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Estòussá ‘élaguer, émonder’

Dans le Manuel d’agriculture et de ménagerie qu’il publie à Toulouse en l’an II (1793-1794), le citoyen Fontanilhes1, à la suite des Physiocrates et dans le contexte de pénurie qui est alors celui de la Révolution, se propose d’instruire ses lecteurs du moyen d’augmenter la production agricole en France, et plus spécialement en Ariège et en Haute-Garonne.

L’auteur, pour être plus efficace utilise des mots régionaux, comme étaussage

« On appelle « rames »  l’étaussage 30 qu’on fait tous les deux ans, en Vendémiaire, des peupliers, saules, frênes, et tous les trois ans des chênes, en ménageant une coupe suffisante pour cha­que année. On met cet étaussage en fagots, qu’on fait sécher à demi ; on les enferme ou garantit avec soin pour l’hiver. La feuille étant dévorée par vos troupeaux,le berger ou métayer, qui ordinairement a fait l’étaussage à ses frais, se chauffe du bois qui reste. »

Etaussage « élagage, émondage ». D’après le FEW il s’agit d’un mot d’origine préromane *toutio- , *tautio-, *tottio- « tête, pointe » qu’on trouve en galloroman, italien et ibéro-roman.

Le dérivé estaucier signifiait en ancien français « tondre, tailler les cheveux » et en moyen français « tailler une haie vive, couper les grosses branches d’un chêne ».  Le FEW n’a pas d’exemples de l’occitan de ce verbe, mais il y a pas mal d’autres mots qui ont la même origine et qui sont attestés notamment dans l’Ariège, comme tàous « rocher », tàousou « petite élévation, éminence », tos « sommet » et tos dans plusieurs parlers gascons avec le sens « tronc d’arbre, auge ».

FEW XIII/2,132 *toutio2 est à compléter.

Google fournit 4 attestations du mot étaussage, dont le dernier date de 2007:

étaussage S.Fauchereau

Google fournit plus de 70 attestations du verbe étausser, dont celle de Charles Menière, auteur du Glossaire angevin étymologique comparé avec différents dialectes 1881, qui aimerais le rattacher  au celte:

etausseerAngevin

Slatkine l’a réimprimé, de sorte qu’on ne peut pas le consulter sur le web. Mais heureusement l’auteur  l’a publié également dans les Memoires de la société académique de Maine-et-Loire tome 36, 1881, page 191 ss qu’on peut  consulter grâce à Gallica. Pas la peine de dépenser 21€.

D’après la BDP le patois de Segré (49500, Maine-et-Loire) a été particulièrement mis à contribution.

Sous têtards il écrit:

tetard C.MénièreAngevin

  1. Voir l’article de Christine Belcikowski

gabels et souqious pour la brasucade

Gabels et souqious.  Le temps des grillades, tostada ; grasilhada ; carbonada,  (gascon), grasilhada ˜ grilhada (provençal), brasucada, grasilhada, carbonada (Languedocien)  approche. Le choix des braises est important1.  La qualité du bois l’est aussi. Dans son Dictionnaire francitan, Gilbert Lhubac donne l’article que voici: SouqiousLhubacL’étymologie de ces deux mots  comme les grillades d’ailleurs,  nous ramène à des temps préhistoriques. Souqious est un dérivé d’une racine *tsukka « partie du tronc d’arbre, souche ».  Il y a eu plusieurs propositions d’explication de la répartition géographique  notamment dans les Balkans et des différentes évolutions phonétiques de cette très grande  famille de mots. La plus convaincante pour le FEW XIII,353 est celle de Hubschmied jr. qui propose une pré-indo-européenne *tsukka, reprise par les Celtes et ensuite par les gallo-latins et les gallo-romans.

Gabel, gavel « fagot de sarments, sarment » dont l’étymologie proposée par le FEW IV,15 est un gaulois *gabella « andain d’herbes ou de blés » > « fagot de blés », « fagot de sarments, sarment », français javelle « chacune des poignées de blé scie qu’on couche par terre pour laisser le grain jaunir »; gabélo en occitan.  Le sens « fagot de sarments, sarment » est  très répandu dans tous les parlers. Cf. Le FEW IV,15

 souqious souqious   et gabels gabel

Le Dictionnaire Etymologique de Gilles Ménage ( (1613-1692)  de1650 mentionne gavel pour le Langedoc :

GillesMenage_gavel

 

 

 

  1. Si vous utilisez des sarments ou des ceps de vignes, soyez sûr qu’ils ne soient pas gorgés de pesticides.

roupe ‘vêtement’

Christine Belcikowski,  suit  toujours Les chemins de Jean Dabail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, L’Harmattan, 2014. Il y a quelques jours elle a raconté  l’horrible assassinat d’un marchand colporteur, aux Pujols. Dans les archives elle trouve des documents originaux qui témoignent de la vie de tous les jours au début de la République avec des détails tirés d’un procès verbal de l’administration.  Par exemple celui-ci:

Jean_Senesse_molinier1Et de suite le dit Jean Senesse, agent municipal, nous a conduit au lieu du hameau de Fournels, où était déposé un cadavre d’une taille d’environ cinq pieds, cheveux gris, nez fort, couché sur son séant, regard le ciel, habillé d’une bonne chemise, d’un gilet et pantalon de drap gris mélangé, d’une vieille roupe 3 vert de bouteille, des bas gris, des souliers ferrés.

Note 3: Roupe : blouse en drap grossier, fendue par devant, portée dans la Drôme par les bergers transhumants ; veste large ; sorte de redingote ; issu de l »espagnol ropa « paquet, bagage, vêtement » ; manteau ample ; vêtement de dessus.

