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Escaravida et actualités

La dormeuse de Mirepoix, à qui on a enlevé le précieux Compoix pour des raisons de centralisation,  se venge en exploitant le Cartulaire de Mirepoix, numérisé par les Canadiens et  en libre accès au Canada à Toronto (Internet Archive).

Elle y a trouvé le Dénombrement des biens et valeurs de Jean V à Mirepoix en 1510  . Elle écrit:

Ce qui fait aujourd’hui l’intérêt de ce relevé, c’est moins l’évaluation de la fortune du seigneur que l’évocation de la cité de 1510, de ses ressources, de ses travaux et de ses jours ordinaires. Mirepoix passe pour avoir connu sous le règne de Jean V et sous l’épiscopat de Philippe de Lévis son âge d’or. En quoi consistait cet âge d’or ? On tirera du relevé reproduit ci-dessous une esquisse de réponse.

Le texte était une traduction de l’original  en latin avec quelques mots languedociens comme  guitou « canard »(guit, guito chez Mistral).   Je n’ai pas pu m’empêcher de feuilleter le livre. Comme historien de l’occitan je suis toujours à l’affût de mots nouveaux et  de datations nouvelles.  A la page 226 je tombe sur les  Tarifs et règlements de la leude (= taxe) à Mirepoix et à la Roque d’Olmes  daté de 13431 Ces tarifs nous donnent  un dessin aux gros traits noirs de la vie de tous les jours  à Mirepoix et ailleurs. Par exemple  (p.235)

« Juif  – chaque Juif ou Juive, qui passera par la ville ou le leudaire, doit payer, chacun, 8 deniers, par tête ».

Ce qui est toujours actuel et  n’ a pas changé depuis le début du XIVe siècle est la complexité des charges, taxes et autres impôts.   Un nom de marchandise  parmi les dizaines de produits de tous les jours qui étaient imposables, a fait tilt: Escaravidas

(Le jour de foire ou de marché une personne venant  de l’extérieur doit  donner une somada  sur 25 ,  les autres jours, rien.  Les  escaravidas  sont normalement transportées et vendues par somada  et si elles passent par le pays il faut payer. )

Qu’est-ce qu’une escaravida2  pour qu’elle mérite une taxe spéciale? Avec GoogleLivres j’obtiens un extrait d’un glossaire botanique de 1871 :

du « cumin des prés » donc mais  d’après  l’édition du  Ramelet Moundi   de Goudouli  (1re moitié XVIIe siècle) par Philippe Gardy (1984)  du « chervis ».

 Un tróc d’escaravida : un morceau de chervis, plante de la famille des ombellifères, autrefois largement cultivée, dont les racines étaient spécialement consommées pendant le Carême.

Mistral confirme: escarabi (gascon), escharavi et

L’attestation de  escaravida chez Goudouli était jusqu’à aujourd’hui la première  en occitan, maintenant elle  recule de trois siècles: 1343.

L’étymologie est le mot arabe  karawīya  « sium sisarum; carum carvi »,  devenu,    escaravi en occitan moderne, chervis  et beaucoup plus tard carvi en français.  L’histoire de ce mot arabe est assez compliquée.  Chez Lucius Junius Moderatus Columella ( AD 4 – ca. AD 70) et Pline le cumin s’appelle careum,  καρων en grec d’après le nom de la région d’origine Caria en Turquie. Le nom grec a été emprunté par les Syriens et ensuite par les Arabes, qui appelaient le chervis et le cumin des prés tous les deux karawīya. Les deux plantes se ressemblent beaucoup, leur utilisation par contre est très différente.  Le chervis est cultivé pour ses racines, le carvi pour ses graines.

