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Quilhar

Quilhar verbe transitif et pronominal  « placer dans un endroit très élevé; se percher », en français régional quiller (Manduel; Camargue); « dresser, empiler »(Alibert);  être quillé   se dit d’un « joueur au loto qui n’attend plus qu’un seul n° pour crier quine »(Andolfi).

Le verbe  est  dérivé de quilha « quille; plantoir, outil de gantier; jambe mince » d’origine germanique probablement ancien haut allemand kegil, allemand et néerlandais modernes kegel.

L’emprunt est  relativement récent. En français il n’y a pas d’attestations avant le début du XIVe siècle et en occitan les premières datent du début du XVIIIe s.
C’est l’emploi au figuré de quilha « jambe » comme fr. quille, attesté depuis François Villon, qui est à l’origine du sens « se percher ».

        

                                                                                                                              Quilho-mouto « traquet, oiseau »(M), quilhamota (Alibert).

Dans le FEW nous trouvons les significations suivantes: « se tenir sur une jambe, se jucher sur quelque chose d’élevé, comme les poules ». Le sens « se percher » se trouve surtout dans la région de Marseille et dans est-languedocien.

Est-ce que les Méridionaux sont des tricheurs?  Le verbe  quilhonar signifie « jouer » , mais aussi « duper, tromper ». On le dirait. Nous trouvons la même évolution sémantique dans maréla « jouer à la marelle ».

D’après Joblot s’enquiller est « partir à l’improviste. Se sauver en profitant d’un moment d’inattention: « j’ai vu le voleur au moment où il s’enquillait ». Le lien sémantique est peut-être la notion « prendre ses jambes à son cou » ou le sens « tromper, duper ».

Dans la moyenne vallée de l’Hérault, G. Lhubac signale en français régional le verbe enquiller avec les sens

  • « se faire avoir »; à mon avis il s’agit d’un euphémisme pour « entuber, enculer « ; l’expression est se faire enquiller. En argot enquiller « entrer, faire entrer (depuis 1725), pénétrer quelque part ». La métaphore est claire. Un visiteur me signale qu’ à Nîmes on dit enquiller une vis dans un trou, et enquiller des perles sur un fil. Je ne sais s’il s’agit de l’argot parisien qui est descendu dans le Midi ou de l’occitan qui est monté à Paris.
  • au figuré « endosser, assumer » comme en fr.populaire « caser, pourvoir d’une place » et en Sologne « endosser, mettre un vêtement »
  • « supporter, blairer au fig. », dans une phrase comme Cinq ans de prison, il faut les enquiller. (Lhubac). Probablement lié au sens « empiler ».

Dans le domaine galloroman le verbe quiller  et surtout  les dérivés esquillà, resquillà avec le sens « déraper, glisser »,  sont limités au Midi. Nous les retrouvons  dans  la  zone italienne et ibéro-romane voisine, quiller et  les composés avec  es- ou res- qui ont même sens « glisser sur, déraper, patiner ». Provençal resquilha, languedocien resquilha , esquilha. L’abbé de Sauvages (1750) donne reskinla « glisser », reskinladou « glissoire »; jouga a la reskinleto « jouer à écorche-cul ». (Un lecteur me signale que Littré connaissait ce jeu: « En glissant, en se traînant sur le derrière. Ces enfants jouent à écorche-cul. » ), resquiéto « glissoire ». Ce dernier signifie en provençal aussi « ricochet qu’on fait avec une pierre plate sur l’eau ».

Français resquiller « tricher » est un emprunt à l’occitan.  Von Wartburg a joint cette famille de mots à l’étymon kegil tout en faisant la remarque que la discussion reste ouverte parce que le lien entre quilha « quille » et esquilha « glisser », n’est pas clair ni du point de vue phonétique et surtout du point de vue sémantique.

Resquiller est entré dans le TLF, qui donne l’étymologie suivante:

Prononc.: [ʀ εskije], (il) resquille [-kij]. Étymol. et Hist. 1. 1910 intrans. « outrepasser son droit » (arg. des marins d’apr. Esn.); 1939 (Montherl., Lépreuses, p. 15); 2. 1910 trans. « obtenir sans payer » (arg. des marins d’apr. Esn.); 1918 arg. milit. (ds Esn. Poilu, p. 464: il avait resquillé tout le reste du litre); 1924 resquiller une place dans une auto (ds Esnault, Notes compl. Poilu). Empr. au prov.resquilla « glisser, faire un faux-pas » (Mistral), dér. de esquilha « glisser, fuir, s’échapper; s’esquiver », lui-même dér. de quilho, v. quille.

Voir aussi esquil « grelot ».

