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Abraser ‘brûler’

Abraser « foncer en parlant d’un chauffard;  mettre le paquet, insister (au sujet d’une femme);  brûler  (en parlant d’un alcool, du piment). »   Raymond Covès, Sète à dire. Montpellier, 1995 suggère l’étymologie abrasif et traduit  « cogner » en parlant d’un alcool, mais l’occitan abrasar vient d’une racine germanique *bras « charbon ardent », que nous retrouvons dans toutes les langue romanes, à l’exception du roumain. Il est vrai que l’élément *bras ne se trouve que dans les langues scandinaves, mais l’ancienneté des attestations dans les langues romanes, permet de supposer qu’il a aussi existé en gotique. FEW XV/1, 257

Le composé abrazar signifie en ancien occitan  « remplir d’ardeur » : Dinz el cor me nais la flama / Q’eis per la boch’ en chantan, / Don domnas e druz abrasou « brûler d’ardeur »:  Abrazar e cremar / Mi fai cum fuecs carbo. (Voir les très nombreux exemples dans le Dictionnaire de l’Occitan Médiéval.) Le deuxième sens donné par Covès  « mettre le paquet »  « Vas y, abrase cousi! » montre que l’ardeur des troubadours est toujours vivante à Sète.

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Est-ce que Gustav Klimt a connu cette miniature ?

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Le dernier troubadour de Sète a chanté Les amoureux des bancs publiques

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En occitan moderne abrasa a surtout le sens concret « mettre des braises, embraser » ( Mistral).  D’après  Covès il est vivant dans le français régional  à Sète et environs, avec des emplois figurés originaux, qui s’expliquent tous à partir de la notion « embraser, mettre le feu ». Le sens concret « brûler » se retrouve dans le dernier exemple de Covès :

Aouf. Il abrase  quicon, ce cognac !

Baude, rue de la -, Manduel

Rue de la Baude à Manduel
Mon informateur sur l’histoire de Manduel (Gard) m’ écrit à ma demande d’informations:

« A l’origine, d’au plus loin que je me souvienne, on ne parlait pas du quartier ou de la rue de la Baude. Cette rue n’existait pas mais il y avait le « pont de la Baude« , sur lequel la rue de Bellegarde enjambait ce ruisseau. Ce pont était l’entrée du village où se trouvait à droite l’usine à éther et à gauche l’hôpital et sa chapelle, où se trouvent maintenant les Services techniques. Dans le cadastre de 1809 la rue de Bellegarde s’appelle Rue du Pont de la Baude.

Manduel n’est pas le seul village avec une rue de la Baude. Le même nom existe à Saint-André-d’Apchon (42370), à Rochefort sur mer (17300), à Sainte Colombe (77650) et à Albi.

Après de longues recherches je suis enfin tombé sur une source fiable avec plusieurs attestations, le Glossaire Nautique :

« Bauda, baude, baudo, bando, bòudo, baoude, booudo s.f. (lat. validus). 1415: « …barcam munitam… I° librino et Ia bauda… Archives Dép. BdR. 351 E 142 f°74v°. 1758: « …les battudaire calleront sans signal et sans fer ou baude… » A.D. BdR. 250 E 5231. 1878-86: cablière, pierre qui sert à fixer l’extrémité d’un filet au fond de la mer. V. peirrau. F. M. L. A. 1973: grosse pierre où l’on a ménagé une cannelure qui en fait le tour et dans laquelle passe un cordage; pierre ou gueuse tenant lieu de grappin. Meffre. »

Bauda ne vient pas du latin validus, mais du germanique *bald « hardi, joyeux », attesté en ancien français et en ancien occitan. Comme substantif baut, baud désigne en moyen français « un chien qui ne chasse que le cerf », mais dans le Sud de la France nous trouvons les deux variantes du sens du mot germanique. A Grenoble une bauda est une « bourde, plaisanterie », à Puisserguier baudo est la « joie ». En provençal la báoudo est une »pierre attachée à une nasse », à Nice aussi. Dans le Val d’Aran la báwda est la »barre horizontale qu’on fixe à la porte de la maison pour l’assurer ».A Mende la baudo désigne la « grosse cloche ». Tous ces sens se rattachent à la notion « fort, grand ».  Nous retrouvons de sens « grosse pierre » dans des dictionnaires français de la fin du XVIIe siècle:  baudes désigne les « pierres qu’on attache aux filets des madragues » ou « la cablière où l’on fixe les filets ». Ce terme de pêcheur est certainement emprunté à l’occitan.

