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Verna, vergne, verne "aulne"

Verna, vern, vergne, verne « aulne; bois d’aulne » est un des  noms d’arbres d’origine celtique qui se sont maintenus jusqu’à nos jours. Pour les détails de l’étymon  gaulois verno-  voir le TLF.  Les représentants de verno- sont encore vivants en gallo-roman au sud d’une ligne qui va de la Vendée aux Vosges, mais des dérivés  et des toponymes prouvent qu’il  a existé également au nord de cette ligne1

De très nombreux toponymes dans le Pégorier.   Le type verna  se trouve surtout à l’est du Rhône.

Dans les  Lectures de l’ALF  2  j’ai trouvé une belle carte qui illustre la ligne qui va « de la Vendée au Vosges! »:

Ligne Vendée - les Vosges

Carte 29 dans Lectures de l'ALF

Le TLF donne l’explication que voici de cette ligne:

le maintien du substrat *verno- dans le domaine d’oc s’explique peut-être par le fait que l’aune, plus fréquent en ce domaine souvent marécageux que dans le nord, a pu y conserver plus facilement sa dénomination primitive.

Mais nous avons vu à plusieurs reprises que des mots occitans se sont maintenus ou ont vécu dans la sud de la France  jusqu’à la ligne qui va de l’embouchure de la Loire jusqu’aux Vosges, et que la Langue d’Oc occupait toute cette partie du gallo-roman.

L’aulne est, avec le saule et certains peupliers, l’une des espèces les mieux adaptées à l’eau. Sur l’image ci-dessous il émerge de l’eau au bord du lac Bobięcińskie Wielkie en Pologne. Ces trois espèces sont aptes à recéper quand elles sont coupées par le castor avec lequel elles ont co-évolué.  (Wikipedia)

verna

verna, vergne

 

 

  1. Le type aulne, aune   qui vient d’un latin alnus contaminé par des formes homophones  franques  issues de alira, alisa ( cf. aulne  TLF). C’est une discussion assez compliquée.
  2. Lectures de l’Atlas linguistique de la France de Gilliéron et Edmont : du temps dans l’espace. Auteur : Dirigé par Guylaine Brun-Trigaud | Yves Le Berre, Jean Le Dû. Genre : Sciences humaines et sociales Editeur : CTHS, Paris, France

Beguda, begude "abreuvoir"

Beguda « boisson, buvette, abreuvoir, coup à boire, toast, auberge au bord d’un route, action de boire » (Alibert),  et aussi un  toponyme très répandu. Il y a déjà 15  Bégudes  dans le Gard.   Le sens de base est bien sûr « abreuvoir » spécialement pour les chevaux, mais la première attestation en ancien occitan est « guinguette ».

L’étymon est le participe passé du verbe bibere « boire ». Dans l’évolution des  verbes qui sont beaucoup utilisés , on constate  souvent de  très nombreuses irrégularités.  Ainsi le participe passé de  beure  « boire » est devenu begut, buguda,  forme qui ensuite a servi comme substantif avec le sens « abreuvoir pour les chevaux »  > « guinguette pour les hommes ».

guinguette

Guinguette Vincent van Gogh

De nos jours il n’y a plus d’abreuvoirs pour les chevaux. Ils sont remplacés par des piscines.

Mas de la Bégude à Sernhac

Ce n’est pas un guinguette à 3K € la semaine.

 

Rumat. La fête du Rumat à Mirepoix

Dans son blog du 24 juin 2012 la dormeuse se demande Le Rumat, qu’ès aquò ?

Anno 2012, fait ce 24 juin, jour de la fête annuelle du Rumat.  En 1362, menés par un certain Jean Petit, les routiers attaquent Mirepoix. Ils pillent et incendient une bonne partie de la ville. Le Rumat, c’est le quartier de Mirepoix que les routiers, en 1362, ont “grillé comme une volaille”.

A la fin de son article elle ajoute :

…..tout le monde sait de quel quartier il s’agit, mais quant à dire d’où vient qu’on nomme ce vieux barri“le Rumat”…

Rumat… rumat… ?

ayant oublié de  faire appel à son étymologiste de service.

Le verbe rumar  est attesté en ancien occitan comme verbe réfléchi avec le sens « se ratatiner, se crépir sous l’action d’une grande chaleur »;  par la suite ce verbe et ses dérivés sont appliqués à tout ce qui présente un aspect de « brûlé »,  comme à Die et dans le Queyras  rimar « brûler et s’attacher au fond d’une marmite »,  à Marseille « brûler un mets dans un pot », à Pézenas c’est  rumá « roussir »,,  dans l’Ariège rumá  « brûler ».  Le substantif rumá  prend souvent le sens de « odeur de brûlé » ou de « roussi par le feu « . Les deux sens ont dû s’appliquer au quartier du Rumat à Mirepoix.

L’étymologie est le latin rimari, rimare  « fendre, fouiller »1, qui s’est conservé dans plusieurs parlers  galloromans, comme en ancien occitan  rimar « gercer » et « se rider » comme verbe réfléchi.  En espagnol  rimar c’est « chercher ».  Dans le sud du domaine galloroman le sens du verbe   rimar, rumar  s’est spécifié  depuis le Moyen âge de « fendre » à « fendre sous l’effet d’une forte chaleur » > « brûler ».  Le texte de la dormeuse nous fournit une date précise pour Mirepoix: 1362.

