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gabels et souqious pour la brasucade

Gabels et souqious.  Le temps des grillades, tostada ; grasilhada ; carbonada,  (gascon), grasilhada ˜ grilhada (provençal), brasucada, grasilhada, carbonada (Languedocien)  approche. Le choix des braises est important1.  La qualité du bois l’est aussi. Dans son Dictionnaire francitan, Gilbert Lhubac donne l’article que voici: SouqiousLhubacL’étymologie de ces deux mots  comme les grillades d’ailleurs,  nous ramène à des temps préhistoriques. Souqious est un dérivé d’une racine *tsukka « partie du tronc d’arbre, souche ».  Il y a eu plusieurs propositions d’explication de la répartition géographique  notamment dans les Balkans et des différentes évolutions phonétiques de cette très grande  famille de mots. La plus convaincante pour le FEW XIII,353 est celle de Hubschmied jr. qui propose une pré-indo-européenne *tsukka, reprise par les Celtes et ensuite par les gallo-latins et les gallo-romans.

Gabel, gavel « fagot de sarments, sarment » dont l’étymologie proposée par le FEW IV,15 est un gaulois *gabella « andain d’herbes ou de blés » > « fagot de blés », « fagot de sarments, sarment », français javelle « chacune des poignées de blé scie qu’on couche par terre pour laisser le grain jaunir »; gabélo en occitan.  Le sens « fagot de sarments, sarment » est  très répandu dans tous les parlers. Cf. Le FEW IV,15

 souqious souqious   et gabels gabel

Le Dictionnaire Etymologique de Gilles Ménage ( (1613-1692)  de1650 mentionne gavel pour le Langedoc :

GillesMenage_gavel

 

 

 

  1. Si vous utilisez des sarments ou des ceps de vignes, soyez sûr qu’ils ne soient pas gorgés de pesticides.

Saussola 'pain trempé'

Saussola « pain trempé dans du vin, du café, etc.’ est dérivé du latin salsus « salé », attesté à  Clermon-l’Hérault et à Pézenas, chouchoule  à Bayonne. Suite à mon article sansouïro, où je parle  du mot salsola « salicorne « , Gérard Jourdan, fidèle et précieux commentateur de mes articles, m’écrit :

Bonsoir Robert,
j’ai lu avec plaisir, et un peu de nostalgie, cet article sur la salicorne avec l’indication du terme « sausola »
Quand j’étais gamin, à Montagnac (34), donc tout proche de Pézénas et de Clermont-l’Hérault, ma mère me préparait, souvent le jeudi quand je rentrais de travailler à la vigne avec mon père, un bol rempli d’eau fraîche, avec du vin rouge et quelques morceaux de sucre ; j’y trempais une ou deux tartines de pain et c’était un plaisir rafraîchissant incomparable ; peut-être que certains, plus riches, y trempaient des biscuits, mais il n’y en avait pas chez nous.
J’appelais ça « faire saussole ».

j’ai trouvé, sur un site de Cessenon, l’indication suivante :

« Léon Cordes raconte que les habitants de Minerve, en 1907, manifestèrent sous la pancarte:

Avèm de vin, mas cal de pan per far saussòla.

Le petit livre de Minerve, Lodève, 1974, p. 24.

sansouïre 'salicor'

Saussouiro, sansouïro « salicorne, salicor »  . Mistral, Trésor:

Ma voisine Maryse, originaire de Cannes et excellente cuisinière, m’a raconté que la salicor(ne) était comestible. Wikipedia confirme dans l’article Salicorne d’Europe :

Les tiges tendres de la salicorne jeune, récoltée en mai/juin, peuvent se déguster crues, nature ou en vinaigrette. Plus tard, la salicorne devient un peu amère et il est préférable de la blanchir. Quelques minutes dans l’eau bouillante suffisent à lui ôter son amertume et le sel en excès. Elle sera alors cuisinée comme l’épinard, à la vapeur, à l’eau (non salée !) ou revenue à la poêle. La salicorne fraîche, très fragile, ne se garde pas plus de deux jours au réfrigérateur.

salicor   sansouïre

 Dans RollandFlore, IX,165 nous trouvons les attestations suivantes de saoussouïro pour la « soude1 »

En français : « Les sansouires sont des milieux naturels à végétation basse situés en bordure haute des vasières littorales, soit la partie haute des marais maritimes. Ce terme est employé en France méridionale (Camargue, Languedoc et Corse). » (Wikimedia Commons).   Littré propose l’étymologie  latin salsūra « saumure »,  mais  salsūra  aurait dû aboutir à *saoussura.

