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Mor, mourre

Mor, morre 1) « museau, groin »  fait partie d’une grande famille de mots qui vit dans les langues romanes autour de la Méditerranée, par exemple en catalan morro « museau; le devant d’une voiture, d’un avion etc. », fer morros « faire la moue », faire de mourres en occitan,  inflar els morros a algu = « casser la gueule à quelqu’un ». D’après Raymond Covès il est très vivant en français régional.

La répartition géographique de cette famille de mots jusqu’en sarde suggère une origine préromane *murr- d’après le FEW.
A partir du sens « museau » on arrive facilement à « nez, visage, figure » que nous retrouvons dans les dérivés comme ancien occitan morada « coup sur le museau ». La conséquence d’une morada  est qu’on  devient morut « qui a de grosses lèvres » (aoc.). Quelqu’un qui fait de mourres  est un  mouru « bouru, incivil, maussade, d’une humeur sombre et farouche » comme l’écrit l’abbé de Sauvages. En parlant d’un couteau ou d’une aiguille mouru est « émoussé ». Lou bé dë las âoucos ës mouru « le bec des oiseaux est mousse » dit-il.
A Alès le « rouget grondin » est appelé mourudo , à cause du grondement qu’il fait entendre quand il est pris ».

mourudo

Et d’après la forme du museau  nous avons dans le Gard le  moure pounchu « musaraigne », mais à Puisserguier le moure pounchu‘ est un  » rychnite de la vigne ». Pour les nombreux dérivés voir Alibert, qui donne entre autres le composé morre ponchut « sparaillon ».

    

En provençal et est languedocien le moure-pourcin est une plante, le « taraxacum officinalis » appelé ainsi parce que le soir quand la fleur s’est fermée elle ressemble à un groin de porc. L’image contenue dans cette dénomination  n’étant plus comprise, le mot a subi les pires traitements phonétiques dans les différents patois, au point d’ aboutir à repounchou à St Afrique par exemple.

Les habitants d’Aigues-Mortes sont appelés les morres pelats « museaux pelés » par les Pérolais.  (Achard, p.412)

Voir aussi l’article mourre « colline ».

Dans le Nord de la France et même en moyen néerlandais (morre « museau »), on trouve quelques attestations du type  *murr-. Le FEW suppose qu’il s’agit  d’emprunts à l’occitan. Il faut admettre qu’en galloroman *murr- est pratiquement limité à l’occitan et au franco-provençal., mais pas ses dérivés et les composés.  Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’emprunts, parce qu’on trouve un mot comme mornifle composé de la même racine *murr- + nifler dans les patois du nord et pas dans le Midi. Un lien avec le germanique murren  » grommeler, bouder », néerlandais morren ou au moins une influence sémantique ne me semble pas exclu non plus . En catalan le morro «  groin, le museau, la gueule d’ une personne qui fait la gueule » ; et fer morros « bouder » c’est plus que faire la moue, 

Moulon

Moulon « paté de maisons ». Dans le Compoix de Miirepoix de 1766, les pâtés de maisons sont appelés moulons. Il y a le moulon Saint Sacrement, le moulon Caraman. Voir le blog de la dormeuse.

Compoix_Mirepoix
Extrait du Compoix de Mirepoix 1766

D’après mes recherches dans les dictionnaires il s’agit d’un mot local. Ailleurs un moulon est un – « tas en forme de meule de foin. » et son étymologie est la même que celle de meule : latin mola «meule de moulin».

Mola prend en galloroman deux autres sens: « pierre , meule à aguiser » et « tas de foin ». Moulon est attesté dans de nombreux parlers occitans avec ce sens « tas; tas de foin, de chaume, de fagots, etc. ». L’image que m’inspire le moulon « bloc de maisons » correspond à celle de pâté de maisons « ensemble de maisons formant bloc », ou l’anglais block.

Le mot le plus courant en occitan pour « meule de foin »  est modolon  du latin mutulus  «Ornement de la corniche». en forme de col.

Nèci, nèssi

Nèci, nèssi, nècia adj. et subst. « nigaud, imbécile, niais ». Pour l’abbé de Sauvages nèci est  synonyme de baou. Dans le Gard le mot a été traduit à plusieurs endroits par « fou » (Mathon), ailleurs aussi par « paresseux, lent ». Nîmes nessi « fou ». A Alès est attesté le dérivé bien occitan neciardas « homme inepte« .

