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Oustal

Oustal « maison; logis » de l’adjectif latin hospitalis « hospitalier, affable », dérivé du substantif hospes « celui qui protège les étrangers ». Déjà en latin hospitalis était devenu substantif avec le sens « logis, chambre », plus spécialement la chambre destinée aux étrangers, aux pèlerins, la chambre d’amis. En latin panem et hospitalem dare  signifie « donner le pain et le logis ». Ce sens s’est conservé en français et en occitan jusqu’au XVe siècle. En anglais youth hostal « auberge de jeunesse ».  En occitan a l’oustau « au logis, chez soi », et le verbe ostalar « loger quelqu’un ». Depuis le XVe siècle le sens d’ oustau  s’est élargi à la notion « maison » en occitan et en franco-provençal, ainsi que dans le département d’Ile et Vilaine, tandis que dans le domaine d’oïl c’est le mot maison qui domine. Dans une partie du franco-provençal outa prend le sens de « cuisine », parce que c’est la pièce où l’on vit, les chambres sont considérées comme des dépendances. Dans la langue d’oïl l’hostel devient à partir du XVe siècle un « logis pour des étrangers  » à partir du sens « logis pour les pèlerins » un bâtiment annexe des cloîtres. Mais en occitan cette évolution n’a pas pu se produire parce que l’oustau était le chez-soi. Les autres significations du mot hôtel en français, comme « maison seigneuriale »  > hôtel de ville, hôtel de la police et même l’hôtel des impôts etc. sont limitées à la langue d’oïl.

En 2008 le thème de la journée LES PARLERS DU GARD organisée par Li Gènt dóu Bufaloun à Manduel était « L’Oustau« . En suivant ce lien, vous trouverez une vingtaine de textes à ce propos.

Dérivé: oustalet (m) : diminutif de ostal, « maison », ce terme désigne la « cabane en pierre sèche » dans les Cévennes gardoises et dans l’Hérault à Saint-Jean-de-Buège. (Lassure).  A Mirepoix  dans l’Ariège  les houstalets  sont des petites maisons. Notez l’influence de l’orthographe du français.

En provençal : l’oustalièro est la « maitresse de maison ».

la Mairie ( et non pas l’Oustau) de Manduel

Tibla, tribla

Tibla, tiblo, tribla « truelle »; tiblado « truellée ». L’abbé de Sauvages (S1) ajoute

« en style bas une tapée, donne-moi une bonne tapée de soupe. »

Tibla   est attestée en truelle Arles St_Blaiseprovençal depuis le XVe siècle seulement. mais comme  il y a encore beaucoup de documents à dépouiller, nous pouvons espérer des datations bien antérieures.

D’après le FEW tibla représente le mot grec tryble, τ ρ υ β λ η « écuelle, plat ». La forme, plus spécialement le -i-,  et l’extension géographique, provençal, languedocien et auvergnat, indiquent qu’il s’agit d’un des mots qui ont rayonné à partir de Marseille.

Beaucoup de mots techniques  nous ont été légués directement par les ancêtres helléniques des Marseillais et non pas par l »entremise des Romains. Les Grecs  ont apporté pas mal de techniques notamment dans le domaine de  la viticulture, cf. empeutar, et de la construction, cf. androune. Voir aussi le l’article petas, pedas une histoire de Grecs et de Romains. Si vous jetez un coup d’œil sur mon Index Etyma, vous verrez qu’il y a toute une série de mots occitans qui viennent directement du grec, sans passer par le latin.

Il n’est pas toujours facile de déterminer l’origine d’un étymon, grec ou latin, parce que les Romains étaient friands de mots grecs, un peu comme nous adoptons  des mots anglais, ou comme faisaient les Anglais qui empruntaient  des mots français depuis la Bataille de Hastings,1066 jusqu’au XXe siècle; cf. l’Index anglais.

Tartifle

Tartifle « pomme de terre ». Grâce à l’essor des sports d’hiver, tout le monde connaît aujourd’hui la tartiflette.

Les Savoyards croient qu’ils sont seuls propriétaires du  mot tartifle dont il est dérivé en oubliant qu’il appartient aussi au  provençal et au  languedocien de l’est (Ardèche, Gard). En plus toute cette région a emprunté le mot au dialectes du Nord de l’Italie : le  piémontais;  il est composé de terrae + tuber « terre + bosse, truffe » .