Le chervis est une plante herbacée vivace de la famille des Apiacées, autrefois cultivée comme légume pour ses racines comestibles. Nom scientifique : Sium sisarum L., famille des Apiacées (Ombellifères). Noms communs : chervis, berle des bergers, chirouis, girole; allemand : Zuckerwurzel, anglais : skirret, espagnol : escaravía, italien : sisaro. (Wikipedia) néerlandais skirrei, suikerwortel. Suivez le lien vers la page de Rolland Flore pour les noms dialectaux du sium sisarum.

Le   carvi   est le cumin des prés (Carum carvi L.), une plante bisannuelle de la famille des Apiacées (Ombellifères), cultivée pour ses feuilles et surtout ses graines, utilisées pour leurs qualités aromatiques (comme condiment) et médicinales. (Wikipedia),  a la même origine, mais il nous est probablement venu par l’espagnol.

sium sisarum  chervis   carum carvi

racines de chervis    graines de carvi

 Il reste un autre problème de botanique. Les noms  qui viennent de karawīya  servent non seulement pour le chervis et le carvi, mais  aussi pour d’autres plantes.  Dans l’Ariège escarrabit et à Toulouse  escarabic désigne le « panais »  dans le Lot-et-Garonne la « carotte sauvage » est appelée  escarbichott.

Pourquoi Actualités dans le titre?  Vous avez vu que  l’histoire de   escaravida   illustre une fois de plus ma devise

« Parcourir le temps c’est comprendre le présent »

La centralisation des Archives dans l’Ariège date de 2012, le racisme ne date pas d’aujourd’hui,  les plantes oubliées sont très à la mode, les impôts toujours très compliqués;  les philologues occitans ont  toujours beaucoup de travail à faire, comme les ethnobotanistes et même les étymologistes.

 

  1. Leudaire: registre des taxes sur les ventes (leudes) de produits sur les foires et  marchés. Ces taxes peuvent être seigneuriales, royales (« leude majeure »), ou des communautés. Indirectement les leudes nous permettent de connaître la valeur de telle ou telle production agricole ou marchandise.
  2. Pasquier traduit erronément  par « écrevisse » en suivant de vieux dictionnaires. Erreur compréhensible; voir l’extrait de Mistral

Garriguette, la benjamine de la famille Garric

Garric « chêne kermès; chêne blanc; chêne nain; chêne en général » (Alibert). Garriga « garrigue, terre inculte où poussent les garrics; chênaie rabougrie ». Garriguettes, gariguettes  « variété de fraises créée en 1978 ».  L’étymologie est une base préromane *karr« chêne » ou  *karri- « pierre » sur laquelle les avis des étymologistes divergent.

Garric « chêne kermès » est attesté en occitan depuis 1177  en Rouergue(TLF).  Son dérivé garriga « (terrain avec) des taillis de chêne »  se trouve  en latin médiéval dans tout le domaine occitan. La première attestation vient d’un texte de 817  fait dans le  Couserans, une province gasconne dans l’Ariège.

Extrait de Niermeyer, Jan Frederik, Mediae latinitatis lexicon minus;  2 vol. Leiden, 1976. Vous pouvez consulter des extraits, dont la suite de celui-ci,  avec Google Livres.

Une comparaison de la carte de l’Atlas Linguistique de la France (ALF)  avec l’article de Mme J. Ubaud  sur les noms des chênes en occitan, montre clairement l’effet catastrophique de la normalisation voulue par les  « occitanistes ». Un exemple.  Même les rares  occitanophones dont l’occitan est la langue maternelle, doivent chercher dans un dictionnaire pour savoir comment appeler un « chêne kermès ». Mme Ubaud veut imposer  avaus, mot plutôt rare.  Le mot garric  ne se trouve même pas dans son article.  Pour connaître la réalité, mieux vaut de consulter le Thesoc s.v. chêne.

