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Garbi et Magreb

Garbi, garbin « vent d’ouest » est un mot de la navigation méditerranéenne. Nous ne le trouvons qu’en provençal et en languedocien, par exemple  à Pézenas.  A Clermont l’Hérault existe le dérivé garbinada « petite pluie de courte durée ».  A Montagnac Raymond Jourdan a noté le dérivé garbinaois  qu’il définit comme  le vent des dépiqueurs « Bent das quauquaris ».  Voir le commentaire en cliquant sur le titre de cet article.

L’étymologie de Garbi   est  l’arabe ġarbi« de l’ouest ».  cf. esp., it. garbino, cat. garbi et  garbinada. FEW 19,51b.

L’article de Mistral:

garbinMistral

Le commentaire m’a incité à revoir un peu cet article et j’ai vu que garbin ou  guerbin  est attesté en ancien français, mais toujours chez des auteurs originaires du Midi ,  qui y ont vécu comme Rabelais ou qui  écrivent sur le Midi.  Dans le Dictionnaire du Moyen Français (DMF) vous  pouvez trouver une attestation et surtout un lien direct vers le  Dictionnaire Etymologique de l’Ancien Français  mis en ligne! DEAF garbin.  L’étymologie = « histoire du mot »  décrite dans le DEAF  nous explique que

ġarbi « occidental » est un dérivé du verbe arabe ġaraba « se coucher » en parlant du soleil  d’où aussi ġarb « ouest »  employé au sens de »vent qui vient des régions occidentales du monde arabe » (Maroc, Algérie, Tunésie, ainsi que l’ancien Espagne des Maures, régions appelées maġrib,  en langage populaire maġreb  dont le second élément est aussi un dérivé du verbe ġaraba, ma-  étant un préfixe toponymique.

Voir Wikipedia pour plus de détails sur le sens actuel de Maghreb.

Gafa

Gafa « gué »

……..gafar dans une gafa

En occitan, principalement en provençal, et en franco-provençal existe le verbe gafar « patauger », un dérivé du mot gafo « gué ».  L’origine serait le gaulois *wasto « gué » devenu régulièrement *wafo dans la bouche des habitants de nos régions et plus tard gafo comme tous les mots dont la première lettre est un w-.

Le verbe gafar « patauger » est  attesté en provençal depuis le XVe siècle (Avignon, 1484). En  languedocien il y a quelques attestations comme  gaf m. « gué » (S) et le Gaffe-de-Goyran dans le Gard (où?),  La Grange de la Gaffe à Villeneuve d’Avignon et le Pont de la Gaffe à Barbentane. En dehors de ces quelques attestations gafar et les dérivés ne se trouvent qu’à l’est du Rhône.   En français régional provençal : gafe « gué »: On va devoir passer la rivière à la gafe ; faire la gafe, c’est tracer le chemin, donner l’exemple. Et un dérivé: gafouia « guéer patauger » On va encore gafouiller ! Le nistoun adore gafouiller dans l’eau ! (Lexilogos).

Pont La Gaffe

L’origine serait un mot gaulois *wasto « gué » devenu régulièrement *wafo dans la bouche des habitants de nos régions et plus tard gafo comme tous les mots dont la première lettre est un w-.

A l’ouest du Rhône c’est le type gasar « « passer à gué« ,  gasa  qui domine.  Je me demande s’il faut supposer une origine celtique pour le provençal et le franco-provençal et une origine germanique pour le langue docien.  Voir mon article  Marche Nîmoise à propos de cette  limite linguistique, politique, ecclésiastique et géographique.

Dans l’article gafar « accrocher, etc. » d’Alibert nous trouvons le dérivé gafarot « passeur de rivière » qui fait partie de ce groupe, comme peut-être gafa « rat de cave » puisqu’il patauge dans la boue.  Il mentionne aussi le verbe gafolhar et ses dérives avec le sens « patauger » qui sont nés d’une combinaison de la racine gafa avec  verbe fouilla « mêler, remuer » provenant d’une racine *fodiculare (TLF s.v. fouiller)  Mais il ne fournit aucune indication de localisation.

Voir aussi l’article gasar .

Marche Nîmoise.

La Marche Nimoise est le nom de la région du Gard à l’Est de Nîmes jusqu’au Rhône. L’étymologie de Marche est le germanique *marka « frontière ». A la tête d’une Marche se trouvait un marquis « titre féodal de celui qui est placé entre le duc et le comte ».  Le sens dans Marche Nîmoise est « région frontalière« . (Je ne sais pas  s’il y a jamais eu un marquis de cette région ou si le nom est resté du haut Moyen Age, du Marquisat de Gothie. )

Linguistiquement parlant il s’agit de la région du Gard où les traits provençaux dominent.

Très souvent les frontières linguistiques, ou limites de certains phénomènes phonétiques ou lexicaux, sont expliquées par l’existence de frontières 1) politiques, 2)ecclésiastiques ou 3)naturelles.

  1. Le Marquisat de Gothie, partie de l’ancien royaume wisigoth de Toulouse, installé par les Francs après 759 comprenait au moins le territoire occupé maintenant par les départements de l’Aude, de l’Hérault et du Gard.(cf.Wikipedia)  L’ouest du Rhône appartenait au comte de Toulouse et faisait partie du Royaume de France. L’est du Rhône faisait partie de l‘Empire germanique. Ce fleuve formait donc une frontière politique importante.
  2. Il était également la frontière du diocèse de Nîmes, fondé à la fin du IVe siècle.
  3. Le Rhône était une frontière naturelle difficile à passer : il y avait au Moyen Age quatre ponts sur le Bas Rhône: Pont-St. Esprit, Avignon, Beaucaire et Arles, mais celui d’Avignon n’etait plus utilisable depuis le XVIIe s. et celui de Beaucaire depuis le XVe s. cf. l’article d’Abel Chatelain. pour beaucoup plus de détails.