Mars 2018, un visiteur me signale le verbe ; »desquiller » ce mot était utilisé dans l ‘Hérault, dans le sens de  » faire tomber » . On desquillait une pigne en lui lançant des pierres. On desquillait les quilles au jeu de quilles. Et, curieusement, « desquiller » voulait dire aussi, galéger, exagérer, mentir. D’où « desquilleur » pour une personne dont on ne peut prendre la parole au sérieux.

« Tu desquilles! »: je ne peux pas te croire, tu exagères..

 

Queron, cairon

Queron « parpaing ».  Littré écrit au XIXe si-cle  : CAIRON. »Sorte de pierre servant à former les bords de la chaudière des savonniers.

De nos jours  presque toutes les maisons sont en  quérons : 2° Pierre molle qui sert à bâtir, et que l’on peut acheter toute taillée en petits cubes. Provençal moderne, caire, coin, angle.  » Voir carrel

Pot, poutoun

Pot « 1.(grosse) lèvre; 2.moue; 3.baiser » vient d’une racine celtique ou pré-celtique *pott « (grosse) lèvre » qu’on trouve dans les parlers gallormans jusqu’à une ligne qui va de la Loire jusqu’aux Vosges, ainsi qu’en lorrain et en wallon. En dehors de la Galloromania, il y a l’italien potta « vulve » et avec une dissimilation de la voyelle de la racine le catalan petà « baiser », ancien catalan potó (source), apetonar « donner un baiser ».

Dans beaucoup de parlers le mot pot a été remplacé sous l’influence du français  par le type lèvre au sens propre, mais est resté bien vivant dans les dérivés comme poutoun.

Pot « lèvre » est attesté en occitan depuis le XIIe siècle. Au figuré pot désigne « le bec d’un vase, le goulot d’une cruche ». Le pluriel potte a été pris pour un féminin sg. et signifie dans beaucoup d’endroits « grosse lèvre ». Potigros est attesté dans le Val d’Aran avec le sens « qui a de grosses lèvres » est aussi le sobriquet des habitants de Gaillagos, Hautes Pyrénées (C.Achard).

Les parlers occitans sont très riches en dérivés et composés et chaque localité en créé à sa guise. Poutarro est « grosse lèvre » à Toulouse, un poutarrüt « un homme avec des grosses lèvres » en Béarn, espouterla « rompre le bec d’un vase » à Toulouse devient despoutorlha à Millau. Despoutar est « sevrer un enfant » à Marseille.

  • Ad 1. Toujours à partir du sens « lèvre » nous trouvons en Provence et dans  l’est du Languedoc une comparaison avec la « méduse » appelée  pôto d’après l’abbé de Sauvages, confirmé par RollandFaune. Le mot est même passé dans quelques dictionnaires français du 18e-20e siècle sous la forme d’un dérivé : potéral, potera « nombre d’hameçons sans appât, ajustés autour d’un leurre de plomb, pour prendre des seiches ». Wikipédia me fournit l’info suivante: potera : en Méditerrannée : engin de pêche à la ligne . Voir « turlutte« .  Ce que j’ai fait: turlotte ou turlutte : « engin de pêche à la ligne constitué de trois gros hameçons dont les hampes sont ligaturées et entourées de fil de plomb, et parfois habillées de chiffon coloré pour attirer les proies. Sert à harper les poissons ou les calmars réunis en banc serré (par exemple pendant le frai). Synonyme en Méditerranée : « potera » ; synonyme en mers nordiques : « harpeau » ou « harpiau ».

Comme je ne suis pas pêcheur, j’ai voulu avoir le coeur net et j’ai trouvé une image.

  • Ad 2. Le sens « moue, bouche » n’est pas souvent attesté en occitan, excepté dans l’expression fa la poto « faire la moue ». Le verbe potinar, poutina « bouder » par contre est très répandu. Dans plusieurs endroits, p.ex. à Ytrac (Cantal) poutigná s’applique aussi aux oiseaux, plus particulièrement aux femelles et signifie « abandonner la nichée ». cf. Thesoc , poutiná en Dordogne, empoutigna Creuse.

Pour augmenter l’expressivité du verbe, le p- initial a été remplacé par un b- dans l’Aveyron : boutiná et emboutinat « boudeur ». Nous sommes dans un domaine de la vie de tous les jours où l’expression des sentiments joue un rôle très important. Expression de sentiments et créativité sont étroitement liées. Les Occitans étant libres et très créatifs linguistiquement parlant, ont formé d’inombrables dérivés et composés avec la racine *pott., comme repoutiná « gronder », repoutegá « bougonner; repliquer brusquement » (Alès), « gronder » (Aude), repotegaire « celui qui fait des repliques »(Mende), etc.

  • Ad 3. » Baiser ».Pot (à Toulouse et emprunté par le basque pot) est plutôt rare comparé à poutou(n) « baiser », poutouneger « faire des séries de poutoun » (Domergue), poutouná « baisoter » , poutounet « petit baiser », poutounaré, -élo « qui aimer à baisoter », poutounejá « baisoter » qui est très répandu en languedocien. A Roquemaure (Gard) il y a tous les ans, vers la St-Valentin la Festo de Poutoun.