L’introduction de la pomme de terre en Europe s’est faite en deux phases.  Elle est venue du Pérou en Espagne au début du XVIe siècle et  de là en Italie où elle a reçu le même nom que la truffe : tartoufli, tartífoula.  De l’Italie elle a été importée en Suisse, notamment à Bâle, où le nom tartuffoli  a été adapté et transformé en Kartoffel, qui est devenu ensuite le mot allemand.   La forme suisse catofle  est bien implantée dans la région lyonnaise.

De la Suisse la plante est également importée dans le Dauphiné et probablement dans le Vivarais voisin ainsi qu’en Bourgogne au début du 17e siècle. 

Olivier de Serres qui vivait dans le Vivarais écrit dans « Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs » 2e éd. Paris 1603 p.513 :

« c’est arbuste dict cartoufle porte fruict de mesme nom, semblable à truffes, et par d’aucuns ainsi appellé ».

La pomme de terre,  à l’époque  une plante rare, était considérée comme une sorte de truffe,  du latin tuber qui a donné en ancien occitan trufa (XIIe siècle) « espèce de champignon souterrain, truffe » et le mot trufo, trufa, désigne toujours la « pomme de terre »  dans beaucoup de patois galloromans et en même temps la « truffe » ou le « topinambour » comme par exemple dans le Gard. Pierre Larousse donne pour tartifle « nom vulgaire de la truffe ».

Enfin en provençal et en est-languedocien c’est le mot piémontais qui a été adopté tartifle qui en languedocien au début du XVIIIe siècle avait les deux sens :  « topinambour »  et « pomme de  terre » (Sauvages) .   En Ardèche, par exemple à Saint-Alban d’Ay existe une autre forme piémontaise trifólas , devenue triffoles  en français régional

La deuxième phase n’a eu lieu qu’’au XVIIIe siècle, grâce à Antoine Augustin Parmentier, quand la pomme de terre devient un élément de la nourriture quotidienne partout en France et que dans le vocabulaire l’élément truffe a été remplacée par pomme.

 

Sopar, dinar, dejunar

Sopar verbe »prendre le repas du soir »; subst. « le repas du soir ». dinar, dinnar « prendre le repas principal de la journée, à midi ». dejuna (prononcez dédžuna) « prendre le repas du matin, en français ‘le petit déjeuner’. Pour l’étymologie voir le TLF soupe,du germanique *suppa « pain trempé », déjeuner et dîner  tous les deux du latin *disjejunare « rompre le jeun ».

Les formes occitanes et françaises sont presque identiques , mais les sens sont différents. Ce qu’on appelle des faux amis. Leurs histoires sont liées, ce qui m’incite à les traiter ensemble et de jeter un coup d’oeil chez nos voisins européens, pour voir ce qui est arrivé chez eux.

En surfant sur le web, vous trouverez de nombreux sites( 1 ; 2 ; 3 ; 4 ) qui décrivent et expliquent les changements de sens en français de l’étymon disjejunare « rompre le jeûne » qui évolue du repas du matin vers le repas principal de la journée pris à midi, puis le soir. En 1993 a paru un article de J.L.Flandrin Les heures du repas dans : Le Temps de manger : Alimentation, emploi du temps et rythmes sociaux de Maurice Aymard , Claude Grignon et , Françoise Sabban dont vous pouvez consulter des extraits (Google, livres), notamment les p.221 ss.

Les noms et les heures des repas en occitan ou en français régional n’ont pas subi le même décalage qu’en français. Au Canada également les trois repas sont le dejeuner, le diner et le souper. En 1756, l’abbé de Sauvages dit qu’en français je ne déjeune jamais le matin est un pléonasme comme dire je ne soupe jamais le soir , puisque le soir on mange la sopa.

