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Calos "trognon, chicot"

Calos« trognon, chicot »;  « gros bout de bois. Personne rugueuse. Obstacle. » René Domergue. A Sète  « rebuts, restes, trognon, partie dure d’une plante » (Camps). »  Calos  « trognon de chou ou de quelque autre plante » Sauvages S1. Calos  et ses dérivés comme caloussas « gros trognon »,  caloussu « robuste, bien membré » (Alès) se trouvent dans tous les parlers occitans, des Alpes jusqu’en Gascogne.

Calos phonétiquement kalòs,  est très vivant en français régional, en tout cas à Nîmes.

La première attestation  date de 1392 et vient du Rouergue   calos de redorta  » chicot d’un rameau pliant qui sert de bâton »1

Le  FEW suggère l’étymon grec καλα le pluriel de καλον « bois, principalement bois coupé, bois sec à brûler ». Le mot καλα  est rarement attesté en latin. C’est la raison pourquoi von Wartburg pense qu’il est parfaitement possible que ce groupe de mots a été introduit directement par les Grecs dans le Midi de la France. Le fait que καλα  n’est conservé qu’avec des suffixes d’origine prélatins, comme  –okku  dans le Nord-Est   et -ossu  dans le Midi, renforce cette hypothèse d’un emprunt direct au grec. Les Grecs auraient introduit ce mots à l’époque des premières colonisations  dans le Midi, ce qui expliquerait la présence des suffixes préromanes, les Celtes n’étant pas encore arrivés.

A la fin de l’article Souche (FEW XXI,60a-b) l’auteur renvoie vers l’article Fougère (FEW , vol 21, 164a) où se trouvent réunies les attestations nord-occitanes  de challaye, challage (Forez), chalosse (Poitou), qui appartiennent probablement à la famille  cale  « souche » du grec kala.

Il y renvoie aussi à l’article Tiges, fanes de légumes, etc. ( FEW , XXI, 120b) où se trouve un grand groupe de mots chalosse  « tige des plantes légumineuses…. »  chalaille  « tiges desséchées…. », et  dans le commentaire:  » Ce groupe appartient certainement à la famille kala  « souche » d’après  von Wartburg.

Enfin dans l’article chènevotte (FEW XXI, 151a)  se trouvent  escalousso « maque, broie dont on se sert pour rompre le chanvre » (St-Afrique)  et un représentant dans le Nord-Est  escaloussá « briser la tige du chanvre »; occitan carai  « chènevottes », carabrai « menus débris de chanvre qui tombent sous la maque, lorsqu’on le teille ».

La littérature sur cette grande famille de mots reste limitée à l’article de J.Hubschmid dans la revue  Vox Romanica 19(1961),160 ss, qui suppose une origine préromane en se basant sur l’origine préromane des suffixes. Von Wartburg penche pour une origine  grecque.

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  1.   Documents sur l’ancien hôpital d’Aubrac par J. L. Rigal et P. A. Verlaguet Tome Ier (1108-1341). Tome IIième (1342-1500) par J.-L. Rigal, que je n’ai pas pu consulter

Pousseto "sein, poitrine"

Pousseto « sein, téton ».  J’ai rencontré cet emploi du mot pousseto dans un Noël de Saboly (1614-1675):

Canten Nouvè…Chantons Noël…

Helas ! moun Diéu ! lou bel Enfant ! (Mon Dieu ! le bel Enfant !)
Coume pren la pousseto! (Comme il prend le sein !)
Dirias avis que mor de fam : (Je suis d’avis qu’il meurt de faim )
Regardas coume teto ! (Regardez comme il tête !)

Mistral l’utilise avec le sens « poitrine; seins » dans Lou pouèmo dóu Rose :

(Source :Frédéric Mistral Poet and Leader in Provence.  Par Charles Alfred Downer)

Louis Bernard Royer (Avignon 1677-1755) écrit:

(Source)

L’abbé de Sauvages donne  pousseto  « le mamelon » (S2).

L’étymologie donnée par le FEW a été une surprise. J’ai pensé en première instance qu’il s’agissait d’un dérivé de pousse dans le sens « jeune pousse, bourgeon » dérivé du verbe  du latin pulsare « bousculer, heurter ».  Le verbe  pousser  avec le sens « croître » ne se trouve en français que depuis la Renaissance. La première  attestation vient d’ Olivier de Serres, originaire du Vivarais (Ardèche).  Les attestations dans les parlers galloromans viennent surtout du domaine occitan: Toulouse, Hérault, Lozère, …. Il n’est donc pas impossible que cette évolution sémantique s’est produite en occitan1 avant de monter à la capitale.

