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argelas et paliure

Un de mes tout premiers articles pour  ce site date de 2005  et concerne le mot argelas  « genêt épineux ».

C’est grâce Michel Prodel, qui publie une série d’articles très intéressants et bien documentés sur les toponymes de la Corrèze, que je peux corriger mon erreur.

épine du ChristMichel Prodel, Les plantes épineuses dans la toponymie de la Corrèze écrit à la page 4 paragraphe 1.6 ars, arn « paliure ».  Les noms de la famille  ars, arn d’origine inconnue,  désignent des plantes épineuses …

En effet, le volume XXI du FEW qui contient les mots d’origine inconnue  l’article paliure comprend tous les mots  du type arn. (FEW XXI, 114)
Il y a une seule attestation de ars avec un -s, un -s final d’ailleurs, qui est défini comme un pluriel.

Par contre le FEW distingue bien le type arn de tous les autres qui peuvent provenir de la racine *arg- dont le type argelas (les attestations du type argelas sont à biffer dans laréunies dans le volume XXI,105b). Ils sont repris dans l’article *arg-  du volume XXV, voir l’extrait ci-dessous.

Description de paliure (Wikipedia):

Ce sont des arbustes ou petits arbres de 3 à 15 m de hauteur. Les tiges poussent en zig-zag, avec une feuille et deux stipules épineux à l’extérieur de chaque coude. Les feuilles sont caduques ou persistantes, ovales, de 2 à 10 cm de long et de 1 à 7 cm de large, d’un vert brillant, avec trois nervures visibles à la base, et un bord dentelé ou lisse. Le fruit est une noisette ligneuse au centre d’une aile circulaire de 1 à 3,5 cm diamètre.

Paliure=Detail_fruitpaliure détail fruit

 Dans l’article *arg- du FEW XXV se trouve la remarque (p.182b) : « Le matériel correspondant est à biffer ici 21,105b ».  Il s’agit des mots que voici:argelasXXI 105 vers XXVTraduction du texte : Les traces les plus anciennes de cette famille se trouvent dans les documents en latin médiéval; : Argilargueira toponyme de la région  nîmoise, datant d’environ 1180.

 Le catalan argelac « ajonc » et  aregelaga s.f. appartiennent à la même famille. Le fameux étymologiste Corominas a démontré que l’arabe al-gaulac a été emprunté aux langues romanes et non pas l’inverse.

Le petit Louis Argilas, un des personnages du dernier « Vargas » que je suis entrain de lire porte un nom de famille bien gardois. D’après Geneanet les Arjalas sont concentrés dans la région nîmoise.(https://geneafrance.com/?n=ARGELAS) 

L’étymologie de ce nom Arjalas n’est pas 100%  claire et son origine remonte à une époque très lointaine, mais son sens est évident.

chafre ‘pierre à aiguiser’

chafre ou acou « un carreau de dalle autrefois un Queux ‘pierre à aiguiser’ (Sauvages). Ce sens donné par l’abbé de Sauvages s’est conservé dans le Gard au moins jusqu’au  XXe siècle. D’après le FEW tsafre  a été donné dans plusieurs villages du Gard à Edmond pour l’Atlas linguistique de la France. Des attestations plus récentes, d’après le Thesoc  tsafre « pierre à aiguiser » à St Genies de Magloire  et chqfre dans l’Aveyron et la Lozère1.

Pierre a aiguiser Lombarde_23_cm

Pierre à aiguiser naturelle, elle est d’une couleur gris-bleue.

En ancien occitan le mot safre est attesté avec le sens « sablon pour colorer le verre ». Dans les patois modernes safre désigne toutes sortes de pierres,  de sable , de terre, de limon. Voici quelques exemples du FEW XI, 212:Safre_exemplesFEWSuivez le lien vers le FEW pour voir les autres significations !

L’étymologie est le grec  σάπφειρος (sáppheiros) et non pas le mot latin sappīrus ou saphīrus parce que en général la syllabe qui contient l’accent tonique est conservée à travers les siècles. En grec l’accent tonique se trouve sur le –ά-, et sáppheiros est devenu chafre,safre, mais en latin l’accent tonique tombe sur le –ī– , ce qui a donné saphir.

Manque de documents, on ne connaît pas (encore) comment le mot grec  σάπφειρος  devenu safre est arrivé dans la région parisienne, mais il est sûr qu’il est passé par la région de Marseille avant de passer au domaine d’oïl.