En ce qui concerne le Pont de la Baude, ll faudrait faire des fouilles archéologiques pour savoir quelle type de baude s’y trouve …

FEW XV/1,30 du germanique *bald

quicoun ‘quelque chose’

Quicoun « quelque chose » vient du latin quidamcum Voir FEW II, 1469a s.v. quidam « un certain ».  D’après les données du FEW  la zone géographique du mot est  limité au languedocien et à l’auvergnat.

Joel Pon, Histoires extraordinaires de patients presque ordinaires, paru en 2005, note p. 55  écrit : Quicoun como aco  expression en patois occitan qui signifie « quelque chose comme ça ».

Un quicomet, quicoumé est un « petit quelque chose »

L’évolution des formes pose quelques problèmes. Si vous voulez en savoir plus, il faut lire l’article de Schulz-Gora dans la Zeitschrift für romanische Philologie 53, p.93 et suivantes. (en allemand)

En ancien occitan a existé aussi la forme quezacom « une petite quantité », ce qui me donne l’occasion de faire une petite note de phonétique historique. Hier j’ai visité la Collégiale Saint Didier à Avignon   où se trouve le Gisant de  Saint Bénezet .

Gisant StBénezetEn dessous est écrit son nom en latin : Sanctus BenedictusBénezet est la forme occitane écrite avec un -é-pour que les francophones arrivent à la prononcer correctement.

Le nom Benezet est la forme régulière en provençal du latin Benedictus, en particulier le passage du -d- entre deux voyelles qui passe à -z-.  Autres exemples  sudare > suzar, audire > auzir.  Cette  évolution est relativement récente parce que dans les plus anciens monuments de la langue comme dans la Chanson de Sainte Foy, de -d-intervocalique est maintenu : audi,  Judeu, etc.

Dans le Limousin par contre  le -d- intervocalique  a disparu sans laisser de traces, comme en français (laudare > louer), toutefois les Limousins ont comblé souvent l’hiatus en y insérant un -v- : laudare > lauvar, audire > auvir.

 

 

api ‘céleri’

Api « céleri »  vient du latin apium  FEW XXV, 14b . Grâce à Racine et  Daudet  le mot se trouve encore dans le TLF :

« … sa façon de donner aux objets des tas de noms baroques, d’appeler les céleris des api, les aubergines des mérinjanes, la faisaient, elle [Audiberte], Française du Midi, aussi égarée, aussi étrangère, dans la capitale de la France, que si elle fût arrivée de Stockholm… A. Daudet, Numa Roumestan,1881, p. 107.
Rem. Attesté ds Littré (qui écrit apy), DG et Quillet 1965.
Etymologie … Empr. au prov. api « ache » (lat. apium, ache*) dep. Daudé de Prades, xiiies. ds Rayn., 1.2, p. 104a; l’api empl. par Daudet, supra est le mot prov. lui-même;
ache des marais

ache des marais

D’après le TLF s.v. ache , le latin apium ne désigne pas seulement « appium graveolens » ou l’ache sauvage, mais plusieurs ombellifères:

Du lat. apium (plur. apia) désignant un groupe de 6 plantes ombellifères, d’apr. André 1956, s.v., cf. Pline, Hist. nat. 19, 123 ds TLL s.v., 239, 62 : plura genera sunt … apia. Id enim quod sponte in umidis nascitur, helioselinum vocatur …, rursus in siccis hipposelinum …, tertium est oreoselininum … et sativi; attesté dep. Virgile, Églogues, 6, 68, ibid. 240, 22 (floribus atque apio crinis ornatus amaro) où il désigne l’apium graveolens L., var. sativum (d’apr. André, loc. cit.). Le fr. du nord ache et la plante qu’il désignait furent évincés par le céléri*, plante comestible, obtenue en culture par modification de l’ache et importée de Lombardie; ache conservé dans la langue des botanistes, et sporadiquement comme nom d’une variété comestible cultivée dans les jardins; voir aussi api2.