La fête du Rumat se prépare

Turro, turras "motte de terre"

Turro, turras « motte de terre ».  Dans quelques endroits c’est aussi la « souche d’un arbrisseau ». Alibert distingue la turra « motte » et turras « grande motte ».

turras "grosses mottes de terreé

de vrais turras

Raymond Jourdan de Montagnac, viticulteur, écrit:

Après avoir brisé les mottes « turras« , on passe la herse « rascle » et derrière une planche pour niveler le sol pour pouvoir tracer le rayonnage….

Le mot turra, turro  est tellement ancien que les étymologistes ne sont pas d’accord sur son origine. Meyer-Lübke a  proposé une racine *turra « éminence, talus » ,  d’origine gauloise, qu’on retrouve dans d’autres langues celtiques comme le cymrique1 twrr « tas », l’irlandais torrain  « j’entasse » et le breton tur « taupinée ».

Paul Aebischer 2 propose une racine pré-indo-européenne *taur,  en rapport avec le languedocien tourel  « monticule » et le nom de  la chaîne de montagnes turques Taurus,  Dans la bouche des Gaulois cette racine serait devenue *teur, *taur  ou *tur. Voir l’article de  Julio C. Suarez   qui cite de nombreux toponymes  Turón  en Espagne.   Von Wartburg (FEW XIII/2, 434b)  y oppose que le latin torus « toute espèce d’objet qui fait saillie; éminence »  convient parfaitement pour les nombreuses formes et significations qui existent dans les parlers issus du latin.

Dans beaucoup d’endroits, les mots issus de la racine *turra  et ceux issus de torus vivent en cohabitation.  La difficulté de l’étymologie est surtout d’ordre phonétique. Le -u- , prononcé ü,  ne provient régulièrement que d’un – ū –, prononcé -ou- long, latin.  Nous avons donc affaire à deux familles différentes, même si les significations et les localisations sont très proches.

Turro « motte de terre » et ses dérivés  se trouvent  en languedocien et en gascon. Esturrassà  « émotter, assommer; herser ». Dans le Val d’Aran et à Arrens (Htes-Pyr) une motte de terre s’appelle  turrok.

  1. la langue celtique du pays de Galles
  2. Aebischer, Paul. (1948) « Le catalán turó et les dérivés du mot prélatin *taurus ». Bulletí de Dialectología Catalana.17 Gener-març (pp. 193-216). Barcelona. que je n’ai pas pu consulter

Garriguette, la benjamine de la famille Garric

Garric « chêne kermès; chêne blanc; chêne nain; chêne en général » (Alibert). Garriga « garrigue, terre inculte où poussent les garrics; chênaie rabougrie ». Garriguettes, gariguettes  « variété de fraises créée en 1978 ».  L’étymologie est une base préromane *karr« chêne » ou  *karri- « pierre » sur laquelle les avis des étymologistes divergent.

Garric « chêne kermès » est attesté en occitan depuis 1177  en Rouergue(TLF).  Son dérivé garriga « (terrain avec) des taillis de chêne »  se trouve  en latin médiéval dans tout le domaine occitan. La première attestation vient d’un texte de 817  fait dans le  Couserans, une province gasconne dans l’Ariège.

Extrait de Niermeyer, Jan Frederik, Mediae latinitatis lexicon minus;  2 vol. Leiden, 1976. Vous pouvez consulter des extraits, dont la suite de celui-ci,  avec Google Livres.

Une comparaison de la carte de l’Atlas Linguistique de la France (ALF)  avec l’article de Mme J. Ubaud  sur les noms des chênes en occitan, montre clairement l’effet catastrophique de la normalisation voulue par les  « occitanistes ». Un exemple.  Même les rares  occitanophones dont l’occitan est la langue maternelle, doivent chercher dans un dictionnaire pour savoir comment appeler un « chêne kermès ». Mme Ubaud veut imposer  avaus, mot plutôt rare.  Le mot garric  ne se trouve même pas dans son article.  Pour connaître la réalité, mieux vaut de consulter le Thesoc s.v. chêne.

Carte extraite des   Lectures de l’ALF  de Gilliéron et Edmont. Du temps dans l’espace. par G. Brun-Trigaud, Y. Le Berre et Jean Le Dû. Voir Sources, liens, s.v. ALF 

Ces données sont à compléter par celles, incomplètes hélas, du Thésoc, qui montre que la zone garric   est ou était plus étendue. Il y a  une attestation de garric  pour la Charente!  L’article *karra  du FEW a été publié en 1940 et beaucoup de données manquent bien sûr.

Plus sur l’étymologie de garric et  garriga  dans le TLF s.v. garrigue.

La garriguette par contre n’a rien de préroman. Sa naissance date de 1978. Son histoire romancée :

Ou et quand est née la première gariguette?

– La première gariguette a vu le jour en 1978 dans les laboratoires de l’INRA à Avignon après 16ans de mise au point.1

se trouve dans le blog « Les Végétaliseurs ».  Cette histoire montre que la recherche peut créer du travail et de  la richesse. Intéressant dans la situation économique et politique actuelle.

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  1. Pour éviter que la suite se perde, je l’ai copiée et vous pouvez la  lire ici gariguette tirée_de Les Vegetaliseurs.