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Clausado "enceinte"

Clausado « enceinte » est dérivé du latin clausus le participe passé du verbe claudere  « fermer ». Dans de nombreux cas cette forme verbale a été substantivé,  comme dans  clau « enclos, jardin ».  Clausado  est un terme de droit ancien comme il ressort du dictionnaire de l’abbé Sauvages (S2):

L’abréviation  v.l.  signifie « vieux langage ». En effet O. de Labrusse  le mentionne dans sa définition des 3 types de Compoix ou  coupés:

Compoix à clausades : « il n’est plus tenu compte de la nature des cultures mais de la proximité de la parcelle cultivée par rapport au village. Le terroir est divisé en zones d’allivrement plus ou moins nombreuses, nommées , selon les régions, cercle, circuit, clauzade, vaute, termine ». C’est la zone la plus rapprochée du village qui est la plus imposée, l’allivrement décroît avec l’éloignement du village ». Exemple de compoix (1597 et 1652) à 3 clausades, celui de Langlade (30) en Vaunage :

Compoix Clausade par Barry J.P.1955

Sur cette carte on note également, que les zones d’allivrement, les clausades, prennent en compte la diversité, les différences de terroir (et pas seulement la distance au village). La clausade 1 est en plaine, la clausade 3  recouvre les reliefs (garrigues) (O. de Labrusse).

Le vocabulaire a changé, mais les principes sont restés! Vous retrouverez  les coumpés  et  clausades  dans votre feuille d’impôts fonciers, qui distingue fonds bâtis et fonds non-bâtis. Cherchez par exemple les définitions du mot allivrement.

 

Engrèner 'appâter;lancer un conflit'

Engranar  engrèner ou engrainer en français régional : « faire des histoires, lancer un conflit, appâter un joueur pour un jeu d’argent. » (spécialement dans  le milieu de  la pétanque, voir  René Domergue,  Avise, la pétanque).

L’étymologie est le latin granum  « grain, graine ».

Alibert donne e.a. les sens suivants:  « balayer;  appâter avec des grains »;  v.r. … « s’enrichir ». Ces  sens  n’existent pas en français, ni en argot. Je pense qu’il s’agit d’une évolution sémantique régionale.

Il est possible que le sens « s’enrichir »s’est développé à partir du   L’abbé de Sauvages  cite le proverbe  Lou përmié k ës âou mouli engrâno  « le premier venu met son  blé dans la trémie » (S1).  Des expressions analogues existent en anglais first come first served,  et plus proche de l’occitan le néerlandais wie het eerst komt, het eerst maalt (le premier venu moud le premier ) . Être le premier servi  a des avantages.

Il est aussi possible que le sens  « s’enrichir » s’est développé à partir du sens « nourrir avec les grains », plus spécialement « appâter des oiseaux en jetant des grains »., qui est devenu « appâter » en général.  Mistral donne l’exemple suivant  :

         engranar appâter

Le sens  « appâter des oiseaux en jetant des grains »,  est probablement à l’origine de deux évolutions sémantiques.

  1. Le but  de engranar « nourrir »  est d’ enrichir celui qui engrane . Celui qui s’engrane s’enrichit. Une évolution très actuelle dans cette période de « crise ». Les banques nous ont engranés  pour s’engraner.
  2. Celui qui s’enrichit crée des jalousies et des imitateurs qui  allèchent au « jeu » , même dans le domaine de la pétanque. L’argent est à l’origine de presque tous les conflits.

J’ai l’impression que l’argot parisien qui connaît le mot engrainer  « allécher au jeu d’argent » depuis le fin du XIXe siècle, l’a emprunté aux parlers occitans.  En tout cas les attestations occitanes (Vayssier, Mistral) datent de la même époque et sont légèrement antérieures. Si vous rencontrer  une attestation plus ancienne, contactez-moi!

Le lien sémantique  avec « grain » du  sens « balayer »   n’est pas évident. Ce sens est d’après Mistral  limité au Languedoc et au Quercy.

Calos "trognon, chicot"

Calos« trognon, chicot »;  « gros bout de bois. Personne rugueuse. Obstacle. » René Domergue. A Sète  « rebuts, restes, trognon, partie dure d’une plante » (Camps). »  Calos  « trognon de chou ou de quelque autre plante » Sauvages S1. Calos  et ses dérivés comme caloussas « gros trognon »,  caloussu « robuste, bien membré » (Alès) se trouvent dans tous les parlers occitans, des Alpes jusqu’en Gascogne.