Sopa est un mot  d’origine germanique : *suppa « pain trempé » déja attesté en ancien occitan:  sopa « tranche de pain sur lequel on verse le bouillon », sens conservé en catalan sopa « morceau de pain dans du bouillon ». Le mot existe également en néerlandais soppen « tremper », sop « jus, liquide; sauce »; sopbrood « trempette »; zeepsop « lessive », etc. En anglais sop « trempette » et le verbe to sop « tremper » l’adverbe soppy « très mouillé; > sentimental » milksop « une personne faible et inefficace » littéralement « trempé dans le lait » et le verbe to sup , a sup « une gorgée » font partie de la même famille de mots. En italien  zuppa  et zuppare « verser le bouillon sur des morceaux de pain » et inzuppare « tremper le pain dans la zuppa. !

La différence entre la soupe et le potage est justement que dans la soupe on trempe le pain. et de nos jours plein de bonnes choses. Une bonne soupe est un repas complet, tandisqu’un potage est un plat d’introduction. Sopa donne par conséquent le verbe sopar.

   
soupe                             potage

Autrefois tremper le pain était une nécessité! Quand je faisais mes enquêtes dialectales en Vallée d’Aoste dans les années ’60, mes informateurs m’offraient régulièrement du pain typique de la région, du Pan Ner c’est-à-dire du pain noir cuit dans le four communal, une ou deux fois par an et qui se conservait pendant des mois sur des rateliers. Il était dur comme un caillou. Il fallait bien le tremper.

Suivez le lien: Le pain du Val d’Aoste – Un pain noir original, parfumé, savoureux et bon pour la santé.

Les noms des repas dans les langues européennes

(Eine Übersetzung finden Sie hier)

 

 Langues
Repas du matin
Repas de midi
Repas du soir
Repas tard le soir
Autres repas
Occitan dejunar dinna(r) sopa cena saqueta; tuga-vèrme etc.
Catalan desdejuni dinar sopar cena
Français petit déjeuner déjeuner dîner souper casse-croûte; goûter; collation
Italien prima colazione pranzo; colazione cena cena spuntino; zuppa
Espagnol desayuno almuerzo; comida cena; comida cena tentempié
Portugais pequeno almoço almoço jantar cena refeição ligeira
Allemand Frühstück Mittagessen; Imbiss Abendessen; Abendbrot Abendessen Imbiss
Néerlandais ontbijt middagmaal; noenmaal (Flamand) avondeten; diner (chique) souper (chique) hapje
Anglais breakfast lunch dinner supper snack

Ci-dessous j’ai groupé les différents types étymologiques  des noms.

  • Le type « rompre le jeûne » : occitan et français déjeuner , dîner; anglais breakfast (break « casser », fast « jeûne »), dinner; espagnol desayuno; portugais jantar (étymologie du latin jantare, jentare « prendre le petit déjeuner », de la famille jejunus « jeun »). Un peu éloigné sémantiquement: portugais refeição littéralement « réfection », comme français restaurant.
  • Le type qui fait référence au contenu du repas : sopa, souper, supper (« tremper »); allemand Abendbrot (Brot « pain »); anglais lunch (voir ci-dessous); français casse croûte.
  • Le type qui fait référence à la quantité : petit déjeuner; pequeno almoço
  • Le type qui fait référence au moment de la journée: italien prima (colazione); allemand Früstück (früh « tôt) Abendessen ; néerl. avondeten (Abend, avond « soir »), allemand Mittagessen (Mittag « la moitié de la journée) ; anglais lunch une abréviation de luncheon attesté en 1580, nonechenche composé de none + le mot espagnol lonja « une tranche(de pain) ». None est la neuvième heure de la journée; comme en flamand noenmaal (maal « moment »); italien pranzo du latin prandium « premier repas ». Cena fait allusion au dernier repas du Christ, le soir, mais il semble que le mot latin cena dérive d’une racine dont le sens principal est « couper ».
  • Le type qui fait référence à l’activité « manger« : espagnol comida ( com + edere); allemand -essen; néerlandais -eten et italien pranzo du latin prandium qui semble être composé avec le verbe edere « manger ».
  • Le type qui fait référence à une activité faite pendant le repas: italien colazione, français collation Emprunt au latin chrétien collatio « conférence, entretien, discussion », « réunion de moines, conférence faite aux moines » , spécialement la lecture faite aux moines pendant le repas.
  • Le type qui m’a étonné le plus et qu’on trouve dans les deux familles de langues, fait référence à la manière de manger : 1) « mordre »: espagnol almuerzo, portugais almoço (du latin morsus) mais aussi néerlandais ontbijt et allemand Imbiss (bijten, bissen = « mordre) qu’on peut traduire maintenant par snack, casse croûte. ; casse croûte; anglais snack dérivé du verbe to snack « mordre; casser », un emprunt au moyen néerlandais snacken ‘mordre gouluement’ ; (> snakken « aspirer bryamment »); néerlandais hapje du verbe happen « mordre »; Italien spuntino « snack », littéralement « taille d’un pointe ». 2) « déguster » : Français goûter, espagnol tentempie « déguster debout, littéralement « tenter à pied ».
  • Très original est le témoin de St. André de Valborgne (Gard) qui a traduit : « prendre le petit déjeuner » > tuar lo vèrm.… »tuer le ver », .si on boit un coup de gnole (ALLOr-1171)