Dans un article dans la Z 11, p.474 Schuchart étudie tous les mots basques du dictionnaire Basque-Français de W.J.Eys (Paris, 1873) qui commencent avec la lettre p- et qui ont un lien avec des langues romanes. Pot « baiser » se trouve à la p. 491

Pompa a l'óli

Pompa a l’óli « pompe à l’huile ».

La pompa a l’ óli [pompaloli] fait partie des treize desserts de Noel en Provence.  En français régional, ce mot donne souvent lieu à un petit sourire et à de la méfiance des belles estrangères.  » Mais non, ça fait pas grossir« ! Je peux le prouver par l’étymologie. Le verbe pompi  signifie  « frapper des pieds en marchant »,  ailleurs « trépigner »,  à Cahors c’est « frapper, battre rudement ». Tout cela ne fait pas grossir, au contraire. En occitan un pompidou (avec minuscule bien sûr) est un « coup retentissant ».

                    
pompa a l’oli  
               Aveyron                            Alpes                                            Provence

L’étymon est une onomatopée pomp- comme pamp-,  pimp-. Pomp- sert à exprimer deux sensations : une acoustique « un coup » ou une visuelle « quelque chose de rond, une boule ». En occitan, sauf en Gascogne, mais aussi en Lyonnais, des pompes sont des petits pains ou des gateaux. Dans les dictionnaires patois nous trouvons des définitions comme « gâteau de toute espèce; galette aux coigns; gateau fait avec la pâte de pain, mince et ajourée en quartiers; pain plat fait avec le reste de pâte ». A Marseille n’appelez par les poumpiers ! ce sont des gens « qui aiment les gâteaux »!

Un visiteur aimable me signale:

« que la poumpo à l’óli est typiquement de la région marseillaise (à ma connaissance), pour le Gard, ce sont les oreillettes qui sont servies à Noël et dans d’autres parties de la Provence, le « gibassier« .

Mistral donne les synonymes suivants: 

En langue d’oïl pomp- sert à désigner des objets de décoration ronds , comme des noeuds de rubans, des touffes. Un nez de pompette est « un nez violacé d’ivrogne » , un pompon « une houppe » et une pomponnette « une chanson à boire populaire ». Depuis le XVIII siècle pomponné veut dire « orné avec recherche ».

       

pompette                         pompon d’or             pompon de soldat

Il n’est pas impossible que le verbe provençal et languedocien espoumpi « gonfler, imbiber du pain dans la soupe », comme verbe réfléchi « se gonfler, s’imbiber d’un liquide » et l’adjectif espoumpi « dodu » ( déjà Sauvages) ont détaché sémantiquement sur la pompa a l’oli.

Il est clair que la pompa a l’oli n’a pas de rapport avec les pompes funèbres qui vient du latin pompa « cortège » , ni avec les pompes à eau ou d’huile de moteur qui nous sont venues des Pays Bas. Ces dernières viennent  du néerlandais pomp « pompe », qui en français, au pluriel, a développé le sens « chaussures ». Voir le TLF à ce propos.

Plegar, plier

Plega(r) « plier » mais aussi « emballer » vient du latin plicare « plier ». Plier a gardé en français régional le sens « emballer » (Lhubac), qui était encore admis par l’Académie en 1835. Le TLF donne l’exemple suivant : « il (= Napoléon) est entré à Vilna, chassant devant lui l’Empereur, qui à peine eut le temps de plier sa vaisselle.J. DE MAISTRE, Corresp., 1812, p.169. »

En occitan nous trouvons des expressions qui n’ont jamais eu cours dans la langue d’oïl. Se plega la testo « se coiffer » (S), plüga « fermer les yeux; dormir; jouer au colin-maillard », plegá las espaulos « hausser les épaules, plier les épaules ». L’abbé fait une distinction entre hausser les épaules : « on les hausse pour marque de mépris, de pitié, d’improbation; on les plie pour marque de soumission de résignation » Le sens actuel de hausser est d’après le TLF : « Manifester son indifférence, sa résignation ou son agacement par un léger soulèvement d’épaules ».

De plugous est « à tâtons » (S), en béarnais plegá est « plier les gerbes » d’ou la pléga « récolte ». L’abbé de Sauvages cite aussi le mot plégos « les antoques  ou lunettes des chevaux qui tournent en rond pour fouler le grain ».

Le -ü- dans certaines formes comme plüga est dû à l’influence du verbe *cludicare « fermer », (dérivé de claudere « fermer ») qui a abouti en occitan clucar, clugar « fermer (les yeux) » (Thesoc).