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Rusco, rusca, ruscla

Rusco « écorce; tan « (S), rusca « écorce; tan; gouttière pour conduire l’eau; surface d’une pierre de taille; lard de porc entier; prostituée; crasse, saleté; sainbois (daphne gnidium) à Donnezan » (Alibert).

Rusco vient du gaulois rusca « écorce » (> ruche en français). La première attestation se trouve dans un texte en latin médiéval du VIIIe ou IXe siècle. La famille de mots rusca est également vivante en catalan et dans le nord de l’Italie. Dans le domaine de la langue d’oïl rusca a été remplacé par le type scortea « écorce »et en Gasccogne par le type pellis.

Dans le TLF s.v. ruche je trouve: « les ruches étant à l’origine réalisées à l’aide d’écorces d’arbres comme le chêne-liège; l’ancienne dénomination est restée pour désigner la ruche en paille tressée apportée dans la Gaule septentrionale par les Francs, car le rapport du mot rusca avec la matière utilisée n’était plus senti, le lat. scortea ayant remplacé rusca pour désigner « l’écorce » (cf. aussi des dér. de rusca pour désigner des objets variés, seaux à linge, mesures ou formes à fromage, réalisés à partir d’écorce ».

  • Le sens « écorce » s’est maintenu en occitan et en franco-provençal, également dans des dérivés comme à Ales rusquá « ecorcer » et au figuré « éreinter; frapper quelqu’un ». Un lecteur me signale que dans la région entre Béziers et Narbonne dérusca quelqu’un c’est « lui nettoyer la crasse en grattant fort » et par extension l’équivalent de l’argot français « recevoir une dérouillée » = trapa uno déruscado.
  • Le sens « tan » s’explique par le fait que l’écorce du chêne contient beaucoup de tanin et sert à tanner le cuir. En France, l’écorce de chêne fut la principale matière tannante végétale utilisée pendant des siècles. L’abbé de Sauvages donne la description suivante sous rusco : « tan, ou l’écorce brisée et moulue dans le moulin à tan et qu’on met par lits, alternativement avec les cuirs, ou les peaux dans le fosse au tan, c’est par ce moyen que le cuir se fortifie, et qu’il acquiert en même temps de la souplesse, en absorbant les sels et les huiles qui abondent plus dans l’écorce que dans le bois. » Il donne aussi le mot rosco, je pense accentué sur la finale, avec le sens « tannée »: c’est le tan qui a déjà servi dans les fosses et qui n’est plus bon qu’à brûler et à faire des mottes à brûler. Le feu de tannée dure longtemps et uniformement; ce qui le rend très propre pour l’éducation des vers-à’soie ».
  • Uniquement en bas-limousin j’ai trouvé une autre attestation du sens « lard de porc entier ».  A  Lallé (Hautes Alpes) russia signifie « porc ouvert et salé » et à St.Martin de la Porte en Savoie c’est « la carcasse du porc débarrassée des organes intérieurs ». Cela doit ressembler à une ruche ou un arbre vue de l’intérieur…
  • Le sens « crasse, saleté » et au figuré « prostituée » de rusco s’est développé à partir du sens « écorce » > « croute ».
  • En ouest-languedocien et en gascon, un dérivé rusquié désigne le « cuve à lessive » et ruscado la « lessive », ruscà « faire la lessive » c’est-a-dire « enlever la crasse » à Toulouse.
  • Le sens « sainbois » doit s’expliquer par une utilisation ou un phénomène naturel, puisqu’en allemand il s’appelle Seidelbast (littéralement « écorce d’abeille commune » de Zeidel, « abeille » en langage populaire, et Bast, « liber, écorce »). Si vous savez pourquoi n’hésitez pas à me contacter.

Dans un site allemand, je trouve que les sainbois fleurissent très tôt au printemps et que les Zeidler « apiculteurs au moyen âge » mettaient autrefois leurs ruches au milieu des sainbois, ce qui expliquerait le nom. Le nom français sainbois, aussi saintbois s’expliquerait par le fait que l’écorce est utilisée comme vésicatoire en pharmacopée.

En ancien occitan on trouve une forme ruscla attestée à Tarascon et Nîmes aux XIVe-XVe siècles avec le sens « écorce ». Le mot est encore vivant dans les patois de l’Aude,  dans la région de Loriol et à St Hippolyte du Fort (Gard, voir ci-dessous vin de ruscle) etc., et le verbe composé avec porrum « poireau » : espourruscla « gratter l’écorce du pin » mais aussi « faire sa toilette à grande eau » en Lomagne. et là il doit y avoir une influence de notre ruscle « averse » ou bien celui-ci avec ce sens fait partie de la famille rusco, comme le catalan « ruixat » et le verbe ruixar « jeter un liquide en pluie ».

