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Garrél "boiteux"

Garrél « boiteux, pied-bot, détraqué » ,  de garrel « de travers » vient d’un gaulois *garra « partie de la jambe ». Cette racine qui correspond à des mots celtiques comme le breton  gâr « jambe », garr  en cymrique, gairri  en ancien irlandais, a eu un riche développement en galloroman et les langues voisines.

Le FEW  distingue trois groupes de significations:

  1. Jambe ou partie de la jambe; le creux poplité, le creux du genoux comme ancien occitan la garra  « jarret »,   et le dérivé  jarrut « bien noué des jarrets (Languedocien). boiteux, cagneux »,  comme garrél  « boiteux », garrelà « boiter », garrelejà
  2. grande ongle courbée chez les animaux.
  3. branche courbée, tige.

Garrèl « bigarré »  a une autre étymologie. Suivez le lien.  Alibert mélange les deux famille de ùmost dans son article garrél?

Cruc 'cime'

Cruc« cime de montagne » (ALF), cruca « tête, crâne » en limousin, Périgord, Agen; cruc pelat  « tête chauve » à Teste  viennent d’un gaulois *krouka  « cime » et appartient à une famille pré-indo-européenne *carra « pierre ». Voir  l’article Crau.

Pousseto "sein, poitrine"

Pousseto « sein, téton ».  J’ai rencontré cet emploi du mot pousseto dans un Noël de Saboly (1614-1675):

Canten Nouvè…Chantons Noël…

Helas ! moun Diéu ! lou bel Enfant ! (Mon Dieu ! le bel Enfant !)
Coume pren la pousseto! (Comme il prend le sein !)
Dirias avis que mor de fam : (Je suis d’avis qu’il meurt de faim )
Regardas coume teto ! (Regardez comme il tête !)

Mistral l’utilise avec le sens « poitrine; seins » dans Lou pouèmo dóu Rose :

(Source :Frédéric Mistral Poet and Leader in Provence.  Par Charles Alfred Downer)

Louis Bernard Royer (Avignon 1677-1755) écrit:

(Source)

L’abbé de Sauvages donne  pousseto  « le mamelon » (S2).

L’étymologie donnée par le FEW a été une surprise. J’ai pensé en première instance qu’il s’agissait d’un dérivé de pousse dans le sens « jeune pousse, bourgeon » dérivé du verbe  du latin pulsare « bousculer, heurter ».  Le verbe  pousser  avec le sens « croître » ne se trouve en français que depuis la Renaissance. La première  attestation vient d’ Olivier de Serres, originaire du Vivarais (Ardèche).  Les attestations dans les parlers galloromans viennent surtout du domaine occitan: Toulouse, Hérault, Lozère, …. Il n’est donc pas impossible que cette évolution sémantique s’est produite en occitan1 avant de monter à la capitale.

Le FEW range pousseto  « sein, téton » dans l’article *puppa  « petite fille ».  En effet popa  « mamelle de la femme » est attestée en occitan depuis 1350 et le verbe popar  « téter » vers la même époque. Dans les parlers modernes les deux mots sont attestés en franco-provençal et tout le domaine  languedocien et gascon, avec quelques rares attestation à l’est du Rhône.

Une deuxième forme, poussa  est très bien attestée en franco-provençal et en provençal, d’après le Thesoc :  possa « pis » ALPES DE HAUTE-PROVENCE, ALPES-MARITIMES,ARDECHE, BOUCHES-DU-RHONE, DROME, GARD, HAUTES-ALPES,ISERE, VAR, VAUCLUSE. avec quelques dépassements du Rhône comme par exemple dans le Gard à Sernhac et Uzès  pousso  « sein » (Thesoc 2 s.v. sein] et à Marsillargues ( HERAULT).

En italien nous avons le mot  poccia « poitrine de la femme » qui y  est largement répandu, comme le verbe pocciare « boire au sein ».

La forme  avec  –ss-  ou -cc- en Italie, au lieu de -pp-  est expliqué par l’influence des représentants de *suctiare « sucer » (Salvioni s.v.mammella) ou *tittia « téton » (J. Jud dans Literaturblatt 39, 1918, p.249)3

Malgré le fait qu’il est impossible de rattacher les formes italiennes  avec -cc- à pulsare, je ne suis pas 100% convaincu.

Dans les données du Thesoc nous voyons que le mot possa  a dégringolé du point de vue social. Le mot dialectal est devenu courant pour  « pis de la vache », mais est remplacé par le type « tette, téton » pour le sein de la femme. Cela me rappelle l’évolution sémantique de metge « médecin » devenu « vétérinaire ».