Il y a des saphirs  de couleur rose, jaune, violette et d’autres, mais la variété bleue est la plus connue. Inspiré probablement par sa couleur gris bleu on a donné le nom d’une pierre très dure à la pierre à aiguiser .

L’échelle de dureté relative des minéraux  et des pierres établie par Friedrich  Mohs date de 1812.   Le saphir est un corindon qui a la dureté 9 sur cette échelle,  ce qui veut dire que pour rayer un saphir il faut avoir un diamant,  la pierre la plus dure, dureté 10 sur cette échelle2.

En ancien français existait le mot safré ou  et ancien occitan safrat « orné de pierres précieuses, d’or etc. » On ne retrouve le mot safre qu’en moyen français en 1580 avec un sens très technique « oxyde de cobalt, qui mélangé avec du silex calciné sert à fabriquer le verre bleu ou l’émail bleu », et plus tard safre  devient le nom du verre fabriqué ainsi.

safre

  1. Atlas linguistique et ethnographique du Languedoc oriental publié dans les années 1980
  2. Allez-voir le site de l’Atelier la Trouvaille si vous voulez en savoir plus. Mes fils Robert et Christophe ont une large gamme de matériel pour les géologue, les minéralogistes et les gemmologues. bandeau3

bouyé, boier ‘bouvier; escargot’

bouyé « escargot » . Raymond Jourdan utilise ce mot dans  Culture de la Vigne en Languedoc. Voir le lexique1.

Je le retrouvé chez Mistral :
bouieMistral

et avec plus de peine chez Alibert qui a adopté la graphie médiévale boier .

Le premier sens du bouyé, boier est « bouvier » (dérivé du  , latin bos, bovis + -arius), tandis que bouyé, boier vient du latin boarius  un type que nous retrouvons sans toutes les langues romanes. Dans les parlers galloromans remplacé souvent par un dérivé de bœuf.
FEW I,416.[/button apps.atilf.fr/lecteurFEW/lire/10/416

Il y a pas mal de familles Boyer:

Boyer_Famille

J’avais seulement un petit problème avec l’évolution sémantique : « bouvier » > « escargot », mais Mistral l’explique « parce qu’il trace un sillon de bave ».

Le FEW ne mentionne pas ce sens. Qui dit mieux ?

  1. Montagnac dans la page Sources, liens

Coudougnéro ‘cognassier; borne’

 cognassier

 Coudounéro, coudoougnéro « Cognassier »  et dans certaines régions aussi « borne »  une évolution sémantique qui demande une explication.

C’est Michel Prodel qui a attiré mon attention sur cette évolution quand il écrit dans son article Arbustes et diverses autres plantes dans la toponymie de la Corrèze,p2 :

Si les toponymes Coignac, Cognac peuvent être des anciens domaines du dénommé Connus, nom romain attesté (probablement « celui qui hoche la tête »), mais ils peuvent être également compris comme étant des anciens « domaines aux cognassiers »…

L’occitan coudoun ou goudoun « coing » [MIS ; I ; 595] permet d’interpréter les deux toponymes la Goudounèche, le
Goudounet.

et il  a trouvé l’explication de ce sens dans le Dictionnaire languedocien-français.  par Maximin d’Hombres et Gratien Charvet. Alais,1884, qui a écrit :

CoudougneBorneHombres

RollandFlore vol.V p.17  nous donne l’extension géographique de ce phénomène de l’utilisation du cognassier comme borne : dans l’Orléanais, le Lot-et-Garonne, le Tarn-et-Garonne, le Toulousain et le Lauraguais.  On ne sait si l’attestation d’Hombres et Charvet  est localisée  à Alès dans le Gard1 ou simplement copiée sur celle de Pèire Godolin (1580-1649), la première à notre connaissance. .

Note 10 de Rolland avec bibliographieLe FEW II, 1605  fournit le sens »borne »  à Agen et Toulouse et écrit dans le commentaire qu’il y a beaucoup de toponymes  basés sur coudoun dans les parlers saintongeais (Charente maritime, Charente et nord de la Gironde) et renvoie vers plusieurs sources que je n’ai pas pu consulter.  Pégorier nous renseigne : coudounhé nom de lieu à Toulouse, en Dordogne et Languedoc coudounier, coudougnado, en Gascogne coudounièro « bosquet de cognasiers », mais le sens « borne » n’y est pas mentionné.

Coudougnéro est dérivé de coudoun « coing ». Voir coudoun pour l’étymologie.