Carte extraite des   Lectures de l’ALF  de Gilliéron et Edmont. Du temps dans l’espace. par G. Brun-Trigaud, Y. Le Berre et Jean Le Dû. Voir Sources, liens, s.v. ALF 

Ces données sont à compléter par celles, incomplètes hélas, du Thésoc, qui montre que la zone garric   est ou était plus étendue. Il y a  une attestation de garric  pour la Charente!  L’article *karra  du FEW a été publié en 1940 et beaucoup de données manquent bien sûr.

Plus sur l’étymologie de garric et  garriga  dans le TLF s.v. garrigue.

La garriguette par contre n’a rien de préroman. Sa naissance date de 1978. Son histoire romancée :

Ou et quand est née la première gariguette?

– La première gariguette a vu le jour en 1978 dans les laboratoires de l’INRA à Avignon après 16ans de mise au point.1

se trouve dans le blog « Les Végétaliseurs ».  Cette histoire montre que la recherche peut créer du travail et de  la richesse. Intéressant dans la situation économique et politique actuelle.

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  1. Pour éviter que la suite se perde, je l’ai copiée et vous pouvez la  lire ici gariguette tirée_de Les Vegetaliseurs.

Actualités "Anguilles"

Les anguilles et l’industrie de la pêche à l’anguille sont  en baisse aux Pays-Bas et le reste de l’Europe depuis plusieurs décennies. L’Union européenne a donc décidé  un programme de redressement.

Il y a certainement des possibilités en Camargue.  Voir mon article  Bouirons « civelles » et la pisciculture des anguilles en Camargue.

Intéressé par les anguilles et la pisciculture? Suivez ce lien si vous comprenez l’anglais ou mieux encore  le néerlandais.

Il y a une vidéo  des  bouirons « civelles » qui rentrent dans une  rivière par un trou percé dans une écluse. Solution à un problème typiquement néerlandais (les polders) qu’on n’aura pas en Camargue.

 


 

Bouirons ‘civelles’ et la pisciculture...

Les bouirons  sont les toutes petites anguilles, en français les « civelles : Jeune anguille, de la taille d’un gros ver, ainsi nommée à la fin de sa période larvaire,…TLF). En cherchant des attestations du mot arabic « espèce de moustiques », j’ai suivi les indications de E.Rolland Faune et j’ai retrouvé l’article du baron de Rivière sur les anguilles en Camargue intitulé :

Le baron  de Rivière1, un homme très cultivé, donne un aperçu de l’histoire de la pisciculture depuis l’antiquité.  Il fait des propositions pour  développer l’élevage des anguilles en Camargue. Il a beaucoup voyagé et il conseille aux pêcheurs camarguais de suivre l’exemple des Hollandais.  En effet l’élevage et la consommation de l’anguille  y est/était importante. Mais la capture des civelles pour le marché asiatique et la pollution  menacent la reproduction de l’anguille. Voir l’article dans Wikipedia. Plusieurs copains qui connaissent bien la Camargue, m’ont dit qu’il n’y en a plus pratiquement. Dans le cadre de l’Europe, il y a actuellement des tentatives de faire revivre l’aquaculture ou pisciculture des anguilles. Voir cet article en anglais.

tête de civelle de 12 jours

Dans ses  Considérations2 , le baron nous fournit plusieurs mots locaux camarguais.

Bouirons

      

L’ennemi le plus dangereux a été l’homme. Il n’y en a presque plus.

L’étymologie de bouiron  est le latin botryo, botryonem « grappe de raisins », mot emprunté au grec.   L’image ci-dessus explique bien l’évolution sémantique « grappe de raisins » > « grappe de civelles ». Antoine Thomas  nous fournit une signification analogue et une explication plus précise:

bouiron1Thomas

bouiron2

Le FEW (I, 467a) suit Mistral et  classe birounado  comme dérivé de bouiron. Comme il s’agit d’un article du FEW qui ne sera pas revu ni corrigé, j’ai consulté le LEI  s.v. botryo, -onem. Là, il y a une remarque intéressante concernant l’influence du grec dans la Gallia Narbonenis . Le grécisme botro se serait répandu à partir de la colonie phocéenne en Asie Mineure et le type botryone aurait été créé dans le latin parlé dans la Gallia Narbonensis, ce qui expliquerait la survivance de bouiroun « grappe de vers enfilés pour la pêche des anguilles » en occitan (cf. ci-dessous Mistral)  et botiro  avec le même sens   en catalan.

