Jas « litière, gîte » (Camargue), jasse, jaç . Les deux formes sont très fréquentes dans la toponymie. Dans le Compoix de Valleraugue: Maison geasse « bergerie ». Dans le classement « fonctionnel » de C. Lassure jas (m) : terme provençal (jaç en graphie occitane normalisée) employé pour désigner les grandes bergeries en pierres sèches (ou non) des Monts de Lure et d’Albion dans les Alpes-de-Haute-Provence. Ceci est confirmé par E.Fabre : « Le Jas est une grande hutte en pierres qui doit nous abriter la nuit, bêtes et gens. »
Jean Giono devant le jas de Bouscarle1
Dans le site de l’IGN on trouvait 474 noms de lieu composés avec le mot jas ! J’ai parcouru un peu cette liste et constaté qu’il y en a beaucoup dans les départements 04 et 05 , mais également dans la Loire (42), et 341 fois la graphie est jasse.
En latin le verbe jacere signifie « jeter, lancer, envoyer », mais aussi « poser », par exemple dans jacere muros « construire des murs » ou jacere fundamenta urbi « jeter les fondements d’une ville ». Il a dû exister un substantif dérivé *jacium « gîte » qu’on retrouve dans de nombreux patois italiens et galloromans au sud de la ligne Loire-Vosges ainsi qu’en catalan, avec 3 groupes de significations:
Ajassá « coucher, enfermer le bétail », verbe réfléchi « se coucher ». En ancien occitan jatz signifie « gîte d’un animal sauvage » et il y a des attestations dans tout le domaine occitan, de Nice jusq’au Béarn. A partir de ce sens a été formé le dérivé ajassá « coucher », verbe réfléchi « se coucher », également très répandu.
Déjà en ancien occitan (1208) jas prend le sens de « parc où l’on faisait coucher les troupeaux de chèvres et de moutons dans les pâturages de montagne » et de là « bercail; bergerie ». Ce sens se trouve principalement en provençal, y compris les vallées provençales de l’Italie, mais aussi en Ariège : « pont d’étable » et à Apinac (Loire) » habitation rudimentaire avec étable et grange où le bétail séjourne en été ».
En languedocien nous retrouvons ce sens dans le dérivé jasso « petite métairie » (Alès) ou « bergerie » ( Alzon, Valleraugue, Lasalle) et le verbe ajassá « renfermer le bétail » (St André de Valborgne).
Le sens « litière » est provençal et languedocien. La zone continue en catalan.jaç « litière; lit ». En languedocien le mot jasses au pluriel était également utilisé pour la « litière des vers à soie » et ensuite a été créé le verbe desenjassá « déliter des vers à soie ».
Les sens jas « partie du melon qui repose par terre » (Pézenas) ou « bourbe » (Languedocien) font partie de la même famille.
Jaç « placenta des animaux »(Ariège), voir jaïre.
De très belles photos du jas La Bouscarle et d’autres monuments en pierre sèche du Plateau de Contadour dans le pays de Haute Provence dans ce site ↩
Jaïre « être couché, gésir » du latin jacere « idem ». En ancien occitan jazer, et en Septimanie yarer. En occitan la participe passé jacuda a pris le sens « femme en couches » (Aix), en languedocien c’est jazen, fenno jazen. Un visiteur très attentif me signale: » Le terme de jaç désigne aussi, , le « placenta des animaux » dans l’Ariège. Je pense qu’il s’agit d’un dérivé du verbe jazer avec le sens « accoucher ».
Issar « essart, lieu défriché »; faïre un issar « écarter un champ, un bois etc. » (Sauvages). En allant de Comps à Avignon le long du Rhône, je vois un panneau « Les Issarts », un nom qui m’intrigue. Je cherche d’abord dans le dictionnaire de l’abbé Sauvages et trouve la définition donnée. Puis sur internet je vois qu’il s’agit d’un château en bordure du Rhône!
L’étymon est le dérivé *exsartum « lieu défriché », qui vient du participe passé sartus du verbe sarire « sarcler ». Le mot n’existe pratiquement plus que dans la toponymie. En français essart est « rare », voir TLF, mais Charles Atger l’utilise dans l’histoire Lou loup e lou Roynal : … per faïre un issard o lo borio de Pelet, dins lous coms de Boucofredjo. (p.59).