   

 

Sarga

Sarga « serge ». L’étymologie est  la même que du mot français serge: serica ou *sarica « tissu en soie » emprunté par les Romains au grec sèrikos [1. Le TLF écrit:  Du lat. pop. *sarica (d’où aussi roum. sarica « bure », esp. et a. prov. sarga « serge »), altér. du lat. class. sērica, fém. pris subst. de l’adj. sēricus « de soie », lequel est empr. au gr. συρικός de même sens, dérivé de Ση̃ρες « les Sères », peuple d’Asie qui produisait de la soie.  TLF. ]  Attesté en Lozère sarga  avec un sens généralisé « drap » (Thesoc).

Mais il y a deux questions.

  • La première : d’où vient le mot grec  συρικός?  comment le nom d’un tissu très noble et très cher a-t-il pu dégringoler à ce point pour désigner une « étoffe grossière dont la chaîne est de fil et la trame de laine »; far de sarga veut dire « faire de la mauvaise besogne » d’après Alibert. Tous les représentants   de serica  dans les parlers galloromans  ont subi cette dégradation. On se sert de la sarga pour transporter le foin ou couvrir un cheval.
  • La deuxième question concerne l’histoire et l’origine du mot soie.  Le TLF écrit:  Du lat. pop. sēta, lat. class. saeta « poil (rude) d’un animal; crins » d’où « tout objet fabriqué en soie ».  Pourquoi le français a-t-il aussi bien le mot soie « soie »  et créé d’autre part à partir de  serica  le mot « sériciculture »? 

Pendant ses conquêtes vers l’Asie, Alexandre le Grand 1 , a exploré les routes que mille six cents ans plus tard, Marco Polo appela « la route de la soie ». Pour les Grecs de l’époque la soie venait  d’un peuple lointain, les Sères, qui habitaient la Serica, un pays au delà de la Terra Incognita !  Sur la carte ci-dessous « Scythia et Serica ».

A gauche sur la carte la mer Caspienne.

Ci-dessous : Les   « Routes de la soie ». si- lù ( n.) en pidgin

Depuis quelques années les savants savent que les Sères sont les  « Tokhariens », c’est-à-dire les authentiques Ars’i-Kuci et que le pays des Sères est l’actuel Sin Kiang Pour en savoir plus! .

                  
            Sin-Kiang actuel                                             en pidgin si « soie ».

Il semble que le mot grec sèrikos ou surikos est un dérivé du mot chinois si.

L’anglais silk a peut-être la même origine, mais le mot a fait un autre voyage. Dans le site Etymonline l’ auteur cite les formes Manchourian sirghe, Mongolien sirkekLes mêmes formes sont données dans  dans le  Saga book of the Viking Society for Northern Research : 

 Sagabook of Vikingclub 7

La forme balto-slave shelku ou silkai est passé en anglais par les relations commerciales et peut refléter une forme dialectale chinoise.  Cela veut dire que l’importation de la soie  dans le Nord de l’Europe est passée par l’ Est de l’Europe.  Mais les critères linguistiques ne permettent pas de déterminer le chemin par où le  silk est arrivé chez les Vikings  Il est également possible que le mot   silk  est une altération slave de la forme grecque, introduit par les marchands arabes dans l’Est de l’Europe.  Pour en savoir plus cliquez sur les miniatures.

  

 

Le mot sériciculture a gagné la bataille et ne s’est imposé qu’au XIXe siècle. Voir mon article magnan.

  1. IVe siècle avant J.C.