Calos phonétiquement kalòs,  est très vivant en français régional, en tout cas à Nîmes.

La première attestation  date de 1392 et vient du Rouergue   calos de redorta  » chicot d’un rameau pliant qui sert de bâton »1

Le  FEW suggère l’étymon grec καλα le pluriel de καλον « bois, principalement bois coupé, bois sec à brûler ». Le mot καλα  est rarement attesté en latin. C’est la raison pourquoi von Wartburg pense qu’il est parfaitement possible que ce groupe de mots a été introduit directement par les Grecs dans le Midi de la France. Le fait que καλα  n’est conservé qu’avec des suffixes d’origine prélatins, comme  –okku  dans le Nord-Est   et -ossu  dans le Midi, renforce cette hypothèse d’un emprunt direct au grec. Les Grecs auraient introduit ce mots à l’époque des premières colonisations  dans le Midi, ce qui expliquerait la présence des suffixes préromanes, les Celtes n’étant pas encore arrivés.

A la fin de l’article Souche (FEW XXI,60a-b) l’auteur renvoie vers l’article Fougère (FEW , vol 21, 164a) où se trouvent réunies les attestations nord-occitanes  de challaye, challage (Forez), chalosse (Poitou), qui appartiennent probablement à la famille  cale  « souche » du grec kala.

Il y renvoie aussi à l’article Tiges, fanes de légumes, etc. ( FEW , XXI, 120b) où se trouve un grand groupe de mots chalosse  « tige des plantes légumineuses…. »  chalaille  « tiges desséchées…. », et  dans le commentaire:  » Ce groupe appartient certainement à la famille kala  « souche » d’après  von Wartburg.

Enfin dans l’article chènevotte (FEW XXI, 151a)  se trouvent  escalousso « maque, broie dont on se sert pour rompre le chanvre » (St-Afrique)  et un représentant dans le Nord-Est  escaloussá « briser la tige du chanvre »; occitan carai  « chènevottes », carabrai « menus débris de chanvre qui tombent sous la maque, lorsqu’on le teille ».

La littérature sur cette grande famille de mots reste limitée à l’article de J.Hubschmid dans la revue  Vox Romanica 19(1961),160 ss, qui suppose une origine préromane en se basant sur l’origine préromane des suffixes. Von Wartburg penche pour une origine  grecque.

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  1.   Documents sur l’ancien hôpital d’Aubrac par J. L. Rigal et P. A. Verlaguet Tome Ier (1108-1341). Tome IIième (1342-1500) par J.-L. Rigal, que je n’ai pas pu consulter

Turro, turras "motte de terre"

Turro, turras « motte de terre ».  Dans quelques endroits c’est aussi la « souche d’un arbrisseau ». Alibert distingue la turra « motte » et turras « grande motte ».

turras "grosses mottes de terreé

de vrais turras

Raymond Jourdan de Montagnac, viticulteur, écrit:

Après avoir brisé les mottes « turras« , on passe la herse « rascle » et derrière une planche pour niveler le sol pour pouvoir tracer le rayonnage….

Le mot turra, turro  est tellement ancien que les étymologistes ne sont pas d’accord sur son origine. Meyer-Lübke a  proposé une racine *turra « éminence, talus » ,  d’origine gauloise, qu’on retrouve dans d’autres langues celtiques comme le cymrique1 twrr « tas », l’irlandais torrain  « j’entasse » et le breton tur « taupinée ».

Paul Aebischer 2 propose une racine pré-indo-européenne *taur,  en rapport avec le languedocien tourel  « monticule » et le nom de  la chaîne de montagnes turques Taurus,  Dans la bouche des Gaulois cette racine serait devenue *teur, *taur  ou *tur. Voir l’article de  Julio C. Suarez   qui cite de nombreux toponymes  Turón  en Espagne.   Von Wartburg (FEW XIII/2, 434b)  y oppose que le latin torus « toute espèce d’objet qui fait saillie; éminence »  convient parfaitement pour les nombreuses formes et significations qui existent dans les parlers issus du latin.

Dans beaucoup d’endroits, les mots issus de la racine *turra  et ceux issus de torus vivent en cohabitation.  La difficulté de l’étymologie est surtout d’ordre phonétique. Le -u- , prononcé ü,  ne provient régulièrement que d’un – ū –, prononcé -ou- long, latin.  Nous avons donc affaire à deux familles différentes, même si les significations et les localisations sont très proches.

Turro « motte de terre » et ses dérivés  se trouvent  en languedocien et en gascon. Esturrassà  « émotter, assommer; herser ». Dans le Val d’Aran et à Arrens (Htes-Pyr) une motte de terre s’appelle  turrok.