Nèci vient du latin nescius « qui ne sait pas ». La forme prouve qu’il ne s’agit pas d’un mot indigène, mais d’un emprunt au latin d’église. dans des paraphrases de  Matteüs 19:14, « Sinite parvulos venire ad me  Marcus 10:14  ou Lucas 18:16  « Sinite pueros venire ad me, et nolite vetare eos. talium est enim regnum Dei. » Parvulos  et pueros  ont été traduits dans les sermons par « innocents » ou « qui ne savent pas » . Voir le sens du mot niais « qui sort du nid » dans le TLF.

Ancien français nice « faible, innocent » a vécu jusqu’au XVIIe siècle. Qualifié de vieux ou régional dans le TLF. Anatole France l’a encore utilisé avec une connotation positive: « C’était une jeune paysanne assez jolie, l’air simple, nice et doux « (A. FRANCE, Vol dom., 1904, p.316).

Le mot a été emprunté très tôt par l’anglais où nice a eu une évolution sémantique étonnante : de « timide, peureux » (avant 1300); >  » fastidieux  » (vers 1380) > « delicate » (vers .1405) > « précis, soigneux » (vers 1500, conservé dans des expressions comme « nice distinction« ) > « agreable, delicieux » (1769) > « gentil, bien  » (1830).
Cela me fait penser au mot brave qui en français et dans les autres langues qui l’ont emprunté, a eu une évolution comparable :  de « courageux, sauvage  » > « bon, gentil » > « gentil, dit avec condescendance à qn.> « un peu niais »; ce dernier surtout dans le Midi.

neci et  » It’s nice to see you again. »

Nerta

Nerta « myrte » est provençal (1331 Maguelonne FEWVI/3,316b). D’après le commentaire du  FEW VI/3, 317b,  cette forme provençale repose sur une forme grecque mürta, latinisée localement en mœrta devenue merta par une évolution régulière et nerta par assimilation du m- initial au -t- de la deuxième syllabe.

Ailleurs c’est la forme latine murta avec un -u- long qui est à l’origine de l’occitan : murta (1300 Béziers) prêtée au français au XVIe siècle, murtro (Sauvages). Au XVe siècle est attesté un murta « sumac des corroyeurs » à Montpellier. D’après Rolland Flore, le nom nerto a traversé le Rhône dans le Gard où il a pris le sens de « sumac », à côté de murtro, multre « myrte » (Nîmes XVIe s.). A partir du XIVe siècle on trouve mirte re-emprunté au latin myrtus, dans des textes botaniques et cette forme française remplace par-ci-par-là la forme occitane.

le fruit du myrte fabrication de la mortadella

En ancien français mirtille est le « fruit du myrte », mais assez rapidement transférée sur l’airelle noire.
En Italie on fabrique certaines saucisses épicées avec des baies de morta mortella, de là la mortadella.
Mistral donne nertas avec le sens « coriaria myrtifolia » appelé  rodo, redoul, et ebriago .

Tina, tinel

Tina (f) : « nom donné, dans la garrigue de Nîmes (Gard), au cuvier en maçonnerie couvert par une voûte auto-clavée servant d’entrepôt provisoire de la vendange ou de la récolte à olives » (Lassure).

Étymologie : latin tina « cuve pour le vin, pour la lessive ».  (J’ai pas encore trouvé de photo de la tina nîmoise).
Pour les nombreux sens secondaires voir le  FEW XIII/1; p334

Dans notre région nous trouvons les deux sens du mot latin, ainsi que des dérivés comme  tinado « cuvée de vin, de linge » et tineu (tina + ellu) « cuve à lessive (ALF p.861) et en Lozère tinar « cuve à vendange « ,  tine  en français régional.

Un texte en ancien occitan provenant du Gard donne le mot tinel avec le sens « cave ». Je me demandais quelle évolution sémantique de « cuve » pouvait aboutir à « cave ». Je l’ai trouvée dans le site constructions en pierre sèche.

En latin du moyen âge il y a le mot tinellum  désigne la « salle à manger pour les serviteurs de l’hôtel d’un seigneur ».   Cette salle où l’on dépose aussi les tines, était située  plus bas que la salle à manger des seigneurs,  dans l’entresol donc, plus tard nommé la cave.
Confirmé par Borel de Castres:

Dans le Palais de papes à Avignon par contre:

La vaste salle du Grand Tinel forme l’étage de l’aile du Consistoire. Le terme de « tinel » est employé en Italie et dans le midi de la France pour désigner les salles à manger, ou les réfectoires. C’est ici que se déroulent les banquets organisés les jours de fêtes, en particulier lors de la nomination des cardinaux ou du couronnement d’un pape. Les jours maigres ou ordinaires, le pape est servi dans le Petit TinelPlus d’images et d’explications ici.

