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Reboussier

Reboussier, reborsièr, -a.  « contariant, rebours, revêche, râleur ».  Hier soir quelqu’un me dit : « O, les Manduellois sont réboussiers!  » et il  m’explique qu’ils sont « râleurs, jamais contents ». Mais il n’y a pas plus reboussier que Pradet de de Ganges qui ayant appris que sa femme s’était noyée, remontait l’Hérault pour la chercher.

Google me signale qu’il y a 569 sites avec ce mot. J’ai l’impression que la forme est nîmoise. En effet dans le site de l’Huma je trouve:

« Ce phénomène culturel original est-il lié à l’histoire de ce peuple « nîmois » que l’on définit comme « reboussier »? Incontestablement. Et l’écrivain d’origine nîmoise Jean Paulhan l’a parfaitement exprimé. « Reboussier», cela veut dire toujours prêt à prendre le parti du contraire, le parti du refus, parce que le Nîmois est viscéralement attaché à son libre choix et à son libre arbitre. »

Les aficionados sont reboussié

C’est Charles Atger  qui explique l’expression  de Valleraugue Reboussié coumo Prodet de Gangjé. Prodet  doit être une figure connue dans l’Hérault, puisque Pau Chassary et Roman Deleuse ont écrit un livre intitulé Pradet de Ganges (A tots). 1986.
Mon informateur pour le patois de Valleraugue connaissait bien cette expression, !Prodet

Latin reburrus  « qui a les cheveux relevés sur le front », est  devenu rebursus par croisement avec reversus « renversé »Reburrus  est un dérivé de burra « étoffe avec de longs poils ». Le mot n’a survécu que dans le domaine galloroman notamment dans le nord : français à rebours et à rebrousse-poil.  L’adjectif reboussier est uniquement attesté en provençal (M), l’est-languedocien et en gascon : rebouichè (M).  Andriu de Gavaudan m’écrit :

Vadut en Losera, a Maruèjols, ai totjorn entendut la maire e’m díser qu’èri un « reboussié » reborsièr quand èri petit…Sabi pas se lo mot ven de la region de Nimes mès que s’emplegava e s’emplega a Maruèjols, Mende… e le mea maire n’avèva pas sonque ua coneishença passiva deu patoés (occitan). La maire qu’avèva rason; que ne’n soi un ! Coraumen

Un fidèle visiteur m’écrit:

Bon, encore une modeste contribution …

Je suis étonné de l’écriture « réboussiers » que je retrouve pourtant dans une rue de Sommières…
A Montpellier on dit « reboussaïre« , même terminaison que « tambourinaïre » ou « empegaÏre » (mots qui mériteraient une entrée dans votre dictionnaire).
La terminaison en « ier » me semble « francisée » à l’inverse de la terminaison originale (?) en « aïre« .
Je lui ai répondu que:
Bonjour,

Il y aurait une thèse universitaire à écrire à ce propos.

J’ai regardé dans le chapitre sur les suffixes dans l’Alibert et l écrit que le suffixe –aire  vient du cas sujet de l’ancien occitan –ator  et que ces mots donnent des noms de métier. Un reboussaire  est donc un « râleur professionnel » .  le suffixe  –iè, _iér  viendrait du latin -erium  et donne des substantifs ou adjectifs « abstraits ». Les Nîmois sont donc des « raleurs  chimériques » (Chimérique est le premier synonyme  de « abstrait » donné par le TLF)

Pour être sérieux je pense que  reboussaire  est un hypercorrecte forme de  l’occitan montpelliérain, parce que reboussier  ressemble trop à un mot français. Mistral ne connait que le forme en -iè, iér.

ReboussieMistral

Un lecteur me signale les sobriquets suivants pour les Nîmois:

  • Li rachalan qualifiait les paysans de Nîmes. ( Peut-être une déformation de bachalan? voir aussi bajana). cf aussi ce site sur Marguerittes, terre des Rachalans. 
  • manjo-merlusso pour le mangeur de morue qui appréciait la brandade.
  • manjo-loco pour le mangeur de loche, ce petit poisson du Vistre.
  • casso-lignoto pour le chasseur de linotte.
  • saùto-rigolo pour le sauteur de rigoles ou de ruisseaux.
  • li losso les lourdauds.
  • cébet ou céban. Dans les quartiers, celui de l’Enclos Rey, catholique et royaliste, était peuplé de travailleurs de la terre qui étaient surnommés les cébet ou céban pour oignons ou mangeurs d’oignons.
  • gorjo-nègro.  Chemin de Montpellier et la Placette habités par des Protestants des « gorjo-nègro », appelés aussi par dérision pé descaù pieds nus ou va-nu-pieds.
  • li verdets volontaires royalistes après le 9 Thermidor, en 1815 et pendant la Terreur Blanche.
  • gri haire pour les protestants qui ont pris Nîmes après la Michelade (le 30 septembre 1567). Ils étaient une centaine de soldats ayant de l’eau jusqu’à la ceinture dans le canal voûté de l’Agau, à avoir franchi les barreaux du Moulin de la Bouquerie, après les avoir sciés;
  • Li escambarla pour ceux qui avaient un pied dans le parti catholique et un autre dans le parti protestant.
  • Li mazetié pour les Nîmois qui allaient chaque dimanche dans leur mazet.

Raïous

Raïou, pluriel raïous « sobriquet des cévénols qui, pendant les guerres civiles sous Louis XIII (1601-1643), étaient du parti du roi. Ce mot signifie Royal ou Royaliste » (abbé de Sauvages). Le patois cévénol s’appelle le raïol. F.Mistral dans son Trésor explique que les raïous sont plus spécialement les Cévenols des vallées et versants méridionaux de la Lozère. Ce nom leur fut donné sous les Valois, à cause de leur vigoureuse résistance contre les Anglais qui occupaient la Guyenne.

Ci-dessous  vous trouverez un poème intitulé « Lous Raious » d’ Albert Arnavielle, félibre gardois, surnommé « l’Aràbi« , d’après son origine et son tempérament (un arabi ou alambi est une espèce de moustiques,dont la piqûre est brûlante), décrit par lui-même dans un poème publié dans Las Raiolos p.166-176.

Albert ARNAVIELLE
22.7.1844 (Alès) – 11.11.1927 (Montpellier)

LOUS RAIÒUS
I
Sèn lous Raiòus de las grandos Cevenos,
De raço antico e franco tiran dre.
Raço racejo: aitambé dins lu venos
Avèn de sang ni mousi ni mai fre.
Dau tems passa gardant fièro memòrio
Soun lous felens ço qu’èrou lous aujòus.
Lou vièl cabus i’a pas de pòu que mòrio,
Car lous Raiòus restaran lous Raïòus

II
Aiman aici nosto fresco naturo,  »
Bello toujour, mau despiè das ivèrs:
Coumbos, nauts mounts qu’an per cabeladuro
Boulegadisso à l’auro, lous boscs verds.
Aiman Gardou que sus la gravo rulo,
Boufant, bramant sous fourèges rajòus,
Noste cèl blu, noste sourel que brulo,
Aiman, aiman lou parla das Raiòus!

III
Dau jour glourious que, de vers la Garouno,
Contro l’Anglés luchant d’ounglo e de pèd
D’un rèi de Franço aparèn la courouno,
Lou noble noum de Raious nous toumbè.
Aquel noum soul dis ço que devèn èstre,
De l’aveni nous mostro lous draiòus
,,O pauro Franço, auriés lèu de ben estre,
Se per enfants n’aviés que de Raïous

IV
Per soun fougau lou qu’amour devario
Soun premiè sòu n’oublidara jamai;
Lou qu’aimo pas sa mairalo patrio
Acò’s segu, la Franço aimo pas mai.
Lou premiè sòu aqui l’idèio soulo
Que pot tira d’omes forts das maiòus
Nautres qu’avèn de fiò dins la mesoulo,
Sèn bons Francès, oi, car sèn bons Raiòus

Alès, janviè de 1872. Los Raiòlos 30 32.

Pot, poutoun

Pot « 1.(grosse) lèvre; 2.moue; 3.baiser » vient d’une racine celtique ou pré-celtique *pott « (grosse) lèvre » qu’on trouve dans les parlers gallormans jusqu’à une ligne qui va de la Loire jusqu’aux Vosges, ainsi qu’en lorrain et en wallon. En dehors de la Galloromania, il y a l’italien potta « vulve » et avec une dissimilation de la voyelle de la racine le catalan petà « baiser », ancien catalan potó (source), apetonar « donner un baiser ».