A la fin de la lecture je n’ai pas pu m’empêcher de suivre seon indication étymologique.  En effet le mot roupe  semble venir de l’espagnol.  Le Diccionario de la lenga española  donne les définitions suivantes :

Espagnol ropa a des  sens assez vagues: « Prenda de vestir. »   ~ blanca. «  1. f. Conjunto de prendas de tela de hilo, algodón u otras materias, usualmente sin teñir, que se emplean debajo del vestido exterior, y, por ext., las de cama y mesa.  »  ~ de cámara, o ~ de levantar.  1. f. desus. Vestidura holgada que se usaba para levantarse de la cama y estar dentro de casa.  ~ hecha. 1. f. La que para vender se hace en diversas tallas, sin medidas de persona determinada.   ~ interior.  1. f. La de uso personal, bajo las prendas exteriores.  ~ vieja.  1. f. Guisado de la carne y otros restos que han sobrado de la olla.   etc.

Ce dictionnaire indique que l’espagnol ropa vient du gotique *raupa   un dérivé du verbe  raupjan « déchirer » rupfen ou raufen  en allemand moderne.  Mais il y a un problème historique. Il n’y a pas d’attestations d’avant le XVIe siècle, et en plus ce sont des dérivés comme français roupille « manteau ample, guenille », roupiho « guenille » à Marseille et ils sont plutôt rares. Le mot roupo qui désigne toutes sortes de vêtements  amples en général, est fortement attesté dans tout le domaine occitan et franco-provençal.  En plus la première attestation vient du gascon, dans le texte de Gérard Bedout, Lou parterre gascoun coupouzat de quouate carreus. de 1642.  Pourtant l’extension géographique de roupa, jusqu’à la Suisse romande reste à expliquer.  Voir  FEW XVI, 680

esquisso ‘ébauche’

Esquisso  ‘ébauche, premier crayon d’un ouvrage » (Marseille, Achard C.-F) a bien sûr la même étymologie que le mot français.  J’y reviens parce que cette histoire mérite de une place à part. Elle était un peu perdue dans  l’article esquicher, mot occitan que tout le monde connaît.

Dans les parlers italiens, occitans et catalans  existe une grande famille de mots qui ont tous comme origine une onomatopée skits, skitš qui imite  le bruit que fait un liquide quand on le fait sortir par pression1. Pour le riche développement de ce mot voir l’article esquicher.

A cette famille appartient le mot italien schizzare qui signifie « faire jaillir un liquide sous pression » et le substantif schizzo qui désigne cette action. . Schizzo signifie également « la tache qui naît en faisant jaillir un liquide ». Puis  au XVIe siècle   Giorgio Vassari2  peintre, architecte et écrivain  utilise schizzo  avec  le sens « premier plan d’un ouvrage d’architecture ».

A cette époque la langue italienne jouait en France le rôle que l’anglais joue de nos jours. La première fois que le mot apparaît en français c’est sous la forme esquiche « premier plan d’un ouvrage d’architecture » en 1567, ensuite c’est  esquisse depuis 1611 dans le dictionnaire de Cotgrave, qui donne quand-même le verbe « esquicher » pour « tracer le premier plan etc. ». Le sens du mot s’est généralisé en passant dans les autres arts plastiques, dans la littérature et enfin   depuis la deuxième moitié du XIXe siècle esquisse devient pratiquement synonyme de « ébauche ».

esquissoesquisso ?

Plusieurs dictionnaires proposent schedium comme étymologie, mais von Wartburg écrit que cela est peu probable sinon impossible  pour des raisons d’ordre phonétique. FEW XII, 6

 

  1.   En allemand il y a le verbe spritzen qui a exactement le même sens.
  2. « Le vite de’ piu eccelente architetti, pittori e scultori italiani »  1550

paoumoulo, poumélo

Pamoûlo « escourgeon ou paumelle, espèce d’orge à deux rangs de barbes dont le grain sert pour les tisannes d’orge et pour faire de la bière » « (S 1756).  Etymologie : latin palmŭla « petit palmier », mais le mot n’a survécu dans les langues romanes qu’avec le sens « paumelle ». Le nom botanique est Hordeum distichum (L.).

pamoulo

pamoulo

La première attestation vient de la région nîmoise  palmola, XIIe siècle.  Dans les parlers occitans modernes nous trouvons plusieurs variantes comme paoumoulo, paoumouro (Marseille), palmoulo, etc. en provençal et en languedocien. En gascon et en limousin c’est le type balearicus > bailharc, balhart et balharga qui domine1 (FEW I, 214). Cette répartition géographique qui existait déjà au moyen âge s’explique par le fait que l’orge espagnol avait depuis l’Antiquité une excellente renommée. Pline parle de l’orge de Cartagena2

Les recherches archéologiques ont montré que l’Hordeum distichum  était inconnu dans le Nord de l’Europe. Il n’y a été introduit que beaucoup plus tard. Le nom français paumelle ne date que du XVIe siècle et a été emprunté au provençal ou le languedocien, avec une adaptation:  la finale –oulo étant pris pour un diminutif a été transformée en –elle.

Cette forme française paumelle a d’ailleurs influencé dans certains endroits le nom local, comme par exemple à Valleraugue (Gard) poumélo.
FEW VII, 517

  1. Ce mot a été emprunté par l’anglais barley, d’après le FEW, mais le Online Etymology Dictionary  cite un ancien anglais baerlic  adjectif  « d’orge » , dérivé de bare « orge ».
  2. La ville catalane dont le nom a été donné à la cartagène.