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Destre

Destre, dextre « mesure de longueur et de surface ». La valeur du destre est très variable. Mon point de départ était le destre de 20 m² mentionné dans un tableau du Compoix de Valleraugue de 1625. Voici ce qu’écrit Mistral:

 Etymologie : latin dextans « les 5/6e de l’unité ». Du point de vue phonétique dextans aurait dû donner *destas en provençal. On peut supposer que le -s a disparu parce qu’on la pris pour la marque du pluriel. Le -r- a été inséré sous l’influence de la famille de mots dexter « droit ».  Au moyen âge, les notions d’arpentage et de « droit » au sens justice étaient étroitement liées.

Le fameux livre de Bertrand Boysset (1355-1415), arpenteur arlésien de la fin du XIVe siècle Siensa de destrar et de la Siensa d’atermenar, (= délimiter, mettre des bornes, du latin terminare) commence avec un dialogue sur l’arpentage entre Dieu et l’Arpenteur dont je ne veux pas vous priver (Ils ne parlent pas politique!) :

DIEU:
Fhil e nostra creatura
Lo destre nos vos baylarem
La terra e l’ayga endestrares
A quascun son dreg donares
La destra non ulh[as rem]-embrar
Per la senestra [gua]sanhar
La siensa atrobares
Del destrar veraiamens [11] /10/
E d’atermenar eysamen
En aquest libre son escrichas
E per quapitols son pausadas
On es tota la veritat
De destrar e d’atermenar
Uzas os si con trobares
Ny per nos es avordenat
Sy vos la tieu arma salvar.
L’ARPENTEUR:
Senher Dieus payre glorios
Lo destre yeu penray de vos
A quascun son dreg daray
Segon que aves avordenat ….

Pour lire la suite allez sur le site de Pierre Portet, qui a étudié à fond le manuscrit et édité le texte http://palissy.humana.univ-nantes.fr/CETE/TXT/boysset/index.htm . Un site qui valait le voyage!! **** Le lien ne fonctionne plus….

…..…..…..

            Les destradors au travail..…..Dieu et l’arpenteur. Illustrations du manuscrit de Carpentras. (Pierre Portet)

Mistral écrit dans son Trésor I, 786,3 s.v. destra quà la bibliothèque d’Aix en Provence existe un manuscrit Libre qu’ensenha de destrar attribué à Arnaud de Villeneuve, le fameux medecin qui a amélioré l’alambic. Il doit s’y trouver toujours.

Le ‘webmaster’ du site de l’AGAC a eu la gentillesse de me faire parvenir l’image d’une carte des différentes valeurs du destre dans le Gard. Elle montre l’extrême complexité des mesures à l’ancienne. A cela s’ajoute que pour les vignes un destre valait moins que pour l’agriculture.

 

 

Gous, gos

Gos, gous « chien ».  Dans beaucoup de langues il y a un genre d’onomatopées pour exciter ou appeler des chiens qui consistent dans les sons k et s, avec ou sans voyelles entre ces deux sons : en suisse-allemand ks-ks , néerlandais koest (1) , espagnol cuz-cuz (?), allemand kusch, occitan cuss-cuss, gous-gous, ou guiss-guiss. A partir de ces sons a été créé le verbe agoucer « exciter (un chien) » d’ou le dérivé gos, gous « sorte de chien », attesté depuis le Moyen Age en wallon, picard d’un côté et en occitan à l’ouest du Rhone (Thesoc: Ariège, Aude, Hte Garonne, Hérault, Pyr-Orientales , Prov. d’Huesca; d’après les dictionnaires cités par le FEW aussi dans l’Aveyron, le Cantal, le Limousin, le Périgord et en Béarn). Voir la carte dans l’article can  « chien »

Un visiteur précise: Mes interlocuteurs en occitan (ils se font rares) prétendent (à Pézénas) que le mot « gos » vient de la montagne, tandis que le mot « chin » serait le plus courant en plaine. Cela ne les empêche pas de dire « ai una canha de gos« , m. à m. « j’ai une flemme de chien » ou encore « Es coma la gossa de Cacari » (i accentué). J’ignore qui était ce Cacari mais il devait avoir une chienne particulièrement paresseuse.

