cat-right

Acantonar

Acantonar 1. v.tr. « rencoigner, cantonner » 2. v.r. « se tapir, se blottir dans un coin » est dérivé du latin canthus 1) bande de fer qui entoure la roue. 2) « angle, coin de l’oeil ».

Ces deux significations se retrouvent dans le grec kanthos, mais il semble que le grec a emprunté le mot au latin.   Quintilien (1er siècle) écrit que c’est en Afrique ou en Espagne qu’on appelle la bande de fer autour d’une roue cantus, mais il y a peu d’attestations.  Cant(h)us pourrait être d’origine préromane. Peut-être y a-t-il un lien avec le celte. Il y a par exemple le mot  breton kant « cercle ». Le TLF  cite le Thesaurus Linguae Latinae : « Du lat. canthus « bande de fer qui entoure la roue » prob. d’orig. celt. plutôt qu’esp. ou africaine comme l’indique Quintilien (Inst., 1, 5, 8 ds TLL s.v., 282, 83). »  Je ne peux pas consulter le TLL, si quelqu’un a la possibilité, contactez moi.

Le passage du premier sens de canthus vers « côté, le côté le plus étroit d’une planche », qui est conservé en ancien occitan can « côté, bord », et à Pézenas de cantels « posé de chant »,  est facile comprendre, surtout si on pense à des roues pleines. Ce sens a été conservé en italien, espagnol et portugais canto, et dans les langues germaniques : le néerlandais kant « côté, bord; dentelle », l’allemand Kante et l’anglais cant  « côté; bord; angle ».  Sur l’histoire de ces mots dans les langues germaniques voir par exemple le dictionnaire des frères Grimm ou cherchez pour l’anglais le site de « The American Heritage Dictionary of the English Language ».

Le français décanter, attesté depuis 1690 seulement a probablement été formé sur le latin des alchimistes decantare. La forme régulière qui se trouve dans le mot chant, le chant d’une brique, d’un livre, une scie à chantourner etc. est attestée depuis 1155.

A partir du sens  de cantoun « côté étroit » , s’est développé en occitan le sens  « angle, coin (surtout en parlant d’une maison, d’une rue) »  que nous retrouvons dans de nombreux dérivés : ancien occitan canton « coin » (12e s.), languedocien cantou « coin » , ancien languedocien cantonier « pierre qui lie deux murailles à l’angle »  (Millau 1415), Aveyron contounat « ce qui est entassé dans un coin » , recantoun, ricantoun « petit réduit dans une habitation » (Andolfi) et provençal /lang. acantouna « garder le coin du feu, se blottir dans un coin « . L’abbé de Sauvages parle du cap de cantou « coin de rue ».
Antoine Bigot, le poète et conteur nîmois, écrit  s’assétè ou cantoun dou fiô, Pér nous ésclarci la visto, …(Voir le site de Georges Mathon pour le texte complet.)
A Montpezat un canton est une « pierre d’angle » , comme en témoigne l’adage « Per un bon maçon toti li pèiras fan canton ». Une variante à Valleraugue : Sap y faïre, touto peiro li fo contou ».  Je crois que c’est une expression très répandue en occitan. (Domergue).

A partir du sens   « angle d’une rue »  nous arrivons à languedocien canto « carrefour » et trescantou « carrefour de 3 rues » . La Place des Treize Cantons à Marseille est un trescantou, dont le nom a été mal compris et mal traduit en français.  Tres  « trois » est devenu « treize ».

Place des 13 cantons de Marseille

A partir du sens cantou, canton « coin », on est passé au sens « partie d’un pays » et ensuite à  « bout de terre, champ »;    en fr.rég. a été créé le mot péjoratif cantounailles « recoins de terre peu propices » (Domergue)

Français canton « sous-division d’un département » introduit depuis 1789 est un emprunt à l’occitan plus spécialement au languedocien.   C’est une extension de sens de canton « ensemble de sections de route » . Canton et cantonnier ont été empruntés au languedocien ou formés sur cantou « partie d’un pays » , au 18e siècle. Il semble que c’est le marquis Henri de Carrion Nisas (1660-1754) de Pézenas (actuellement château Ormesson) qui a organisé l’entretien des routes par canton dans le Languedoc et que ce système avec le mot a été ensuite adopté dans la capitale et la langue française. La proposition de loi qui divise la France en cantons (appelés vigueries jusqu’à cette date), a été faite en 1790 par Sieyès, un Provençal. Le seul doute qui subsiste c’est que les mots français n’apparaissent que bien plus tard dans les dictionnaires.

Allemand Kanton vient de l’italien de Lombardie cantone à travers la Suisse.

Le mot néerlandais kanton a une autre histoire.  Pendant l’occupation française des Pays Bas et de la Belgique à partir de 1795 et l’annexation pure et simple de 1810 à 1813,

la répartition administrative française y a été imposée, notamment les départements, arrondissements, cantons et communes. Cette répartition est partiellement maintenue aux Pays Bas jusqu’à nos jours :

  • dans le domaine de la justice où nous trouvons des kantons et des kantonrechters littéralement « juge du canton », et des arrondissements et des arrondissementsrechtbank littéralement « cours de justice de l’arrondissment ».
  • au niveau des communes et des circonscriptions de l’entretien des eaux et des digues, le nom kantonnier est encore utilisé dans certains endroits, pour le responsable de l’entretien des routes , ou des digues etc. Dans le patois de Maastricht un kanton est une « partie d’une route, d’environ 5 km » et un kantonneer c’est celui qui a la pelle ou le balai à la main et doit l’entretenir

En Belgique par contre, l’organisation adminitrative en cantons, arrondissments etc. a été maintenue dans beaucoup d’autres domaines.