Dans beaucoup de parlers le mot pot a été remplacé sous l’influence du français  par le type lèvre au sens propre, mais est resté bien vivant dans les dérivés comme poutoun.

Pot « lèvre » est attesté en occitan depuis le XIIe siècle. Au figuré pot désigne « le bec d’un vase, le goulot d’une cruche ». Le pluriel potte a été pris pour un féminin sg. et signifie dans beaucoup d’endroits « grosse lèvre ». Potigros est attesté dans le Val d’Aran avec le sens « qui a de grosses lèvres » est aussi le sobriquet des habitants de Gaillagos, Hautes Pyrénées (C.Achard).

Les parlers occitans sont très riches en dérivés et composés et chaque localité en créé à sa guise. Poutarro est « grosse lèvre » à Toulouse, un poutarrüt « un homme avec des grosses lèvres » en Béarn, espouterla « rompre le bec d’un vase » à Toulouse devient despoutorlha à Millau. Despoutar est « sevrer un enfant » à Marseille.

  • Ad 1. Toujours à partir du sens « lèvre » nous trouvons en Provence et dans  l’est du Languedoc une comparaison avec la « méduse » appelée  pôto d’après l’abbé de Sauvages, confirmé par RollandFaune. Le mot est même passé dans quelques dictionnaires français du 18e-20e siècle sous la forme d’un dérivé : potéral, potera « nombre d’hameçons sans appât, ajustés autour d’un leurre de plomb, pour prendre des seiches ». Wikipédia me fournit l’info suivante: potera : en Méditerrannée : engin de pêche à la ligne . Voir « turlutte« .  Ce que j’ai fait: turlotte ou turlutte : « engin de pêche à la ligne constitué de trois gros hameçons dont les hampes sont ligaturées et entourées de fil de plomb, et parfois habillées de chiffon coloré pour attirer les proies. Sert à harper les poissons ou les calmars réunis en banc serré (par exemple pendant le frai). Synonyme en Méditerranée : « potera » ; synonyme en mers nordiques : « harpeau » ou « harpiau ».

Comme je ne suis pas pêcheur, j’ai voulu avoir le coeur net et j’ai trouvé une image.

  • Ad 2. Le sens « moue, bouche » n’est pas souvent attesté en occitan, excepté dans l’expression fa la poto « faire la moue ». Le verbe potinar, poutina « bouder » par contre est très répandu. Dans plusieurs endroits, p.ex. à Ytrac (Cantal) poutigná s’applique aussi aux oiseaux, plus particulièrement aux femelles et signifie « abandonner la nichée ». cf. Thesoc , poutiná en Dordogne, empoutigna Creuse.

Pour augmenter l’expressivité du verbe, le p- initial a été remplacé par un b- dans l’Aveyron : boutiná et emboutinat « boudeur ». Nous sommes dans un domaine de la vie de tous les jours où l’expression des sentiments joue un rôle très important. Expression de sentiments et créativité sont étroitement liées. Les Occitans étant libres et très créatifs linguistiquement parlant, ont formé d’inombrables dérivés et composés avec la racine *pott., comme repoutiná « gronder », repoutegá « bougonner; repliquer brusquement » (Alès), « gronder » (Aude), repotegaire « celui qui fait des repliques »(Mende), etc.

  • Ad 3. » Baiser ».Pot (à Toulouse et emprunté par le basque pot) est plutôt rare comparé à poutou(n) « baiser », poutouneger « faire des séries de poutoun » (Domergue), poutouná « baisoter » , poutounet « petit baiser », poutounaré, -élo « qui aimer à baisoter », poutounejá « baisoter » qui est très répandu en languedocien. A Roquemaure (Gard) il y a tous les ans, vers la St-Valentin la Festo de Poutoun.

Dans un article dans la Z 11, p.474 Schuchart étudie tous les mots basques du dictionnaire Basque-Français de W.J.Eys (Paris, 1873) qui commencent avec la lettre p- et qui ont un lien avec des langues romanes. Pot « baiser » se trouve à la p. 491

Parpalhon

Parpalhon « papillon », représente le latin papilionem. La forme avec insertion d’un -r- occupe un large territoire qui relie le nord de l’Italie, le catalan et le galloroman  jusqu’à la Loire.  Le mot a été prêté au français  où parpaillaud désigne  les  « huguenots, calvinistes » par allusion à une espèce de chemise dont les protestants firent usage en Gascogne, dans une sortie, pendant le siège de Nérac (en 1620). Pierre Larousse consacre plusieurs colonnes à cette étymologie  et énumère les différentes propositions, tout en concluant :

« L’étymologie tirée de parpaillot « papillon » est la plus plausible et paraît avoir été adoptée très anciennement, témoin cette chanson poitevine, contemporaine des guerres de religion :

Qu’ils sont gens de peu de cervelle
Ces malotrus de parpaillaux,
De se brûler à la chandelle
Après qu’ils ont fait tant de maux!