Pourtant la Marche Nîmoise présente une prédominance de traits provençaux, notamment des traits phonétiques. Comment expliquer cela ? Je suis convaincu que ce grand fleuve, difficile à passer, n’a pas été un obstacle pour la communication entre les habitants des deux rives, mais le contraire. Les grandes routes du Nord et de l’Italie vers l’Espagne passaient par la région du Bas-Rhône. Il n’y avait pas de ponts entre Vienne et Pont St.Esprit. Lepassage du fleuve ne présentait pas d’intérêt avant Pont St.-Esprit, puisque la route suivait le fleuve. Mais à partir de cette ville il fallait choisir. Aller en Italie (Rome) ou vers l’Espagne (St. Jacques-de-Compostelle). S’il n’y avait pas de ponts, c’étaient des bateliers locaux qui transportaient les voyageurs ou les marchandises. Ce travail était tellement important que les bateliers de Beaucaire se sont opposés avec succès à la construction d’un pont jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

On comprend facilement que ces contacts journaliers entre les habitants des deux rives ont eu des influences sur leur manière de parler, aussi bien la prononciation que le vocabulaire. J’ai constaté personnellement le même phénomène dans les parlers des 3 derniers villages du col du Grand St.Bernard (Val d d’Aoste) et les 3 premies villages de l’autre versant du col (Valais suisse). Tous les mots avec un -ü- accentué sont prononcés avec un -i- dans ces villages des deux côtés du col du Grand St.Bernard.

Un sujet très intéressant serait d’étudier à quels champs sémantiques appartiennent les mots que les deux zones, la Marche Nîmoise et la rive est du Rhône ont en commun, en opposition au reste du domaine languedocien ou provençal. Par exemple le type darbon « taupe » ou amolar « aiguiser », s’arrêtent au Rhône, pata « chiffon » traverse à peine le fleuve mais va pas plus loin, tandis que jardin remplace ort dans une grande partie du Gard et de l’Hérault. Voir Lectures de l’ALF pour d’autres exemples qu’il faudra compléter par les données du FEW.

La zone de tranistion provençal/languedocien

Mazet, maset, mas

Maset « petite maison de campagne, petite ferme; maisonnette rustique où l’on va passer le dimanche » est un dérivé  en –ittu de  mas « ferme, maison, demeure ». D’après les dictionnaires de français, entre autres par Littré, ce dérivé est caractéristique pour la région de Nîmes – Avignon. Un visiteur me signale le sobriquet mazetié pour les Nîmois qui allaient chaque dimanche dans leur mazet‘. Cette photo vient du site de G. Mathon qui consacre une  page intéressante au maset nîmois.

Lou Maset du Jardin de la Fontaine

L’origine est le participe passé mansus du verbe latin manere « rester, habiter » qu’on trouve comme substantif dans des textes et des inscriptions depuis le Ve siècle avec le sens « maison  » et « domaine ».

Le mot a également existé dans le nord de la France, comme en témoignent de très nombreux noms de personnes (Dumas, Delmas) et de noms de lieu (Metz, Meix, Mas), mais il y a perdu beaucoup de terrain depuis la disparition du système féodal concernant la propriété (un sujet à approfondir!) Mas n’est vraiment indigène que dans le Midi, où il s’est maintenu jusqu’à nos jours avec le sens « ferme ».  Il faut dire que les agents immobiliers  en abusent depuis que les prix ont flambé.

En français il a été emprunté à l’occitan au XIVe siècle.

Le  mas du Valdeyron à Valleraugue où j’ai habité pendant 20 ans

Autres dérivés: masada, masaria « tour d’une ferme, hameau »; masatgier « campagnard »; masièr, masièra « qui habite un mas »; masuc « petite construction montagnarde où les bergers d’Auvergne s’abritent et font leurs fromages en été »;  masagé « campagnard  » forme rencontrée par un visiteur dans un état civil du XIXe siècle de la région d’Albi : masagé de Rafialou, d‘Ambialet.

Mauro

Mauro « truie » du latin maurus « habitant de l’ancienne Mauritanie, le royaume berbère, qui à l’époque romaine s’étendait de l’actuelle Tunisie jusqu’à la rivière le Moulaye au Maroc.

En  ancien provençal mor, moro  signifie « africain adj. et subst. ; musulman » et « basané, marron, noir ».  En occitan moderne moure , morou (Alès) c’est le deuxième sens qui s’est maintenu et développé:  A blanchi un moure se perd soun tems et soun saboun (Mistral). Aoc. maur « noir » est attesté en 1240 et la Roca Mauro près de Carcassonne  déjà  en 1034.  Il y a de nombreux dérivés comme lang.  neit maurello « nuit sombre » et Gard agneu mouret « qui a le poil noir »(M). A Valleraugue (30) La Jasse du Mouret , toponyme.

Le sens « brun, noir » a été transféré sur toutes sortes d’animaux et de plantes, comme « truie, vieille truie » (Hérault), provençal  mouret  « sagre, poisson de mer »,  des salamandres, têtards, canards, oiseaux, insectes et des noms de plantes  comme languedocien mouro « variété d’olea europea sativa » Nîmes 1793, et oulivié mourau (M). Ce dernier  est même entré dans l’ Encyclopédie de Diderot sous «  moureau  en Languedoc ». Il y a aussi les morilles et les cerises morelles

             

comme en  néerlandais  morellen  et moriaan « père fouettard, un serviteur noir qui accompagne St. Nicolas lors de sa fête le 6 décembre). Anglais morel « morille ».  Le maïs et le sarrasin est appelé blamauro à St André de Valborgne, et il s’appelle blasarrasin  en gascon.