En ce qui concerne la proposition de Michel Prodel d’y rattacher les toponymes corréziens Goudounèche, le Goudounet il faut remarquer que la forme avec g- initial est limitée au dauphinois d’après Mistral et le FEW II, 1605 qui l’atteste à Cordeac,  Die, Tréminis (Isère) et Lallé mais pas pour la Corrèze. La carte 1510 « cognassier »de l‘Atlas linguistique de la France non plus.

CognassierCreuseALF

 

  1. D’après la notice de la BDP ce dictionnaire représente le patois d’Alès.

coudoun ‘coing’

Coudoun « coing ».. L’étymologie serait un  cydōnĕum « coing » ou plutôt cotōnĕum. L’histoire est assez compliquée. La première fois que le coing est mentionné   date de d’environ 700 avant JC  chez Alcman un poète lyrique grec qui l’appelle κοδυλον Un demi siècle plus tard il est mentionné par Stésichore  un poète lyrique grec originaire d’Himère en Sicile, dont la période d’activité s’étend de -570 à -540 environ(Wikipedia) qui l’appelle  κυδωνια μαλα.
Pendant la période de la République romaine et encore chez Pline l’Ancien on trouve la forme cotōnĕum. Les auteurs romains comme Columelle écrivent cydōnĕum mālum ou cydōnĕum tout court  comme Properce.

cydonia oblonga

cydonia oblonga

Les étymologistes ont rapproché le nom cydōnĕum du nom de la ville qui s’appelait à l’époque Cydonea  sur l’île de Crête,maintenant La Canée (en grec : τα Χανιά (au pluriel), souvent transcrit en Chaniá ou Haniá, de l’italien La Canea Wikipedia. Par exemple Maximin d’Hombres et Gratien Charvet écrivent dans leur Dictionnaire Languedocien Français (1884):

CoudougnaHombresEtym

Le problème est que nous ne savons pas si c’est la ville qui a donné son nom au fruit et à l’arbre, ou si c’est ce dernier qui a donné son nom à la ville. Il est aussi possible que les deux formes utilisées en latin, cydōnĕum et cotōnĕum, sont des variantes du nom d’origine provenant de l’Asie mineure. Z65,210.

Les noms du coing dans les langues romanes viennent de la forme avec -t-, cotōnĕum. Cliquez sur ce lien vers le FEW II, 1605 cydōnĕum « coing » pour voir les formes  et les dérivés.

La confiture ou gelée de coings s’appelle codonat ou codonhat en ancien provençal est un élément des 13 desserts de Noël.  Ce nom est attesté à Paris à la fin du XIVe siècle coudoignac. Le –c final est peut-être une astuce commerciale pour suggérer une AOP méridionale. Rabelais l’appelle le coudignac  mais pendant la Renaissance apparaît la forme cotignac avec un -t- qui est basée sur la forme latine cotōnĕum  usuelle pendant la période de la République romaine.  L’abbé de Sauvages (1756) distingue le sirop de coings qui est « astringeant, fortifiante » de la gelée de coings ou le cotignac (coudougna);  d’après lui celui qu’on fait à Mâcon est recommandée pour le devoiment.

Michel de Nostradamus donne 3 recettes  dans son ( CTRL + clic pour suivre le lien) :

Excellent , moult utile opuscule à touts necessaire, qui desirent avoir cognoissance de plusieurs exquises receptes,

La première se trouve dans le chapitre XV, page 170 Recette CoingsNostradamus

Pour les cuisinières voici cette recette pris dans une autre  édition plus facile à lire:

CodonatNostradamu1CodonatNostradamus2

Page 174 : Autre façon de faire gellée de coings, plus belle beaucoup..

Page 177 : Autre façon de faire gellée de coings en roche, que sera de goust meilleure

Page 182 : Pour confire des coings à cartiers dens un jour

Pge 184 : Pour confire des coings à cartiers avec le vin cuit

Page 186: Pour faire du codignat qui est d’une substance grande et de saveur bonne

Si un cuisinier ou une cuisinière suit une de ces recettes, j’apprécierai beaucoup être tenu au courant du résultat.

 

L’arbre s’appelle coudougné et à partir de l’Aveyron vers l’ouest  coudougneiro.  Cognassier Cydonia oblonga

Comme coudougneiro signifie aussi « borne  » j’en ai fait un article à part.

Rolland Flore vol.V, p.9 et suivantes « coing, cognassier, confiture gelée de coings