. Il agit sur les sensations de chaleur.

Solerius1 parle de deux sortes de pebriers :

C’est la 3e fois que je tombe sur cette plante! Voir vedigana et bedigas.

Pebrada « sarriette (Velay); thym (Hte Loire, Thesoc).

A ne pas confondre avec le poivre d’âne ou pèbre d’aï qui est un fromage français à pâte molle. Son appellation provient de son enrobage de plusieurs herbes sèches, dont une,  la sarriette,  porte le nom provençal de pèbre d’aï  (Wikipedia).

Pébron « piment, poivron » (Camargue) vient du provençal pebroun.  Pebron a pris un sens péjoratif : « Amateur, jusqu’à l’excès, des boissons alcoolisées ! » Comme français poivrot, parce que les boissons alcoolisés contenaient pas mal de poivre.

Charlelie Couture  m’a demandé l’origine de l’expression « qui date de l‘an pèbre » . Dans le blog de Pappataci vous trouverez l’explication suivante:

L’origine de cette expression est vraisemblablement liée à une terrible épidémie, la « pébrine »qui, en 1848, causa des ravages sans précédent dans les élevages de vers à soie du Midi de la France, et plus particulièrement dans les Cévennes et la Provence. Le nom français de  » pébrine  » est tiré du provençal  » pèbre « , car la maladie se caractérisait par de petits points noirs, comparables au poivre moulu.

Philippe Blanchet propose dans l’ouvrage Zou boulegan : expressions familières de Marseille et de Provence une autre explication:  l’an pèbre  désigne l’an pépin, c’était à l’an pèbre = c’était il y a très longtemps » mais nous n’avons pas pu vérifier cette information.
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  1. Solerius (Hugo), sanionensis, Scholiae… à la suite de Aetii medici tetrabiblos... édité par Cornarius, Lugduni, 1549, in-fol.