Le FEW range pousseto  « sein, téton » dans l’article *puppa  « petite fille ».  En effet popa  « mamelle de la femme » est attestée en occitan depuis 1350 et le verbe popar  « téter » vers la même époque. Dans les parlers modernes les deux mots sont attestés en franco-provençal et tout le domaine  languedocien et gascon, avec quelques rares attestation à l’est du Rhône.

Une deuxième forme, poussa  est très bien attestée en franco-provençal et en provençal, d’après le Thesoc :  possa « pis » ALPES DE HAUTE-PROVENCE, ALPES-MARITIMES,ARDECHE, BOUCHES-DU-RHONE, DROME, GARD, HAUTES-ALPES,ISERE, VAR, VAUCLUSE. avec quelques dépassements du Rhône comme par exemple dans le Gard à Sernhac et Uzès  pousso  « sein » (Thesoc 2 s.v. sein] et à Marsillargues ( HERAULT).

En italien nous avons le mot  poccia « poitrine de la femme » qui y  est largement répandu, comme le verbe pocciare « boire au sein ».

La forme  avec  –ss-  ou -cc- en Italie, au lieu de -pp-  est expliqué par l’influence des représentants de *suctiare « sucer » (Salvioni s.v.mammella) ou *tittia « téton » (J. Jud dans Literaturblatt 39, 1918, p.249)3

Malgré le fait qu’il est impossible de rattacher les formes italiennes  avec -cc- à pulsare, je ne suis pas 100% convaincu.

Dans les données du Thesoc nous voyons que le mot possa  a dégringolé du point de vue social. Le mot dialectal est devenu courant pour  « pis de la vache », mais est remplacé par le type « tette, téton » pour le sein de la femme. Cela me rappelle l’évolution sémantique de metge « médecin » devenu « vétérinaire ».

Popel « pis de la vache, sein, mamelle » a la même étymologie sans la contamination par *suctiare ou *tittia . D’après le Thesoc s.v. pis  limité aux Alpes Maritimes et la Vaucluse, mais les données du FEW 4 montrent que poupa  et ses nombreux dérivés sont courants de Nice jusqu’en Béarnais. Poupe « mamelle de la femelle d’animaux féroce »  est attesté dans des dictionnaires français du XVIe au XIXe siècle. Le dernier est leGrand Dictionnaires.v.poupe de Pierre Larousse, qui propose  pulpa  comme étymologie.

Par contre poussette  dans la pétanque a un autre sens,  voir poussette.

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  1. Du boulot pour les philologues et linguistes occitans, en cherchant polsar dans les vieux textes
  2. Une erreur est à signaler. Le Gard a le type possa et non pas  popa
  3. Il s’agit d’un compte-rendu d’un livre d’Adolf Hering sur le patois de La Baroche dans les Vosges, paru en 1916, comme Beiheft de la Zeitschrift für romanische Philologie. Jud publie son commentaire dans  le Literaturblatt für germanische und romanische Philologie.   Cela donne à  réfléchir.
  4. XI,605a-b

Balma "grotte, cavité"

Balma, bauma « baume ». Etymologie:  Emprunt au gaulois balma (Dottin, p. 230), le mot étant attesté dans l’aire géographique où s’établirent les Celtes (domaine gallo-roman entier, Italie du Nord, Suisse) Plus dans le  TLF s.v. baume²

Thesoc :balma ALPES DE HAUTE-PROVENCE, ALPES-MARITIMES, BOUCHES-DU-RHONE, DROME, HAUTES-ALPES, VAR, VAUCLUSE.

bòrna DROME.

Le mot est également connu dans les parlers germaniques de la Suisse  barma. Voir à ce propos:  Jud, dans Zeitschrift 38(1817) 4-5 disponible grâce à Gallica.

J. Jud a aussi publié un article dans  Archiv für das Studium neueren Sprachen und Literaturen  124 (1910)92 , mais il n’est disponible que pour les Américains. Si vous avez un ami là-bas…..

Un autre article, disponible cette fois même pour les Français , publié dans la Revue Celtique 39(1870)47  par

J.Loth  intitulé  « La Gallo-roman  Balma ».