Parfois l’étymologie est utile! Ruscla « écorce »  Forme attestée depuis le moyen âge. Une visiteuse de St Hippolyte du Fort (30) m’écrit:

Bonsoir. Je cherchais une explication à une recette qui soigne le pelage des animaux qui se grattent et que je connais sous le nom de « vin de ruscle ». Grace à votre définition je comprends que ruscle n’est pas seulement une grosse averse mais aussi l’écorce. Le vin de ruscle est bien la recette que je connais : Faire bouillir de l’écorce fraiche de chêne dans du vin. Laisser refroidir et passer sur le pelage s’il n’y a pas de plaie. Merci beaucoup.

Ruscle

Ruscle signifie dans la région de Montpellier « faim canine » ( Alibert) . Une information confirmé par Lhubac qui définit  ruscle  par  « faim de loup » et Marius Autran pour le provençal : « Appétit dévorant.  » Ai lou ruscle «  je meurs de faim ».

Mais en rentrant du marché ma femme, toute mouillée, me dit « J’ai chopé un rúúúuúscle« . En effet à Nîmes, ruscle signifie « averse ». Confirmé dans un  site disparu, et dans une transposition en occitan des « Sabots d’Hélène » de Georges Brassens :

E la pauro Eleno
Ero coume uno amo en peno.
Tu qu’atendiés d’un ruscle l’aubeno

ruscle               ruscles

Le vide-grenier de Manduel, lundi 7 mai 2007  s’est terminé brusquement vers 4 heures de l’après-midi par un véritable ruscle. En quelques minutes tous les chineurs avaient disparus.  Un visiteur me signale que Louis Roumieux parle d’un « ruscle de cop de bastoun« . Ma copine catalane me dit « cela s’appelle un « ruixat » (prononcez ruichà). C’est le même mot, mais en catalan.  Je n’en suis pas sûr. Voir la fin de l’article rusco ci-dessous.

Juillet 2024: un visiteur  confirme : en Camargue un ruscle  est une grosse averse. Le mot  et ce sens sont aussi attestés en catalan.

Le latin connaît le verbe ustulare « roussir, brûler à la surface; brûler (en parlant du froid), attaquer »,  qui a abouti en occitan à usclar (voir ce verbe). Ustulare est un diminutif du verbe urere « brûler ». Rusclar doit être un dérivé avec re- qui renforce le sens. Dispersées dans le départements de l’Ain, dans le Périgord , à Marseille et dans le Gard rhodanien on trouve ces formes avec un r-, par exemple à Jujurieux rucler « brûler », à Périgueux ricle « incendie », et les mots donnés ci-dessus.

En ancien languedocien (XIIIe siècle) est attesté berusclar « brûler le poil à quelqu’un » qui existe encore en niçois bourouscla « flamber une volaille »; en provençal et languedocien besusclar « flamber » a abouti à Nîmes buscla et à Alès, en combinaison avec le mot charbon : chabusclá « flamber (une volaille); échauder » .

L’évolution sémantique n’est pas évidente.  Nous pouvons supposer que « brûler, roussir » > « brûler en parlant du froid » (déjà en latin !) a pu donner > » brûler de faim », > » avoir une faim de loup ».  Une évolution analogue  s’est produit dans les Hautes Alpes où   braso « braise » a donné abrasa « affamé ».

Le sens « averse » est expliqué par von Wartburg1 par l’image d’un pré après une averse qui ressemble à un pré brûlé , mais je ne trouve cette explication par très convaincante. Je pense c’est plutôt le bruit de l’averse qui fait penser à de la viande qui est entrain de roussir sur le feu. A midi ma femme a fait cuire des saucisses au piments d’Espelette. Essayez! Le bruit des petites gouttes de graisse qui sautent et salissent la plaque, imitent bien le bruit d’une forte averse! Une évolution analogue  se trouve dans la famille  raspon  » gratter » 2. Dans  plusieurs villages du canton de Vaud le mot rapaye « bruit de forte pluie; action de râper, écorchure, grosse averse ». Le bruit d’une forte pluie fait penser au bruit quand on met une viande dans la poêle, ou quand on gratte fortement un objet. Voir mon article Contributions à une nouvelle approche …  pour d’autres exemples de ce genre d’étymologies.

    ruscle     piments_d_Espelette

saucisses dans la poêle                                                                averse                                                      piments d’Espelette

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  1. FEW XIV, 81b
  2. FEWXVI,670a + 768b

Rousto

Rousto ‘volée de coups’, rouste en français régional, roustá « rosser » (Gard).

les Romains qui habitaient le Gard connaissaient très probablement le mot rustum qu’ils prononcaient à peu près comme en languedocien moderne rousto, mais à cette époque un rustum était ‘une tige, un rameau’. Pour des raisons éducatives ils s’en servaient pour roustár « rosser » leur progéniture. De là, les créations languedociennes roustoun, roustoù « testicules; rustre, homme grossier » devenu roustons en argot parisien., vulgaire ou populaire d’après le TLF.