Malgré l’attestation à Prades gousa « jeune fille qui court après le garçons », les étymologistes ne croient pas que français gosse « enfant » a la même étymologie, mais on n’en a pas encore trouvé l’origine. La dernière proposition est le suédois! Voir TLF.

Le mot occitan gos, gous a été transféré à des outils : ancien occitan gosa « machine de guerre » (laquelle ?), Aveyron engoussos « machine pour assujettir un fuseau dont on dévide la fusée »(image?) et à une série de plantes: gousses « capitules de la bardane » (Carcassonne), gousséts « cynoglosse » (Pamiers, goussés « orlaya grandiflora » (Aude), mais « fruits du renoncule des champs » en Lauragais.

                                   

le gos d’Obama            capitules                        orlaya                   renoncules

Note: (1) Interprété par les dictionnaires étymologiques allemand et néerlandais comme un emprunt au français couche-toi. Mais je me demande pourquoi on parlerait français aux chiens. ?

Can

Can « chien », vient directement du latin canis, ou plutôt canem.

                                   
D’après cette carte le type tchin, tsin est le plus fréquent, suivi du type can. Les deux représentent latin canem > cane > can >ca, co etc. Le FEW suit Ronjat qui explique la forme irrégulière (avec tch- , ts-) par la propagation de la forme francoprovençale. tandisque on trouve la forme occitane cagne < *cania pour « chienne » jusqu’en Bourgogne et même en français! Pour le nord-occitan l’évolution ca- > tch- est régulière; voir à ce propos mon Introduction, Histoire de la forme.

Il est curieux que le dictionnaire Panoccitan qui veut « normaliser » le languedocien,  choisi un mot aussi excentrique que gos comme « panoccitan ».

Caminada

Caminada « presbytère ». Un visiteur m’a demandé de lui fournir une étymologie de son nom de famille Caminade. Il a ajouté que dans son village on appelait le presbytère la caminade et qu’il y a une chambre d’hôtes à Cazals (Lot ) occupant un ancien prieuré du XIIeme siècle qui s’appelle « La Caminade« .

       

J’ai pu lui donner le réponse que voici:

Bonjour,
Le résultat est plus intéressant que je ne croyais! A première vue on dirait en effet qu’il s’agit d’un dérivé du mot d’origine gauloise camminus « chemin, sentier »; la forme caminado est en effet attestée une fois à Ytrac (Cantal) avec le sens « traite de chemin ». C’est tout.
Mais il y avait aussi le mot latin caminus « cheminée » qui a abouti à la même forme camin que camminus « chemin ». Cela a pu prêter à confusion et par conséquence, au lieu de parler du camin « cheminée », on a préféré parler de la camera caminata « pourvue d’une cheminée » plus tard abrégée en caminata (6e siècle) , qui ensuite a subie les transformations normales, > caminada en occitan, >cheminée dans le Nord.
Le mot était très répandu en Italie du Nord et il est passé en allemand Kemenate « chambre pour les femmes dans un chateau » ( toujours dans les dictionnaires! Voir Grimm pour les nombreuses significations et variantes.) et en moyen néerlandais kemenade, encore assez fréquent comme nom de famille, par ex. van Kemenade ou van Kimmenade.
Dans une région restreinte de l’occitan, en particulier le Lot, le Lot et Garonne, l’Aveyron, Albi, caminada a pris le sens « presbytère ». Aux attestations du FEW, il faudra ajouter Espedaillac, d’après votre témoignage. L’évolution sémantique peut avoir été la même que celle de cheminée, mais avec un autre substantif, peut être maison, ou casa caminada, abrégée en suite en caminada. Il est également possible que caminada a pris le sens « presbytère » par un simple emploi au figuré : la maison du curé où il y a une cheminée, contrairement à l’église. . Une telle évolution a eu lieu en tout cas dans le Doubs, à Bournois près de Baumes-les-Dames et à Belfort ou tsemena a pris le sens de « maisonnette contigue à une maison ». Ces maisonnettes étaient plus jolies et mieux chauffées que les fermes, parce qu’elles étaient destinées aux propriétaires à la retraite ».
Là nous sommes dans l’actualité brûlante!
Avec mes sincères salutations.

