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truelh, triol ‘pressoir’

Triol, truelh « pressoir » Étymologie. Une visiteuse du site  m’écrit :

J’habite à Prades-le-Lez, village au nord de Montpellier dans une impasse appelée « Lou Triol », j’ai vainement cherché ce que le mot Triol pouvait signifier (lou = le), dans mon entourage personne n’a pu me renseigner. Avant la construction de notre lotissement en 1987 il y avait des vignes… je ne vois pas le rapport avec Triol. Si vous aviez une petite indication sur ce mot je vous en serais très reconnaissante.

J’ai pu lui répondre:

Bonsoir,
Triol ou Truelh vient du latin tŏrcŭlum « pressoir », il s’agit donc probablement de l’endroit où se trouvait le pressoir ou l’auge dans laquelle on écrasait le raisin avec les pieds ».

truelh XVe s.

truelh XVe s. Wikipedia

Tŏrcŭlu est devenu truey, truilh, triol, trel, truel, treu en occitan. Voir le Thesoc s.v; pressoir à raisin.  et comparez la répartition géographique du type truelh; truolh  avec les données du FEW XIII/2, 39  et vous verrez que la zone Tŏrcŭlu est beaucoup plus grande qu’on ne supposerait avec les données du Thesoc. Elle s’étend grosso modo jusqu’à la Loire.

Dérivés : troulhié maître du pressoir, trolhar « presser »,   l’auge pour écraser le raison s’appelait trouïadouïro à Alès.

L’article du FEW occupe 4 pages. Il y a pas mal de mots occitans qui viennent de torculum.

 

manchard ‘gaucher’

Un visiteur auvergnat me demande si je connais l’étymologie du mot manche ou manse « gauche », sans me préciser la localisation. J’ai pu lui répondre :

J’ai trouvé cette étymologie grâce au Thesoc, qui donne manchard  « gaucher » pour le Puy de Dôme et manquier pour la Haute Vienne1

Manche, manse  « gauche » est en effet assez rare. L’étymologie est le latin mancus « estropié ».  Vous pouvez trouver d’autres attestations dans le FEW vol. VI/1, p. 140. dans la colonne à gauche après le chiffre 3.   Lim. = limousin.

Je vous prie de me communiquer les villages ou la région où vous avez entendu/appris ce mot et avec quelle prononciation, –ch– ou –s-.

En plus des attestations dans le volume VI/1 , le FEW en donne  d’autres dans le volume XXII/1,p.90 pour le Velay mançard « gaucher » et pour Vinzelles (Puy-de-Dôme) mansar « (chemin) âpre, (personne) maladroit » et il renvoie vers une correction à l’article mansus  FEW VI/1,  331 qui y ajoute une attestation forézienne  mansard « maladroit ».   Toutes ces attestations ont certainement la même étymologie et devront faire partie de l’article mancus.

Le sens « gauche » à partir des sens « estropié » et  « incomplet » s’est développé dans plusieurs langues romanes, en italien manco « gauche » depuis Dante, en Sicile et Calabrese mancru, en Sardaigne mancu. Souvent en combinaison avec mano : en Corse mano manca « main gauche » ensuite par ellipse manca « main gauche ».  L’évolution sémantique de « gauche » > « maladroit » est  parfaitement compréhensible. Voir le CNRTL gauche2

 

  1. mancard PUY-DE-DOME.;  manquier HAUTE-VIENNE.

Coucarêlo ‘nombril de Vénus’

Coucarêlo ‘nombril de Vénus’. (L’umbilicus rupestris , qui a de nombreux noms en France; cf Wikipedia). L’origine est l’onomatopée kŏk- qui imite le d’abord le chant du coq, coco coco en latin, et devient ensuite le nom de l’animal en remplaçant le mot gallus (FEW II, 859.)

L’abbé de Sauvages (S2) écrit: CAPËLËTO

coucareloS2

coucareloL’onomatopée kŏk-  est à l’origine d’un grand nombre de noms de plantes, dont le coquelicot est la plus importante. La couleur du coquelicot fait penser à la crête du coq.  A Nice une coucourèla  est une « sorte de figue rouge à l’intérieur ».  Le premier pas fait, d’autres suivent, sans qu’il soit toujours possible de connaître la raison du transfert. Voir le FEW II,859a-b, qui mentionne entre autres coquelet, coqueret, coquerotte, cocquerelle comme noms du physalis alkekengi ou « amour en cage1« :

alkekengi

Amour_en_cage

ancolie

 

 

 

 

 

 

 

 

Ailleurs koklikot, coquerelles signifie « ancolie », coquelette « digitale », etc. Le nombril de Vénus ne ressemble pas moins à une crête de coq qu’une digitale.  Pourtant l’auteur du FEW a mis l’occitan coucarélo « nombril de Vénus » , attesté en Languedocien et emprunté au XVIIe s. par la langue nationale coquerelle, dans les noms d’origine inconnue2.  Voir FEW XXI,170

D’après le CNRTL coquerelle signifie aussi « noisette dans sa capsule verte ».