Popel « pis de la vache, sein, mamelle » a la même étymologie sans la contamination par *suctiare ou *tittia . D’après le Thesoc s.v. pis  limité aux Alpes Maritimes et la Vaucluse, mais les données du FEW 4 montrent que poupa  et ses nombreux dérivés sont courants de Nice jusqu’en Béarnais. Poupe « mamelle de la femelle d’animaux féroce »  est attesté dans des dictionnaires français du XVIe au XIXe siècle. Le dernier est leGrand Dictionnaires.v.poupe de Pierre Larousse, qui propose  pulpa  comme étymologie.

Par contre poussette  dans la pétanque a un autre sens,  voir poussette.

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  1. Du boulot pour les philologues et linguistes occitans, en cherchant polsar dans les vieux textes
  2. Une erreur est à signaler. Le Gard a le type possa et non pas  popa
  3. Il s’agit d’un compte-rendu d’un livre d’Adolf Hering sur le patois de La Baroche dans les Vosges, paru en 1916, comme Beiheft de la Zeitschrift für romanische Philologie. Jud publie son commentaire dans  le Literaturblatt für germanische und romanische Philologie.   Cela donne à  réfléchir.
  4. XI,605a-b

Tibat "ivre"

Tibat « ivre », tibé   en français régional (Lhubac). Etymologie : latin stipatus « entassé » le participe passé du verbe stipare  « mettre dru, entassé ». D’après Gaffiot ,  déjà les Romains  utilisaient surtout le part. passé. Tibar est attesté depuis 1400 et courant dans tout le domaine occitan.

En occitan stipare  aurait dû aboutir régulièrement à estiba mais le préfixe es- était compris comme  ex- et  a été senti dans certains endroits  et  comme contraire  au sens « entasser », de sorte que estiba  est devenu tiba.  Il y a pas mal de variantes dans les formes occitanes.  Fréquemment on trouve  l’insertion d’un –l- : tiblà ,  d’un –m-  et d’un –r-: timbrar  « tendre fortement une corde  d’un instrument, un lambeau » (Alès).

tibla "gonfler" Mistral

L’abbé de Sauvages (S1) cite les deux  formes :

  1. tiba « tendre, étendre »  tiba lou lînjhë   « détirer ou dérider le gros linge  » ; tiba « mourir, roidir les membres ».
  2. estibla, terme de lavandière, tendre le linge, le dérider; estiblassa « étriller quelqu’un, lui donner une volée de coups de bâton »

Tibat  peut prêter à confusion dans le domaine languedocien. A Puisserguier  il signifie « gonflé, ferme », à Aniane  « soûl » et en Rouergue « mort », d’après les données du FEW.   Une visiteuse du Tarn m’écrit:

Je ne connaissais pas « tibat  » dans le sens d’ivre qui doit être une image. Tibat = Tendu, tiré. Destibat = détendu, cool, (hum !!!). Pour ivre je connaissais : bandat , et en plus imagé « madur  » ( à point ). Dans le Tarn près de Castres on emploi couramment l’expression « Aquela tiba ! »=Celle-là elle est bien bonne ! ou c’est bien extraordinaire !
tiba "ivre-mort"

tiba "ivre-mort"

Un habitant d’Aniane en Rouergue?

Cf. « Ivre » dans l’Aude  Thesoc. Les deux formes  tibar  et  estibar   se trouvent aussi en catalan.   L’ italien  stipare  signifie « remplir ».

Il y a un lien avec l’allemand steif « raide », néerlandais stijf « raide », anglais stiff « raide » , mais il s’agit là d’un niveau plus profond, l’indo-européen.

La même évolution sémantique  ‘tendu, gonflé’  vers ‘ivre, soûl’ s’est produite  dans le verbe banda se  « s’enivrer » et dans  coufle.

 

Ussa,ussos "sourcil, sourcils"

Ussa,ussos « sourcil, sourcils », d’après le Thesoc le mot est courant  dans ALLIER, ARDECHE, AVEYRON, GARD, GIRONDE, HERAULT, INDRE, LOT-ET-GARONNE, LOZERE.  L’étymologie est inconnue 1. Une première attestation de 1611 vient du dictionnaire français/anglais de Cotgrave, l’excellent connaisseur de l’occitan.

D’après Alibert ussa  signifie aussi « visière ». Ussar « froncer les sourcils », ussejar « sourciller ». Il cite en plus un autre mot ussa  « luette » également d’origine inconnue.

En dehors de l’occitan, le type usse  se trouve en Saintonge, Poitou, le centre, disons au sud de la Loire. La remarque du FEW à propos de la carte de l’ALF, qu’il y a beaucoup de confusion entre le nom des « cils » et des « sourcils », n’est pas confirmée par les résultats donnés par le Thesoc, qui ne mentionne le type ussa « cils » que pour un village de l’Aveyron.

ussa perfacha

ussa du Moyen Age      ussa moderne

        ussa médiévale                                                          ussa moderne

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  1. FEW XXI, 298b