L’étymologie de de saussouïro   semble être inconnue. Je n’ai pas trouvé d’attestations anciennes, mais nous pouvons reconstruire une forme *salsoria.  Dans le FEW, que vous pouvez maintenant consulter sur le site de l’ATILF en mode image,   s.v. salsus , vol XI, p.110, il y a une série de noms de champignons du type sauceron  et l’occitan sausseiroun « fenouil de mer »  Les formes sont très proches mais le sens « salicor » ou « sansouire » n’y est pas.

Dans le site e-santé, je trouve la remarque suivante: « La salicorne est parfois confondue avec la criste-marine car toutes deux poussent presque dans la mer. Mais elles n’appartiennent pas à la même famille botanique et ne se consomment pas de la même façon. »

Si vous cherchez des images de « fenouil de mer » vous verrez qu’en effet il y a une forte ressemblance, mais la criste-marine est un ombellifère!

Salsola.Dans la même page du FEW je trouve le type saussola « pain trempé dans du café etc » attesté à Clermont-l’Hérault et à Pézenas.  Je ne pense pas que Linné  ait trouvé le nom salsola  en trempant le  pain dans son café en compagnie d’un botaniste montpelliérain (Linné, Genera Plantarum, p. 67 cf.TLF). En effet, la première attestation que nous avons vient de Bauhin2 1671, p.289 salsola

J’ai suivi le lien de Bauhin « Cæs. », qui renvoie à Andreas Cæsalpinus, De Plantis Libri XVI. Florence, 1583(De plantis (1583), 621 p.disponible sur Gallica). Je n’ai pas cherché la page exacte, mais nous pouvons conclure que le mot  salsola  est d’origine italienne ou a été créé par Cæsalpinus, d’autant plus que l’adjectif salso  « salé » y est à la base de nombreux dérivés:

Salicor, salicorne.

Le TLF  suit Corominas et propoe comme étymologie de  salicor,  (salicorne  en français)     le mot catalan salicorn attesté en 1490:

salicorne (id. » (Cotgr.). Empr. au cat.salicorn (att. dep. 1490 ds Alc.-Moll), plus prob. issu d’un b. lat. salicorneum, comp. de sal « sel » et de corneum « en forme de corne », que d’orig. ar. Voir Cor.-Pasc., s.v. sal et FEW t. 21, p. 154a.

Un petit détour historique.

L’utilisation de la salicorne a été très importante dans la fabrication du verre.

Voici un extrait du  site des verriers du Rouergue

Soude ou salicor employée par les verriers (3 parties)

Cet article est extrait du Dictionnaire raisoné universel d’histoire naturelle de M.Valmont de Bomare publié à Lyon en 1776.

SOUDE, soda, plante dont on distingue nombre d’espèces. Nous décrirons ici les espèces les plus en usage dans les Arts & dans la Pharmacie.

1°. La Soude appelée Salicor : c’est une plante annuelle qui croît dans les pays chauds, sur les bords de la Méditerranée. …    La plante appelée salicor, dit M. Marcorelle, est utile par le revenu qu’elle rapporte ; précieuse par ses usages ; curieuse par ses diverses métamorphoses; & agréable à la vue par la variété de ses couleurs & sa forme régulière : elle figurerait dans un parterre & y réussiroit très bien, mise dans une terre appropriée. Cette plante de salicor est connue en Latin sous le nom de kali majus cochleato semine. C. B. Tournts infl. p. 247, salsola (kali ), Linn. N°. 1 : en Arabe sous celui de kali : en François sous celui de soude, & en Languedoc & dans le Roussillon, sous celui de salicor. C’est le boucar des Poitevins & des Saintongeois.

2°. La Soude SAlicor appelée Salsovie Ou Marie épineuse, kali spinosum : elle naît aussi dans les pays chauds, sur les rivages sablonneux de la mer, le long des lacs salés, quelquefois même dans les champs éloignés de la mer.

3°. La Soude appelée la Marie Vulgaire Ou la Grande Soude, est le kali geniculatum majus, C. B. salicornia articulis apice crassioribus, Linn. Il y en a de deux espèces, l’une est le salicornia annua, l’autre est le salicornia semper virens.