Caminada dans DuCange dans l’article caminata qu’il définit comme « la chambre ou la pièce où se trouve la cheminée. »
 » ensuite ils
[les moines] quittent le réfectoire, ils boivent dans la caminada … : » Crodegangus de Metz vécut de 712 à 766 (Wiki). Laudinus [Christophorus -; fin 15e s.] dit à propos de Dante: caminata s’appelle sale de palagi en Lombardie, le salon des palais.
Nous trouvons une évolution analogue dans focarius « qui concerne le foyer » > « foyer » > « lieu où vit une famille » > « famille », et dans le mot feu « Unité fiscale utilisée pour l’imposition jusqu’au 18e siècle ». (Voir TLF)

En néerlandais on trouve les variantes que voici ; Caminada, avec une carte de la répartition géographique) Van Cimmenaede, Kemena, Van Kemena, Kemenade, Van de Kemenade, Kemna, Kiemeneij, Kimenai, Kimenaij, Kimmenade, Van Kimmenade, Van de Kimmenade, Van Kimmenaede. (Source).

Calendas

Calenda(s) « Noël ». Etymologie: latin calendae « premier jour du mois ».

Chez les Romains le premier jour du mois était le jour du paiement des dettes. Ce sens s’est conservé en ancien français et ancien occitan jusqu’au XVIIe siècle. D’après Alibert il existe aussi en languedocien moderne, mais je n’ai trouvé aucune autre attestation.  Pourtant cela me rappelle qu’à Valleraugue le pain était payé à la fin du mois. Voir l’article  osca  « coche »

L’expression calenda maia signifie « le 1er mai; chanson qu’on chantait ce jour-là », expression empruntée par le breton calemay, ou kal « 1er jour du mois ».

L’expression française renvoyer aux calendes grecques (depuis Rabelais) est un traduction du latin ad calendas Graecas solvere c’est-à-dire jamais, parce que les Grecs ne connaissaient pas les calendae.  Ceci n’a rien à voir avec la crise avec la crise de l’€ ! J’ai écrit cet article en 2007.

Dans le royaume des Francs, à l’époque mérovingienne, avait lieu un grand rassemblement de l’armée au mois de mars, comme chez les Romains au Campus Martius. Les chefs discutaient à ce moment des problèmes de guerre, de paix et de politique. Le roi Pepin le Bref a déplacé en 755 la date de ces assemblées au mois de mai. De là les Champs de mars, qui deviennent des Champ de mai. Depuis le règne de Louis Ier, le Pieux (788-840) cette tradition a été abolie. A partir de cette époque le début de l’année a été fixé vers la période de Noël et le mot calendae a suivi ce déplacement dans une grande partie du domaine galloroman et s’est maintenu dans la Suisse Romande et l’est du domaine occitan.

Ci-dessus la carte géolinguistique tirée de l’article de J.Jud (RLiR10,1934). Un article très intéressant, intitulé Sur l’histoire de la terminologie ecclésiastique de la France et de l’Italie, où il explique que les limites des aires de certains mots ecclésiastiques coïncident avec les limites diocésaines, établies pendant le haut Moyen Age, Ve au VIIe siècle.(62 p, que vous pouvez lire en cliquant sur le titre).

Ce qui est un soutien pour  ma devise « Parcourir le temps c’est comprendre le présent »!

A Toulouse est attesté le mot calandro  » les 12 premiers jours de l’an dont le temps permet de prédire le temps qu’il fera les 12 mois de l’année ». Dans l’Aveyron les colendos sont les 12 jours qui précèdent Noël.

Si vous voulez tout savoir sur la Table Calendale suivez le lien!