Dans le Compoix de Valleraugue il y a le dérivé issartiel probablement avec le même sens, dérivé d’ issart, comme airiel de aire. Dans le Dicitionnaire topographique du département du Gard, vous trouverez de nombreux Issarts, Issartiels, Issartas, et Issartines
Dans LES CRIEES ET PROCLAMATIONS PUBLIQUES DU BARON D’HIERLE (1415) : Item, manda may la dicha court que degun home ne deguna femena, de qualque condition ou estat que sia, non auze mettre degun bestiari en pratz, ny en vignes, ny en ortz, ny en yssartadas joves, ny en aultre loc, houc poguesson far mal, tala ny damnage. Et aquo sus la pena de cinq solz tournes de jour, et de detz sols tournes de nuech, donados aldict senhor. Et que tout home que ou veyra sia crezut a son sagramen
L’abbé de Sauvages, écologiste avant la lettre, ajoute que les issar sont des terrains très fertiles par le compostage de feuilles etc, et qu’ils produisent beaucoup les 2 à 3 premières années.
Iscla « petits morceaux de terre plate recouverte souvent de petits arbres et de buissons » (Camargue). Dans l’Alibert s.v. illa « île; pâté de maisons; alluvions » nous trouvons les variantes que voici inla ,et les synonymes irla isola,iscla, nisola.
Le FEW sous l’étymon insula (voir la page spéciale où l’article complet est cité) est nettement plus précis: la forme iscla qui nous intéresse, est attestée en ancien occitan ainsi qu’à Nice, Marseille, isclo à Alès, La Salle (Gard) et dans le Béarn.
En surfant, j’ai l’impression que la forme iscla a la préférence de ceux qui écrivent en occitan. Reinat Toscano, par exemple, né à Nice, écrit à ses parents : dins una barca que va d’iscla en iscla, en silenci, per non faire paur ai polas d’aiga que siam venguts sorprendre. L’auteur me précise le 26.08.2004: « Petite précision: Dans le texte que vous citez, « iscla » a le sens très particulier de banc d’alluvions où poussent des arbres, dans le lit du Var. »
Dans le site de la FFCC il y a une information complémentaire: « Banc de sable au milieu ou au bord de la Durance ». Brice Peyre, dans son « Histoire de Mérindol en Provence », précise que le hameau était appelé, aux XVIe et XVIIe siècles, « l’Iscle » ou « les Iscles » (c’est-à-dire « iscla », variante « isola », pâté de maisons. A Villeneuve-des-Escaldes (Calogne Nord), on trouve une église paroissiale dédiée à Saint Iscle ( = saint Assiscle).
Le spécialiste de la langue sarde, Massimo Pittau, a publié un article sur insula/iscla où il écrit : »È cosa nota a tutti i cultori di filologia romanza e di linguistica neolatina che il lessema latino, di epoca classica, insula «isola fluviale, lacustre e marina» in età tardo imperiale si era trasformato in iscla, attraverso le forme *isula, *isla, *iscla. E da questa forma sono infatti derivati i nomi di varie località italiane chiamate Ischia, nonché il sicil. iska «isola fluviale» e «terra irrigua», calabr. iska «striscia boscosa e cespugliosa lungo un fiume», l’irpino iska «terreno irriguo o presso l’acqua», il trent. iscia «giuncheto»(1).
Ischia (près de Naples)
La ville de Lille qui est appelée Rijssel en Néerlandais, devrait s’orthographier L’île. Rijssel est une abréviation de ter isel « sur l’île, en flamand. L’évolution de -i- en -ij- , prononcé [èí] en néerlandais est régulière et très fréquente, par ex. Paris > Parijs.
Anglais isle, allemand Insel, et toutes les langues romanes: catalan illa, espagnol isla, portugais ilha. L’insertion d’un -s- dans l’anglais island « île » est due à une association avec le mot isle. Attention, français Islande s’appelle Iceland « pays de glace » en anglais.