Mistral semble avoir expliqué cette évolution sémantique « tige, rameau »  > « testicules »  : « parce qu’ils servent à battre » d’après une note dans le FEW, mais je ne l’ai pas retrouvée dans le Trésor. Le FEW l’a repris dans les ‘Incognita’ où il ajoute des formes franco-provençales de la Suisse romande comme risto ‘testicules des béliers’.

Le passage des mots qui désignent les « génitaux » à la notion  « rustre, imbécile » etc.etc. ne pose aucun problème; cf. français con, couillon et anglais fuck, néerlandais lul « pénis; imbécile », etc.

Une célèbre rouste

Le même étymon a donné en ancien fançais roissier « battre violemment » remplacé depuis par rosser. Flamand rossen, néerlandais afrossen « battre ».

Robin, robinet et roubignoles

Robinet. Etymologiquement robinet n’a rien à voir avec le mot roubine! Robinet a une histoire amusante dont je ne veux pas vous priver. Il vient de Robin, appellatif pour Robert. (cf. anglais Robin). En ancien français un robin est un ‘palefrenier; personnage sans considération, un facétieux, un niais’. Au XVIIe siècle on dit: c’est la maison de Robin de la vallée ce qui se dit d’une maison où tout est en désordre. Robiner est ‘dire des niaiseries’, et une robinette une servante.

Ensuite robin est utilisé comme nom d’animaux mâles, en particulier du bélier. Robiner signifie alors « saillir » en parlant du bélier. En occitan est créé le mot roubignoli  « testicules » (M) qui a trouvé son chemin vers l’argot parisien à la fin du XIXe siècle roubignoles (Sainéan).

Un robin est aussi une sculpture qui décore l’orifice d’une fontaine et très souvent c’est la tête d’un bélier. Ensuite depuis le XVe siècle  on appelle robinet la ‘pièce ajustée à l’issue d’un tuyau de fontaine et qui permet de laisser couler ou de retenir l’eau’.

 

  

cliquez sur l’image                              un robin-diable  de Beaucaire sans robinet

Depuis 1928 existent aussi les Roberts > les roberts.

Romana

Roman, romana :  1. »balance romaine » (Alibert)

             

Eh non, la romana ne nous vient pas de Rome!, mais  du Nord de l’Afrique, de l’arabe rumman(a) « grenade, le fruit du grenadier ». Dans des traités scientifiques arabes du XIe-XIIe s. la romana est décrite et notamment le peson qui se déplace sur la réglette et qui avait la forme d’un grenade. En valdôtain (Vallée d’Aoste, Italie) la romana désigne toujours le peson.

          

La plus ancienne forme en occitan est romà (XIVe s.), qu’on a retrouvé dans les parlers occitans modernes à Alzon (Gard) roumo « grosse romaine » et à Sumène roumo « romaine ».  Le mot est venu avec la chose par les relations commerciales, d’abord en Italie qui a emprunté le collectif rumman (> italien romano)  qui a ensuite pénétré en occitan.

Le singulier rummana nous est parvenu par l’intermédiaire de l’espagnol, le portugais et le catalan romana. Les premières attestations datent 1400. Dans son voyage vers le nord et Paris, la forme a été adaptée à l’adjectif romaine  « de Rome ». Ensuite il est revenu dans nos régions et la forme  a été adaptée  à la prononciation locale: par exemple roumèno dans le nord du Gard.

Il faut noter que les deux formes, romana et la francisée roumèna se rencontrent principalement dans les parlers occitans et franco-provençaux.

2. A la romaine (fr.rég. ?) Plusieurs mamans de Manduel m’ont raconté qu’après l’accouchement l’obstétricienne leur mettait un sac de sable sur le ventre pour que l’utérus se rétracte rapidement. Cette méthode décrite dans de nombreux sites internet, s’appelait dans notre région à la romaine. Je ne sais si cette expression est connue ailleurs. S’agit-il d’une référence à la romana ou à une méthode héritée des Romains.

3. Romana « sorte de salade verte ». D’après le Dizionario etimologico italiano :

Selon la légende, la salade aurait été introduite en France en 1389 à partir d’Avignon, alors cité papale, lorsque Bureau de la Rivière partit en Italie négocier le mariage du duc de Berry avec Jeanne d’Auvergne. Son développement s’est poursuivi en Europe du Nord tout d’abord puis en Amérique du Nord et en Australie suivant les migrations européennes dans le monde. Anglais romaine ou romaine lettuce.