Le mot a existé en français, conservé dans tinette mais il n’y a pas d’attestations pour les dialectes du nord  de la France. Tinette est  probablement un emprunt à l’occitan ou au franco-provençal.

Un fidèle visiteur du Midi m’écrit que pour lui les tinettes étaient (sont?) « les chiottes »., un sent qui n’est pas attesté dans le FEW page 335, qui nous fournit par contre pour Le Havre : « baril de cabinet d’aisance ».

Un visiteur italien m’écrit:

 » En italien « tinello » c’est la salle à manger ordinaire (non pas celle de representance de la maison), mais différente de la cuisine. »

Dans le nouveau Dictionnaire Étymologique du Néerlandais (EWN, mauntenant en ligne etymologiebank.nl), le mot toneel  « la scène; théatre » est rattaché à cette signification de tinel. Je n’en suis pas convaincu. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une généralisation du sens « tonneau », étant donné que le tonneau, Butte en allemand, joue un rôle important dans le théâtre de rue tel qu’il est encore pratiqué pendant le carnaval en Allemagne et au Limbourg. J’ai écrit à un spécialiste pour avoir le coeur net et j’attends sa réponse.

Dand lr Gard est attesté tinel « endoit où on dépose les tines ». Quelues planchs suffisent pour transformer une dizaine de tines en scène de théatre; « toneel » en néerlandais.

Pour ceux qui comprennent le néerlandais, ici le lien vers l’article toneel du EWN.  Le sens le plus ancien attesté en néerlandais est « avant-scène, estrade ». Le même sens en Afrikaans. Vous risquez de rencontrer notre  tinel devenu  toneel  pendant vos voyages en Namibie!

Michel Wienin ajoute des informations actuelles sur les sens que tina et tinellum ont pris, ainsi que sur les toponymes qui en sont nés:

TINA, TINEL       :              La définition de Christian Lassure dont je ne remets nullement en cause la grande connaissance du domaine de la pierre sèche, est un peu ambigüe pour qui ne connaît pas ces édicules (dits actuellement tines ou cuves autour de Nîmes). Quelques beaux exemples : https://www.pierreseche.com/images/Nimes_tine_ruinee.jpg et surtout http://www.pierreseche.com/cuviers_de_la_garrigue_de_nimes.htm .

A Nîmes, comme ailleurs le mot tina a le sens normal de cuve et son utilisation pour désigner des mini-capitelles recevant temporairement la récolte d’olives (je n’imagine pas y mettre la vendange !) avant son transport au moulin n’est qu’un sens dérivé. Principales caractéristiques architecturales : petite taille, grande ouverture et surtout une lausa (dalle) fermant la base de l’entrée. D’autre part : la description « …au cuvier en maçonnerie couvert par une voûte auto-clavée servant d’entrepôt… » est erronée : comme pour tous les bâtiments de cette famille (capitelle ici, capeillette (capelheta) à Montpellier, cabane, cabanon, cabanon ponchut, c(h)aselle, chabotte… et borie pour les parisiens !), la voûte n’est pas clavée mais montée « en tas de charge », c’est-à-dire que les pierres, posées presque à plat, débordent les unes sur les autres par encorbellement et ne sont en général posées radialement que dans le plan horizontal (quelques médiocres contre-exemples en zones sans couches calcaires fines, pour des chaselles ardéchoises ou vellaves par exemple).

Le passage de tinel (tinal/tinau  en Languedoc) = grande cuve (fr. cuveau) au sens de chai n’est qu’une métonymie sans problème particulier comme pour cuvier en français.

En microtoponymie, le mot est habituel dans le Gard pour désigner des marmites de géants et autres trous d’eau, en concurrence avec  payròl (chaudron), gorg (gour), to(u)mple… Cf. par exemple Las tres tinas,  « Les très tinos » sur IGN, et de plus mal placé, car ce sont trois vasques profondes dans le lit de l’Aiguillon en aval de la grotte des Fées et nullement un point d’eau sur la colline ! (près du hameau du Roux, ~3 km au NNE de Lussan, Gard). Tinette est le diminutif naturel ; par exemple aux cascades du Sautadet, à La Roque sur Cèze (Gard), on parlait des grandes tines pour les marmites plurimétriques et de tinettes pour les plus petites, sur les côtés.