Api ou apit en ancien occitan, ache, aiche en ancien français désigne le céleri sauvage ou ache des marais.  Les attestations  de api « céleri » en français sont rares; le mot se trouve uniquement  dans les parlers franco-provençaux et occitans, api, apit et avec agglutination de  l’article dans l’est-languedocien et le gascon lapi.

Dans le Nord de la France ache est remplacé par céleri depuis le XVIIe siècle. Le progrès de   céleri au dépensde api est bien illustré dans la Lozère où , d’après les données recueillies par Rudolf Hallig entre 1932 et 1934, le nord du département a le nom céleri, le sud a conservé lapi. La zone api  s’étendait plus vers le nord au début du siècle quand Edmond a fait les enquêtes pour l’ALF. Ci dessous la carte céleri tirée du livre Lectures de l’ALF   .

CeleriALF

céleri

céleri

Dans le Var  est attesté le dérive  apioun « ache ». L’apium graveolens  s’appelle  eppe en neérandais, eppich en allemand, appio  en italien, api, apit en catalan, apio  en espagnol, aipo en portugais.

D’autres ombellifères ont un nom composé avec api. Dans le Gard la berle ou cresson sauvage (berula erecta) s’appelle  api bouscas  (bouscas « sauvage, bâtard).

api bouscas

api bouscas

Dans l’Hérault, le Lot et le Tarn l’ammi élevé s’appelle api fol, dans le Tarn-et-Garonne lapi fol, à Frcalquier api fer.

api fol

api fol

En ancien occitan est attesté le nom apiastro pour le « ranunculus sceleratus« ,  en français la renoncule scélérate ou renoncule à feuilles de céleri, ce qui me rappelle qu’à La Seyne  tronche d’àpi est une insulte.  L’auteur de l’article Wikipedia écrit : « La plante était connue au Moyen Âge comme « Céleri du rire » car son ingestion provoquait un rictus sur le visage de la personne empoisonnée. », mais je ne l’ai pas retrouvé dans les articles en allemand ou néerlandais qui disent que son ingestion rend gravement malade. Par contre frotter la peau avec le lait de cette plante provoque des ampoules, un moyen pour les mendiants pour se faire prendre en pitié.  Une tronche d’àpi ?

apiostra

apiostra

Le mot céleri vient de la forme lombarde seleri emprunté au grec σελινον . Voir FEW XI, 416.   En moyen français écrit avec sc-.   Je ne sais qui a décidé de supprimer le s- pour simplifier l’orthographe.

Tueis, tuy ‘if’

Tueis, tueï « If [et non thuya], arbre de la famille des taxacées (Taxus baccata) est attesté en Provençal (par exemple à La Seyne) et dans le Périgord.  Il y a dans le domaine occitan et franco-provençal deux formes : teis tech, tatch   « if » ou le dérivé  tasiñe « laurier-tin » (Alès)  qui viennent du latin  taxus  « if », mais aussi les formes tueis, tuei, tuy « if » qui ont subi l’influence ou viennent directement du grec τόξον (toxon) « arc à tirer ». L’explication de cette évolution sémantique  se trouve dans le fait que le bois de l’if était considéré comme le meilleur pour la fabrication des arcs  et des arquebuses. Grâce à Internet archive  j’ai pu retrouver la source de cette information :  Warburg Otto,  Die Pflanzenwelt 1, p. 343:

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If millénaire breton.

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                                                               Chalet Les Touisses

Dans le FEW XIII/1, 147b   von Wartburg écrit que la présence du mot en Périgord ne peut être un argument contre  cette étymologie grecque, parce que ce n’est pas rare de trouver des mots grecs qui se sont répandus à partir de Marseille dans tout le domaine occitan.  Nous retrouvons la forme provençale dans le toponymes comme La Touisse, Les Touisses. Voir le Pégorier, s.v. Tueis et Tuy

La latin taxus est aussi à l’origine de l’italien tasso, du catalan teix, de l’espagnol tejo, du portugais teixo et a été emprunté par le breton ; taouz.

Corominas propose une influence du mot thuya ce qui est rejeté par von Wartburg   pour des raisons  d’ordre phonétique.