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  1. Saeda (genre)L. et Salsola (genre)L.
  2. Bauhin Caspar (Caspari Bauhini Viri Clariß.) – Pinax Theatri Botanici sive Index In Theophrasti Dioscoridis Plinii Et Botanicorvm qui à seculo scripserunt Opera: Plantarvm Circiter Sex Millivm Ab Ipsis Exhibitarvm Nomina cum earundem Synonymiis & differentiis methodice secundum genera & species proponens. Bâle,1671. Plusieurs numérisations en ligne, dont Google books

Manouls 'tripes'

Manouls « tripes ». Un ami m’écrit : « J’ai cherché le terme « manouls » sur ton dico, qui veut dire « tripes » en vieux nîmois mais je ne l’ai pas trouvé. Mon père disait: on va préparer un bon plat de manouls. 

Le mot se trouve déguisé en manel ~ manolh « paquet; botte; poignée d’étoupes; paquet de tripes; glane d’aulx, d’oignons » dans l’Alibert. (Une graphie faussement étymologisante; manel  n’existe nulle part, manolh  est attesté au  15e siècle seulement.)

manel, manolh

Manouls, manoul,  vient du latin manupulus « poignée, botte » sens déjà attesté en latin classique. Sous l’influence d’autres mots manupulus  est devenu  manuculus  que nous retrouvons dans presque toutes les langues romanes : roumain manuchiu « gerbe », italien mannochio « faisceau »,  catalan manoll, espagnol manojo, portugais molho  tous avec le sens « gerbe ».

Le passage de « paquet de tripes » à « tripes »   est une évolution sémantique courante, mais dans ce cas c’est un grand saut de « paquet » à « tripes ». D’après le Thesoc manoul, manouls  « tripes »  est courant dans l’Ardèche, l’Aveyron, le Gard et l’Hérault1. A Uzès et Villeneuve on dit manou.

L’abbé de Sauvages  écrit « Manoul dë trîpos » , manoul d’amarinos » (S1, 1756).

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  1. Le mot  « tripous »  désigne les tripes de veau ou d’agneau, liées en petits paquets et cuisinées » si j’ai bien compris la note du Thesoc

tougno, tougnol "pain de maïs"

Ci-dessous un tougnol moderne de l’Ariège, photographié par La dormeuse à Mirepoix.

tougnol Mirepoix

C’est un article de La dormeuse qui m’a poussé à écrire cet article:

C’est ce tougno qui m’intéresse ici, car, quoique dans une version améliorée comme celle du millas, déguisée, parée, toute faite de lait et de sucre, et de graines d’anis, il se mange toujours à Mirepoix, sous le nom plutôt audois de tougnol.La tradition veut que le tougno ait été au temps de la croisade le pain des Cathares, i. e. celui que les Bonshommes et les Bonnes Femmes portaient dans leur sac et, commémorant ainsi le dernier repas du Christ, partageaient en tant que compains sur leurs chemins d’infortune. “Insipide, lourd et sans levain”, ce pain-là depuis longtemps ne se trouve plus. Le tougnol actuel relève de la pure friandise. Ce qui compte toutefois, aujourd’hui comme hier, c’est de se souvenir qu’on ne se nourrit pas seulement de pain terrestre, mais aussi de symboles.

Alibert propose la graphie tonha « pain de maïs ou de seigle ».    Mistral écrit Tougno  voir tonio dans son Trésor:

Le lien sémantique entre « femme stupide » et « pain de maïs » n’est pas facile à établir.  Aussi le FEW les a considérés comme homonymes. Pour tougno  « sorte de pain » il suppose une base onomatopéique to(u)gn- qui a abouti à un verbe tougnar “presser, du poing, tasser, frapper” , le dérivé entougnà “emplir en pétrissant” et au figuré le substantif tougne avec les sens “bosse, bigne; motte épaisse plus ou moins ronde, petit pain rond”. Tout cela en béarnais. Dans le Val d’Aure capitougno s.f. “grand pain” et en aragonais toña grand pain de seigle”1 .

Alibert  a eu raison de faire un deuxième  article tougno  et il a aussi changé la  graphie : tòni m.  tònia  f. « Pierrot, coiffure de femme; benêt; nigaud; étron; ver des châtaignes ». Tonias, toniet  « id. »  Etymologie latin Antonius. Voir l’article Tougno « Antoinette ».

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  1. Alibert propose :du latin tundia  de  tundere ‘battre à coups redoublés » d’où « pétrir »,  mais ce tundia n’est nulle part attesté