Pour les intéressés, je joins la page concernée de l’Encyclopédie de Pierre Larousse en format PDF

Un visiteur me signale une réinterprétation populaire: « Selon un ami protestant des Cevennes, on appelait les protestants « parpaillous » parce qu’ils se réunissaient la nuit comme les papillons de nuit. ».

Honorat donne dans son dictionnaire une troisième variante, que vous pouvez lire dans le site de Georges Mathon,Parpaillot

A Barre en Cévennes (Lozère) lou parpalhou est le « billet de banque » ( comme en français le papillon qu’il faut joindre au règlement de certaines factures). Dans le Gard le même mot désigne le « grimpereau de murailles » d’après Rolland, Faune. Le grimpereau est un tout petit oiseau constamment en mouvement..


Deux parpalhous Un visiteur me signale que celui de gauche est un grimpereau des jardins et celui de droite un grimpereau des murailles.

Panta

Panta « ventrée; farce, grimaces » (Quercy); « désir impérieux, inclination » (Toulouse) d’après Alibert.

En ibéro-roman a été formée une racine *pant- à partir d’une syncope de *pantica du latin panticem « ventre, panse ».  On le trouve par exemple en portugais panturra « gros ventre ».  Il a dû exister également en occitan : pantre « lourdaud » (gascon), pandalh « tablier » (Landes), pancarasso « grosse panse » (Bouche-du-Rhône), et même en franco-provençal pantarrou « panse des bovidés ».

Est-ce que Rabelais s’est souvenu de son séjour à Montpellier quand il a créé Pantagruel? Et que penser de l’archange Pantasaron, qui s’occupe des repas de fête, peint au XIIe siècle dans l’église de Vals dans l’Ariège1?


Photo Serge Alary, responsable de l’Association des Amis de Vals.

Pantasaron cum in conuiuio ueneris in mente habe et omnes congaudebunt tibi… « Aie Pentasaron à l’esprit lorsque tu prends part à un repas de fête, et tous feront la fête avec toi ». Suivez ce lien pour en savoir plus!

Un petit chemin de travers. En cherchant des mots en rapport avec panta « ventrée » je tombe sur Pantalon, qui en principe n’a rien à voir avec panta. Pantaleone est le nom propre d’un bouffon de la commedia dell’arte italien (XVIe s.) , vêtu d’un habit tout d’une pièce depuis le col aux pieds.  (TLF) Mais avant cette période, au Xe siècle déjà, San Pantaleone était le patron de Venise. Beaucoup de Vénitiens ont appelé leurs fils d’après ce Saint.  Dans les villes voisines, pantaleone est alors devenu un sobriquet pour  les Venitiens. Ce procédé s’appliquait à d’autres Saints, par exemple San Battista devient Baccicca pour Gênois,  et ce qui m’intéresse le plus   est le fait que  San Gregorio le patron de Genova  a  abouti à Gringo « Gênois ».

Or, pour les dictionnaires étymologiques anglais, gringo  serait une transformation de griego « grecque », parce que quand on dit c’est du grec , cela  veut dire « je n’y comprends rien ».  Américain  Gringo   « étranger » a été emprunté à l’espagnol mexicain gringo « étranger, Anglais  qui parle mal la langue espagnole » et qu’on ne comprend pas.

Et c’est ici que San Gregorio intervient! Un Gringo est un Gênois qui parle mal l’espagnol, comme par exemple Christophe Colomb le Gringo le plus connu du monde. Cette hypothèse demande plus de recherches.

           
San Gregorio                                         Le Gringo Colomb

Les indications bibliographiques données ci-dessous  ne sont pas sûres…Je n’ai pas pu le consulter.

  1. Un article sur l’église Notre-Dame de Vals et ses fresques restaurés se trouve en suivant ce lien