A plusieurs reprises nous avons constaté qu’un mot grec a été introduit en occitan et notamment en languedocien, directement par les Grecs et non pas par les Romains.  Si cette explication vaut également pour bouiron  c’est le grec βοτρυων évolué en botryon en latin languedocien de l’époque,  qui est à son origine.  Voir aussi l’article petas ou pedas.

Fréderic Mistral  a plusieurs significations et deux dérivés  dans son Trésor:

Bouiroun1 Mistral

 

Les autres mots camarguais que j’ai trouvés dans les Considérations  du baron de Rivière, sont:

Les pougaou « anguilles de 500 gr environ ».

Les bomarenques  « anguilles de 125 gr »

Les pounchurotes  « petites pointues » synonyme de lufru.

Les margagnons  ou  lachinansqu’on appelle  soufflards  dans quelques localités.

Le  cod  « filet à anguilles »

Les   boutiques ou bascules, appelés  serves   dans le Midi. Ce sont des bateaux percés de trous en communication avec l’eau.

Les  anguilles de dégout  et  dégoutter les anguilles.    Degouttar avec le sens  « égoutter » est un dérivé de goutte  du latin gutta qui avait le même sens. Le verbe  et le substantif   dégou(t) sont assez courants en est-occitan.

En languedocien il y a un dicton sé noun plóou dégouto  « se dit par rapport à tous ceux à qui échoit une chance au-dessous de leurs prétentions, mais encore passable »

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  1. Il s’agit probablement de Louis de Rivière, maire de Saint-Gilles. C’est lui aussi qui a démontré la possibilité de la culture du riz en Camargue.
  2. Consultable ici en format PDF: Considerations_Rivière

Negochin, negafol, neguati

Negochin « petit bateau de pêcheur »  est  un mot plutôt provençal,  même s’il est attesté aussi dans leGard. L’étymologie est le latin necare + cane « chien ».  Le verbe necare   signifie « tuer qn avec violence » en latin classique, mais son sens s’est restreint à « noyer » dans presque toutes les langues romanes.

Ce nom est même passé en français. Dans le Grand Larousse de 1874  est écrit: 

NÈGUE-CHIEN s. m. (nè-ghe-chiain – du provenç. négar, noyer, et de chiain, à cause du danger de se noyer que l’on court en montant un de ces bateaux. Le mot périssoire a une origine toute semblable). Très-petit bateau dont on se sert pour chasser le gibier d’eau. On dit aussi NÈGUE-FOL.  NOIE-CHIEN  synonyme de nègue-chien

Negofol qui vient de necare + follis 1 est le mot courant de la rive droite du Rhône jusqu’à  Toulouse, le Tarn et Agen, mais dans cette dernière ville nègo-fol désigne la « renoncule aquatique ».

nègofol agenois

Mistral connaît beaucoup d’autres composés avec négo-:

        

Dans le Midi Libre du 25 juillet 2011, il y avait un article sur les activités de l’association Siloe. « Le neguati a été sorti de l’eau il y a quelques jours; les travaux de restauration supervisés par Siloe commenceront à la fin du mois. »

neguati article ML

J’ai l’impression que la forme neguati « barque traditionnelle des étangs de  Camargue »  donné par le Midi Libre est une adaptation régressive au français de la prononciation locale négatchi > negati  mais je n’en suis pas sûr.

 Voir aussi l’article ganchou

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  1. en latin classique « soufflet pour le feu; outre gonflée; ballon; bourse de cuir » qui a pris à basse époque en emploi adj. le sens de « idiot, sot » TLF