Un paradoxe ou l’ironie de l’histoire.  La  Republiek der Zeven Verenigde Nederlanden ( République des Sept Pays Bas Unis) a existé de 1581  jusqu’à 1795, c’est-à-dire jusqu’à l’invasion par les troupes françaises.  Sur la carte ci-dessous vous voyez aussi que le Limbourg, avec sa capitale Maastricht, a été annexé à l’empire français dès 1792. Vingt ans d’occupation française ont laissé pas mal de traces dans les patois limbourgeois, notamment dans le patois de Maastricht.

Napoléon l transforme la République  en  Koningrijk Holland,  Royaume de Hollande et nomme son frère  Louis Napoleon Bonaparte roi.  Louis appelé Lodewijk de goede (Louis le bon)  défendait trop bien les valeurs  des républicains néerlandais et les conflits avec son frère  l’amènent à abdiquer le 9 juillet 1810. Le  Royaume   de Hollande est  alors annexé. Après la Bataille de Waterloo et la  libération en 1815, l’ancienne  République des Pays Bas est restée le  Royaume des Pays Bas jusqu’à nos jours.

Royaume de Hollande en 1810

Pays Bas en 2011

Jas, jasse

Jas « litière, gîte » (Camargue), jasse, jaç . Les deux formes sont très fréquentes dans la toponymie. Dans le Compoix de Valleraugue:  Maison geasse « bergerie ». Dans le classement « fonctionnel » de C. Lassure jas (m) : terme provençal (jaç en graphie occitane normalisée) employé pour désigner les grandes bergeries en pierres sèches (ou non) des Monts de Lure et d’Albion dans les Alpes-de-Haute-Provence. Ceci est confirmé par E.Fabre : « Le Jas est une grande hutte en pierres qui doit nous abriter la nuit, bêtes et gens. »


Jean Giono devant le jas de Bouscarle1

Dans le site de l’IGN on trouvait 474 noms de lieu composés avec le mot jas ! J’ai parcouru un peu cette liste et constaté qu’il y en a beaucoup dans les départements 04 et 05 , mais également dans la Loire (42), et 341 fois la graphie est jasse.

En latin le verbe jacere signifie « jeter, lancer, envoyer », mais aussi « poser », par exemple dans jacere muros « construire des murs » ou jacere fundamenta urbi « jeter les fondements d’une ville ». Il a dû exister un substantif dérivé *jacium « gîte » qu’on retrouve dans de nombreux patois italiens et galloromans au sud de la ligne Loire-Vosges ainsi qu’en catalan, avec 3 groupes de significations:

  • 1) gîte des animaux sauvages
  • 2) gîte ou parc pour les animaux domestiques
  • 3) litière , par ex. piémontais jas « pavement de l’étable », catalan jaç « litière; lit »(DE)

Ajassá « coucher, enfermer le bétail », verbe réfléchi « se coucher ».  En ancien occitan jatz signifie « gîte d’un animal sauvage » et il y a des attestations dans tout le domaine occitan, de Nice jusq’au Béarn. A partir de ce sens a été formé le dérivé ajassá « coucher », verbe réfléchi « se coucher », également très répandu.

Un lièvre dans son jas

Déjà en ancien occitan (1208) jas prend le sens de « parc où l’on faisait coucher les troupeaux de chèvres et de moutons dans les pâturages de montagne » et de là « bercail; bergerie ».  Ce sens se trouve principalement en provençal, y compris les vallées provençales de l’Italie, mais aussi en Ariège : « pont d’étable » et à Apinac (Loire)  » habitation rudimentaire avec étable et grange où le bétail séjourne en été ».
En languedocien nous retrouvons ce sens dans le dérivé jasso « petite métairie » (Alès) ou « bergerie » ( Alzon, Valleraugue, Lasalle) et le verbe ajassá « renfermer le bétail » (St André de Valborgne).

Le sens « litière » est provençal et languedocien. La zone continue en catalan.jaç « litière; lit ». En languedocien le mot jasses au pluriel était également utilisé pour la « litière des vers à soie » et ensuite a été créé le verbe desenjassá « déliter des vers à soie ».
Les sens jas « partie du melon qui repose par terre » (Pézenas) ou « bourbe » (Languedocien) font partie de la même famille.
Jaç
« placenta des animaux »(Ariège), voir jaïre.

  1. Son arrière petit fils Bruno Bouscarle m’écrit en janvier 2016  » Bonjour, sur l’illustration du mot Jas il est dit sous l’illustration : « Jean GIONO devant son jas.  » Or il ne s’agit pas de SON jas mais bien du Jas de Bouscarle acheté par mon arrière grand père dans les années 1890 et qui est toujours dans ma famille depuis cette date. Merci.

    De très belles photos du jas La Bouscarle et d’autres  monuments en pierre sèche du Plateau de Contadour dans le pays de  Haute Provence dans ce site