  1. la langue celtique du pays de Galles
  2. Aebischer, Paul. (1948) « Le catalán turó et les dérivés du mot prélatin *taurus ». Bulletí de Dialectología Catalana.17 Gener-març (pp. 193-216). Barcelona. que je n’ai pas pu consulter

Paradelle "oseille des champs"

Paradelle  « oseille des champs, rumex des prés » Un visiteur m’écrit:

 je me souviens aussi qu’ils (les gens de Brive-la-Gaillarde) appelaient les Rumex dans les prés padarelles ou paradelles. Quand j’ai demandé si c’était l’un ou l’autre, on m’a répondu : c’est pareil…

En français cette plante s’appelait autrefois  parelle « Plante fort commune, & qui croît par-tout dans les terres incultes. Ses feuilles ressemblent à celles de l’oseille, mais elles sont plus longues. Sa racine est grosse comme le doigt, jaune & d’un goût amer. On l’emploie contre la jaunisse, le scorbut, & les maladies de la peau.  »  Ce nom a disparu depuis le XVIIIe siècle.  La définition donnée ici vient de la 4e édition du Dictionnaire de l’Académie française (1762) s.v. patience vers lequel il renvoie sous parelle.

Etymologie. Une première attestation date du Xe siècle et se trouve  dans un glossaire qui explique des mots difficiles  1: lapacinum parada. Lapacinum  est une sorte d’oseille. Dans mon dictionnaire latin est mentionné lapathium « patience, sorte d’oseille’ et lapathum  du grec λαπαθον de λαπαζειν « relâcher le ventre »; le lapathum « patience »  est un remède pour les estomacs fatigués.  J’en parle parce que d’après une recette de grand-mère  les paradelles ont des propriétés purgatives et reminéralisantes.  Le TLF écrit s.v. patience « Plante voisine de l’oseille (rumex vulgaris) utilisée pour ses propriétés toniques et dépuratives. » D’autres patiences sont utilisées dans l’homéopathie et la phytothérapie.  Ces connaissances nous viennent de loin! Le sens du mot grec le prouve.  Dans une note le FEW cite le médecin italien Matteo Silvatico (1285-1342) qui dans son Opus Pandectarum Medicinae décrit entre autres les bienfaits du lapathiumLe fait qu’il écrit lapatium … vel parella prouverait que  Matteo Silvatico  est passé par l’Université de Montpellier parce que le mot parella  est inconnu en Italie.   J’ai cherché (longtemps) le texte de Silvatico et je l’ai trouvé! Je suis toujours émerveillé par les vérifications qu’on peut faire grâce à Internet.  Ici vous trouverez la page de  Silvatico_parella de l’édition de 1526. C’est la chapître ccclxxvii (337).

Michel Prodel, spécialiste de la toponymie de la Corrèze,  s m’envoie le complément  que voici:

« On peut également consulter Macer Floridus « des vertus des plantes » – de viribus herbarum ; Chapitre LXIII ; « Herba solet lapathi volgo paratella vocari, «Le lapathum est appelé communément parelle ».« Herba solet lapathi volgo paratella vocari, «Le lapathum est appelé communément parelle ».v Disponible sur : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/floridus/plantes.htm

Le jardin botanique de Matteo Silvatico

A partir de parada  a été formé  un dérivé *paratella qui n’est pas attesté en latin classique, mais  il se trouve  dans des textes en latin médiéval dès le XIIIe siècle.   Le type paradelle  est répandu dans tout le domaine d’oïl, dans l’ouest de l’occitan,  en catalan paradella, panadella  et dans des parlers flamands néerlandais  pardelle.

Les formes occitanes sont assez disparates: paradelo, panadelo (Castres), porodèlo, poryèlo, padriel, et même un pornozyélo  à Meyronne (Lot). Les habitants de Brive-la-Gaillarde avaient donc raison. Le  Thesoc ne  connaît pas le type paradelle,  mais atteste une   forme sanadelles qui a dû naître grâce à l’emploi de la plante dans la médecine populaire.

Les variétés de rumex  désignées par le type paratella   sont en général celles qui,  hâchées et cuites, servaient  comme aliments pour les animaux.  Ce qui ne se fait plus du tout.  La plante pose plutôt de gros problèmes.

Michel Prodel,

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  1. Le vol.3 du Corpus Glossariorum Latinorum publié par Georg Götz; Leipzig 1888-1901,  est consultable sur Internet Archiv