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Cardabella

Cardabella « carline à feuilles d’acanthe » est maintenant la forme la plus connue de cette fleur des régions sèches du Midi, grâce aux paysans militants du Larzac, qui ont appelé leur association la Cardabella.

 

Cardabello est le composé de carduus « chardon, artichaut » et bellus « joli, gracieux » en latin classique. Vous allez me dire, une histoire peu intéressante. Pourtant elle montre que la démarche du FEW c’est-à-dire de partir de l’étymon, éclaire autrement l’histoire des mots.

dipsacus sativa

Vers le IVe siècle latin classique carduus a abouti dans la langue parlée à deux formes: cardus, -i et cardo, -onis. La première forme cardus se retrouve en italien, catalan, espagnol et portugais cardo « chardon » et en français avec changement de sens carde, occitan carda « planchette garnie de pointes de fil de laiton pour carder la laine ». Cette utilisation ne peut provenir que du fait qu’anciennement on utilisait des chardons pour carder la laine. Plusieurs exemplaires d’une variéte speciale, la dipsacus sativa, liés ensemble servaient de carde (Weber Karde en allemand, c’est-à-dire carde des tisserands, en néerlandais kaarde) . A partir du moment que carda désigne l’outil de travail, on utilise l’autre forme, cardone(m) pour nommer la plante. C’est ce qui s’est produit en français chardon et en occitan cardon.

Quand on a remplacé la plante par une planchette, le nom de l’outil et de l’activité carder est resté.

                                                    

Les formes cardoulo, cardoulho etc. sont dérivés de carduus, comme cardaire « cardeur », Cardonel,cardounilho « chardonneret » sont dérivés de cardone(m).
Le maintien du c+a dans la forme française carde, est certainement dû au fait qu’au Moyen Age l’industrie de la laine était particulièrement développée en Picardie et en Flandres où cette forme est régulière.

Capitar

Capitar, capiter « réussir »(Lhubac); en français régional également « profiter » dans un contexte comme par exemple « on a capité du week-end avec les copains » (entendu personnellement à Genolhac, Gard, le 11.12.04). Dans le jeu de la pétanque capiter = « réussir »; Voir René Domergue.
L’étymologie est le verbe latin capitare > italien capitare « arriver quelque part; réussir ».  Capitare  est peut-être dérivé de caput  « tête », avec une évolution sémantique comme français achever.  Une autre possibilité est qu’il s’agit d’un dérivé  de capere qui existe entre autres en roumain capata  avec le sens « acquérir ».

D’après les données du FEW capita(r) est propre au franco-provençal et l’est du domaine occitan, jusqu’à Pézenas environ, avec les sens « rencontrer quelqu’un; réussir; arriver; trouver à point quelque chose ».

C’est un emprunt aux dialectes italiens voisins.    Capito?

Capejar

Capejar « dodeliner; avancer la tête avec précaution pour voir sans être vu » (Alibert).

Pendant l’été 2010 il y avait  dans le Midi Libre une rubrique « Avé l’accent » tiré du livre de Raymond Covès, Sète à Dire, où il parle de ce verbe qui d’après lui est surtout utilisé dans ouest-languedocien, mais il ne donne que le sens « dodeliner, avant de s’endormir » qui d’ailleurs existe également en catalan : « Ella capeja mentre les seves pupil·les llancen espires al jove immòbil. » (Josep Noguerol) .

La deuxième signification et d’autres qui s’en rapprochent, sont pourtant assez répandues : à Clermont et Puisserguier capejá « montrer seulement la tête, émerger », à Béziers « montrer la tête de temps à autre », à St.André dans l’Aveyron « affirmer ou nier qch. en branlant la tête » jusque dans le Gers cabejá « secouer la tête » et le béarnais «  »dresser la tête ».
Rouquier
donne aussi le sens « comprendre » que je n’ai retrouvé nulle part ailleurs.

J’ai failli oublié l’étymon, qui est bien sûr le latin caput « tête ».

Rasal "épervier pour la pêche"

Rasal s.m.« Epervier pour la pêche » (Alibert). Rasel  « réseau, tissu de fil en réseau » (Aude).  Etymologie: retiaculum « épervier pour la pêche » est attesté depuis le IVe siècle. On le retrouve en Sicile rizzagghiu, à Gênes  resaggiu, à Venise et dans le Piemont. En Occitan il est limité à la côte languedocienne. L’abbé de Sauvages (1756) ajoute: razal ou capêirou (chaperon), filet de pêcheur fait en cône. Lorsque le pêcheur est prêt à jeter ce filet, il en met une partie sur l’épaule en guise de chaperon.   A Agde est attesté la forme  risseau   par Duhamel de Monceau, en 1769, qui ressemble plus à  celle de Gênes.  Pour les amateurs de la pêche, j’ai joint à cet article sa description exhaustive de cette forme de pêche . Duhamel_du_Monceau_Traite_general_des_pesches_vol_1.pp. 26-30 Voir aussi la gravure ci-dessous.

     capeirou .

