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Lagagno ‘euphorbe’

Lagagno « euphorbe »  est attesté dans les B.d.Rhône, à Puisserguier et à Pézenas et dans 5 autres villages dans l’Hérault ( Thesoc). Le sens le plus répandu et attesté en ancien occitan de laganhalagagna, lagagnes  est  « chassie1« . Le dérivé lagan  signifie « goutte qui découle des yeux  chassieux »,  laganhos, lagagnous  « chassieux »2

   

Il y quelques dérivés dont le lien sémantique avec « chassie » ne m’est pas clair, mais qu’un ornithologue pourra certainement expliquer: dans la Drôme lagagnousa « fauvette », à Marseille lagagnoua « roitelet » et à Teste lagagnoun « sorte de coquillage ».

En provençal existent des dérivés  comme lagagnoro « pluie soudaine et de peu de durée » qui ont un lien sémantique avec la notion « goutte, larme ».  Le  sens « euphorbe » a le même lien sémantique, comme le sens « pissenlit » , par exemple à Toulouse lagaigno,  et lagaino « renoncule » dans le Gard.

L’étymologie d’après le FEW IV,130  est le latin lagănum « gâteau fait de plusieurs couches de pâte, genre de feuilletée3 » emprunté au grec  λαγανων « gateau ». Pour les formes occitanes le FEW écrit qu’il faut supposer un dérivé ancien *laganea, mais il y a en grec déjà un dérivé qui les explique:

λαγανιον « petit gâteau ».  Le lien sémantique serait la comparaison de la chassie à un petit gâteau à l’huile; comme en allemand la chassie s’appellle Augenbutter littéralement « beurre des yeux »; ik y a aussi l’anglais eye booger littéralement « crotte des yeux » ou crusty  qui sont plus proches du sens « petit gâteau ».  En occitan c’est la notion « goutte » qui a été retenue. Voir ci-dessus.

Le Diccionari etimologic  du catalan propose une origine protohispanique, le basque  lakaiña, mais je n’ai pas réussi à en savoir plus.

Dans l’article Lachusclo j’ai déjà parlé de la pêche à l’aide de l’euphorbe la lachusclada  interdite au XVe siècle à Remoulins. La lecture de cette histoire a incité Gérard Jourdan à m’envoyer un extrait des mémoires de son père, Raymond Jourdan, ouvrier agricole à, Montagnac (34), dont je le remercie cordialement! Le voici:

Mon grand-père paternel (Milou del Cougun) m’avait enseigné un moyen facile et peu onéreux de prendre du poisson. C’était la « lagagno facile et peu onéreux de prendre du poisson. C’était la « lagagno(1)  » et un jour, j’avais 9 ou 10 ans, et avais une confiante infinie en mon grand-père, je me décidai à tenter le coup. La  « lagagno » ce n’est pas ce qui manquait à Montagnac. J’en cueillis un « fai » un fagot, que je plaçai sur un sac et avec le battoir de lavandière de ma mère, j’écrasai les plantes, faisant exsuder le latex. Repliant ensuite le sac, je liai le tout et j’allai jeter l’ensemble dans un gourg de Poudérous(2) où j’avais vu pas mal de poissons : sofis (hotus) en majorité. J’étais avec Marcel Dores et Eugène Nozeran, mes amis d’enfance, et le résultat dépassa nos espérances. Je pense que la totalité des poissons se retrouva le ventre en l’air et nous revînmes triomphants et joyeux à la maison. Mais nos mères respectives soupçonneuses (à juste titre, nous n’étions pas de petits saints), demandèrent l’origine et tout fiers, nous expliquâmes notre truc, et suprême affront pour moi, nous nous fîmes engueuler car, paraît-il, les poissons empoisonnés par le latex des euphorbes étaient immangeables et dangereux à consommer. Je fus extrêmement déçu mais n’ai jamais su si vraiment les poissons étaient dangereux à manger. Je pense qu’ils l’étaient et que le latex tuait les sofis (hotus) mais n’était pas nocif pour l’homme(3). Je n’ai jamais plus expérimenté ce procédé, peut-être aussi mon grand-père s’était-il moqué de moi ? Je ne le crois pas, sûrement qu’il avait ainsi péché dans sa jeunesse et mangé sans inconvénient le poisson.

1 Lagagno : occitan, l’euphorbe. Plante secrétant un latex, lait, « lach » en occitan, d’où son nom et ce latex est, paraît-il, toxique et ce fut vrai pour les poissons.
2 Poudérous : rivière affluent de Hérault, née à Sept-Fonts, de 8 ou 15 km de long et qui garde l’été venu de grands gourgs qui ne tarissent jamais. Le poisson remonte en hiver et au printemps de l’Hérault et restaient parfois prisonniers dans les gourgs.
3 Dans certains pays africains, le latex d’euphorbe est utilisé pour la pêche (NdG)

Cette méthode de pêche s’appelait lachusclada  à Remoulins au XVe siècle. Voir mon article  lachusclo.

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  1. voir Thesoc s.v. chassie.
  2. Gérard Jourdan m’écrit à propos de la marrana : « J’ai souvenir que nous traitions cette maladie de l’oïdium avec du soufre qu’il fallait projeter sur le cep de vigne avec une soufrette (tu dois avoir le schéma dans le document de mon père) ce qui projetait du soufre un peu partout (y compris sur le visage (surtout s’il y avait un peu de vent) et nous rentrions à la maison (le traitement se faisait tôt le matin, justement pour éviter le vent) avec des yeux « lagagnous » et gonflés.
  3. voir Zeitschrift 41,690 . Le FEW écrit que lagagno ne vient certainement pas du gaulois láginon « euphorbe » comme propose Bertoldi Zeitschrift 44,112

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