Dans mon patois limbourgeois (NL) coquerel « toupie », kokerellen « jouer à la toupie ».

  1. cérèy’so dé jusious en provençal
  2. Le dérivé coucoureléto  désigne en plus le « sein d’une jeune femme ». Peut-être le capëlëto  vue à l’envers?

saouvomayre, mairesiouvo et la motivation d’...

Saouvo-mayre et  maire-siouvo « chèvrefeuille » viennent tous les deux du latin silvae mater « chèvrefeuille », littéralement « mère de la forêt ou  des feuillages ». Scribonius Largus écrit que le nom latin correspond au grec περικλύμενον (periklumenon) parce que les branches du chèvrefeuille « embrassent » les arbres comme une mère son enfant. En italien existe le nom abbracciaboschi qui rappelle la même image. D’après Rolland Flore VI,219  il s’appelle étranlha-cabri1 à St-Hilaire-des-Courbes (Corrèze)

Saouvo-mayre qui correspond au nom latin dans l’ordre des deux éléments n’a survécu qu’en occitan; d’après le Thesoc dans 3 villages de l’Aveyron et 3 dans l’Hérault et à Avèze dans le Gard2. Au cours des siècles la déclinaison latine a disparu et le génitif silvae   est devenu silva ce qui a entraîné une inversion de ces éléments et parfois l’insertion du  de, comme à Toulouse may de cibre, ou dans l’Aude ma serbo.

Lonicera_caprifolium0

Comme le premier élément silva « forêt » avait pratiquement disparu de la langue par la concurrence des types « bois » et « forêt« , on ne l’a plus compris et il a été remplacé par des éléments qui donnaient un sens à ce nom : silva > salva  > saouvo-  du latin salva « sauve ».  Dans l’Aveyron les sages-femmes font une infusion avec les feuilles de la plante.

Silva  est aussi remplacé par saoubio  du latn salbia « sauge » , ce qui a donné à Cahors salbiomayre.  Dans l’Aude  et en gascon ce n’est pas salvare mais servare qui remplace la silva: dans le Tarn et environs: serbomayre.

L’influence du nom caprifolium donne dans le Gers serbofulho, dans la Haute-Garonne serbocrabo, parfois abrégé en krabo.

Le type avec les deux éléments inversés maire-siouvo a également subi de nombreuses transformations.  L’élémént maire ‘a  été compris comme une référence à la période de floraison, le mois de Mai,  le deuxième a été associé à seba du latin cepa « oignon »; l’ensemble a donné à Apt mayo-sébo, le chèvrefeuille devient ainsi une sorte d’oignon de Mai. Plus d’exemples de changements dans le FEW XI, p.615

Tous ces changements viennent d’une tendance naturelle à motiver le vocabulaire, c’est-à-dire à lier les sens des mots  à leur formes et de créer ainsi des familles de mots facilement mémorisables. Le chèvrefeuille n’est pas un sujet de conversation inter-communautaire. Il est donc normal de trouver des motivations différentes dans les parlers occitans. La richesse de ces parlers se trouve aussi dans cette grande variété de motivations et il est dommage qu’actuellement les occitanistes veulent surtout « normaliser » l’occitan au nom d’une lutte politique.

Plus sur la motivation du vocabulaire à la fin de mon Introduction.

Voir Rolland Flore vol. VI, p.215 ss pour les noms du chèvrefeuille dans toute la France

 

  1. A ajouter à l’article strangulare du FEW XII, 289
  2. Ailleurs dans l’est-languedocien c’est le type pentacosta du latin pentecosta emprunté au grec πεντηκοστη (le 50e jour après Pâques) qui domine Cf. FEW VIII, 207

Erugo ‘chenille; roquette’

Erugo, rugo, arugo « chenille »  et « roquette » (eruca sativa)

Erugo S2

L’étymologie est le latin erūca  qui est attesté avec les deux significations « roquette » et « chenille ». L’étymologie de erūca n’est pas claire, en particulier du point de vue sémantique. Quel est le point commun de la roquette et d’une chenille?. Ernout-Meillet fait la proposition suivante:

eruca_ErnoutMLa forme ūrūca qui est à l’origine de l’espagnol oruga  et attestée chez Pline est expliquée par le FEW comme une simple assimilation, tandis que  Ernoult pense à  ūrō « enflammer, exciter » ce qui reste à prouver.

Les attestations de eruga, auruga « roquette » sont plutôt rares1, parce qu’au début du XVIe siècle le diminutif roquette a été emprunté à l’italien par les Parisiens, de sorte que le nom roquette a gagné tout le pays et a remplacé  russe ou  de l’eruce, d’un dérivé *erucia,  noms attestés dans l’ouest de la France.

La roquette vendue sur le marché actuellement est un cultivar produit en Italie.  A Manduel et je pense ailleurs dans le Mdi, la roquette à fleurs jaunes pousse un peu partout en bordure des chemins et des vignes. Elle est comestible mais les feuilles sont plus dures.

roquette

FEW III, 241

  1. Voir RollandFlore II,p.83 eruca sativa