Je proteste contre ces lois abusives des droits d’auteur pour des publications qui datent de plus d’un siècle.

Tibat "ivre"

Tibat « ivre », tibé   en français régional (Lhubac). Etymologie : latin stipatus « entassé » le participe passé du verbe stipare  « mettre dru, entassé ». D’après Gaffiot ,  déjà les Romains  utilisaient surtout le part. passé. Tibar est attesté depuis 1400 et courant dans tout le domaine occitan.

En occitan stipare  aurait dû aboutir régulièrement à estiba mais le préfixe es- était compris comme  ex- et  a été senti dans certains endroits  et  comme contraire  au sens « entasser », de sorte que estiba  est devenu tiba.  Il y a pas mal de variantes dans les formes occitanes.  Fréquemment on trouve  l’insertion d’un –l- : tiblà ,  d’un –m-  et d’un –r-: timbrar  « tendre fortement une corde  d’un instrument, un lambeau » (Alès).

tibla "gonfler" Mistral

L’abbé de Sauvages (S1) cite les deux  formes :

  1. tiba « tendre, étendre »  tiba lou lînjhë   « détirer ou dérider le gros linge  » ; tiba « mourir, roidir les membres ».
  2. estibla, terme de lavandière, tendre le linge, le dérider; estiblassa « étriller quelqu’un, lui donner une volée de coups de bâton »

Tibat  peut prêter à confusion dans le domaine languedocien. A Puisserguier  il signifie « gonflé, ferme », à Aniane  « soûl » et en Rouergue « mort », d’après les données du FEW.   Une visiteuse du Tarn m’écrit:

Je ne connaissais pas « tibat  » dans le sens d’ivre qui doit être une image. Tibat = Tendu, tiré. Destibat = détendu, cool, (hum !!!). Pour ivre je connaissais : bandat , et en plus imagé « madur  » ( à point ). Dans le Tarn près de Castres on emploi couramment l’expression « Aquela tiba ! »=Celle-là elle est bien bonne ! ou c’est bien extraordinaire !
tiba "ivre-mort"

tiba "ivre-mort"

Un habitant d’Aniane en Rouergue?

Cf. « Ivre » dans l’Aude  Thesoc. Les deux formes  tibar  et  estibar   se trouvent aussi en catalan.   L’ italien  stipare  signifie « remplir ».

Il y a un lien avec l’allemand steif « raide », néerlandais stijf « raide », anglais stiff « raide » , mais il s’agit là d’un niveau plus profond, l’indo-européen.

La même évolution sémantique  ‘tendu, gonflé’  vers ‘ivre, soûl’ s’est produite  dans le verbe banda se  « s’enivrer » et dans  coufle.

 

Bandà, se "s'enivrer"

Bandà (se), bonda (se) « s’enivrer, se griser »  dans une dizaine de départements d’après le Thesoc, mais dans tout le domaine occitan à l’ouest du Rhône d’après le  FEW XV/1,113b. Se bander  en français régional (Lhubac). L’étymologie est le germanique  *bindo  « bande (de tissu, de cuir), lien »1.

En occitan, comme dans beaucoup de langues,  le vocabulaire pour désigner un « ivre » est très riche.  Aussi nous retrouvons   le mot bandat  « ivre » d’après le Thesoc  du Gard  jusqu’en Gironde2.
Le substantif abstrait bandada « ivresse » seulement dans l’Aveyron et l’Hérault.  Bandari  « ivrogne » à Sorbs (Hérault).

L’évolution sémantique ne m’était pas tout à fait clair. C’est en consultant le Thesoc qui fournit e.a le mot  confle, coufle  « ivre »,  se conflar  « s’enivrer »,  et tibat « ivre », tibé   en français régional (Lhubac),  que je l’ai compris.  Elle a dû se faire à partir du sens  « lier et serrer une bande » > « retenir, tendre » > « gonfler » > « s’enivrer ».

L'ora de bandar (?)

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  1. en non pas  *bunda FEW I, 626b  d’après Chambon, TraLiPhi n° 658
  2. ARIEGE, AUDE, AVEYRON, DORDOGNE, GARD, GERS, GIRONDE, HAUTE-GARONNE, HERAULT, LANDES, LOT-ET-GARONNE, LOZERE, TARN-ET-GARONNE