  Dans le  Traité général des pesches et histoire des poissons qu’elles fournissent, tant pour la substance des hommes que pour plusieurs autres usages qui ont apport aux arts et au commerce. Paris 1769-1782. 4 volumes1  de Henri Louis Duhamel du Monceau, de 1770 environ,  j’ai trouvé la gravure très détaillée que voici:

 

  1. Vous pouvez le consulter et télécharger sur internet-archiv

Trantanel

Trantanel  est « la bourdaine »  et « le garou à feuille étroite » d’après l’abbé de Sauvages dans la première édition de son dictionnaire, voir mon article canto-perdris; trentanèl , trentanèla « sainbois, garou ». (Alibert). Dans la deuxième édition (S2), l’abbé donne comme sens de trantanel « bourdaine » et supprime « le garou », et sous canto-perdris il donne seulement « garou » comme sens avec trintanelo comme synonyme. Je pense que c’est son frère, François, le fameux botaniste, physicien et médecin qui a attiré son attention sur la différence de ces deux plantes.

D’après le volume XXI « Mots d’origine inconnue » p. 112b du FEW, tantanel « daphne » est un mot typiquement languedocien, attesté au Moyen Age. Les formes avec -r-: trintanèl (Gard), trentanèl (Montpellier 1686), trantanel (Castres) avec le sens « daphne gnidium » sont plus récentes.

L’abbé de Sauvages n’est pas le seul à confondre bourdaine et garou. Dans le Gard et à Montpellier le mot désigne aussi la « bourdaine » et il y a une autre attestation à Forcalquier trantanéou « bourdaine ».  Les deux essences  se ressemblent mais  le garou ou sainbois pousse surtout dans des endroits secs et arides et la bourdaine dans des régions humides.

Littré a trouvé le mot trantanel dans  l’Instruction générale pour la teinture  de 1671  et il  le définit comme « Nom languedocien de la  passerina tinctoria, thymélées; cette plante fournit une couleur jaune. Nous avons la malherbe et le trantanel, qui sont deux plantes d’une odeur forte dans leur emploi, qui croissent dans le Languedoc et dans la Provence.

Etymologie.

En languedocien est attesté le verbe trantá, trantaliá, trantaleissá « vaciller, trembler »(S2) , ere en tranto « j’étais en balance si je ferais telle chose » (S2); trantir dans l’Alibert avec de nombreux dérivés: trantalhar « chanceler », trantol « échelle suspendue sur laquelle on conserve le pain…. », trantel « jeu de bascule »(Cévennes) etc.etc. Le mot est aussi vivant dans la haute Provence en français régional: Trantailler : « trembler, perdre l’équilibre.

A une re-lecture plus attentive de l’article trant- (onomatopée) « balancer, vaciller » dans le FEW , je trouve, un peu caché il faut le dire:

 Marseille tartonraire « passerina tartonraira » (1570) d’ou le nom scientifique.

Lors de la rédaction de l’article trant-  du FEW un paquet de fiches avec trantanel a dû s’égarer et par la suite le lien avec la racine trant- a été oublié, de sorte que toute la famille trantanel « daphne gnidium » ou « bourdaine » a été réunie dans les « incognita1« .

Le lien sémantique entre « balancer, vaciller, trembler » et les deux plantes « bourdaine » et « garou » n’est pas évident. Bien sûr il y a le tremol, « tremble » mais c’est un grand arbre dont les feuilles tremblent au vent et que tout le monde connaît. C’est en surfant sur le net à la recherche d’une description de la bourdaine que j’ai lu dans plusieurs endroits que les chevreuils raffolent de la bourdaine, qui pour eux est une drogue.
Dans Wikipedia : « son fruit, très prisé des chevreuils notamment, contient un alcaloïde aux effets psychotropes. Les chevreuils qui en consomment en fin de printemps errent sans conscience des dangers, particulièrement sur les autoroutes. » Autrement dit les chevreuils sont comme des ivrognes, ils vacillent. Peut-être qu’il y a eu un transfert de nom de l’effet vers la cause « la bourdaine ».    Balandino  dérivé de ballare « danser »  « grande cigüe qui donne lieu à des convulsions » est un cas analogue.

bourdaine

Marseillais tartonraire « passerina tartonraira », mais ailleurs aussi « garou; euphorbe épineux » et le groupe de mots trandoulá « balancer, trembler » trandol « balançoire », drandaïá « chanceler » (Alès) appartiendraient à la même famille de mots d’origine onomatopéique trant-. Le médecin-botaniste allemand Heinrich Adolph Schrader (1767-1836) a certainement visité la Provence, parce que c’est lui qui est à l’origine du nom scientifique.  Voir l’article tartonraira


tartonraire  « passerina tartonraira.Schrad. »

Trantala(r), trantailhar « chanceler, vaciller, secouer » est très bien attesté dans tous les parlers occitans.

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  1. Il y a 3 volumes de mots d’origine inconnue. Du boulot pour les étymologistes