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Vallat, valat

Vallat, valat s.m.  « ravin, fossé; tranchée pour défricher un champ (S); vallée ».  Ce dernier sens est dû à l’influence du français. Grâce au moteur de recherches interne je peux savoir ce que les visiteurs ont cherché dans mon site : 9 fois le mot vallat cette semaine. Alors je m’y mets.

La latin avait deux mots  vallis  s.f. « vallée » et vallum s.n. « palissade, parapet, rempart ». Ce dernier existe toujours en italien et espagnol vallo ‘rempart’.  En Gaule ces deux mots sont assez tôt devenus identiques dans la langue parlée. Vallis et vallum ont  abouti à val en galloroman, et cette forme s’est maintenue surtout dans les noms de lieu.  Il faudra pour chaque toponyme vérifier s’il s’agit d’un rempart ou d’une vallée.

Dans le sens « vallée » il est remplacé par vall- + ata > vallée en français , valada en occitan. Cf. anglais wall « rempart », cf. Wall street,  (< vallum),  et  vale  « vallée »  de l’ancien français val  « vallée » et valley, néerlandais wal « rempart », et  vallei « vallée »; le quartier rouge d’Amsterdam s’appelle « de Walletjes » littéralement « les petits remparts », allemand der Wall « rempart ».

   Walletjes Amsterdam

Des remparts  à New York et à Amsterdam

Vallat est un autre dérivé, avec le suffixe –attu  de vallum qui signifie « fossé » depuis les plus anciens textes en occitan  comme dans les parlers modernes : ‘fossé, ruisseau, rigole, ravine’ . La forme gasconne barat ‘fossé’ a même servi de modèle au français baradine « fossé établi sur une colline pour donner de l’écoulement aux eaux », mais ce mot a disparu du français actuel d’après le TLF.

Pour l’abbé de Sauvages un valat est un ‘ruisseau’ ou un ‘ravin’ lorsque c’est une ravine qui l’a creusé. Un valà-ratié est « une pierrée , une longue tranchée qu’on remplit de blocaille de cailloutage & qu’on recouvre de terre … pour les conduire à une fontaine: dans ce dernier cas les pierrées doivent être sur un lit de glaise ou de tuf ou de rocher ». Vous voyez que l’abbé essaie d’instruire ses lecteurs, comme j’ai expliqué dans le paragraphe que je lui ai consacré!

Raymond Jourdan, le père d’un fidèle visiteur, a fait une description détaillée la culture de la vigne en Languedoc dans la période entre les deux guerres.  Il utilise le vocabulaire occitan, tel qu’on le parlait à l’époque à Montagnac (Hérault).  Son fils a eu la gentillesse de me faire parvenir ce texte illustré de dessins à main levée.  J’en ai appris énormément de choses sur la viticulture.  La description commence avec le défoncement lo rompre  et se termine  avec l’entonnaire qui s’occupait de la retiraison  pour le négociant. Son lexique  avec une orthographe « normalisé » est consultable ici MontagnacViitiiculture. Ci-dessous je copie la graphie de l’auteur Raymond Jourdan de Montagnac.

Dans le deuxième chapitre  « La préparation à la plantation » il écrit:

Lors du défoncement les hommes suivent la charrue et retirent racines et cailloux qu’ils entassent. Après les racines sont brûlées et les cailloux utilisés pour faire des drainages : ballat ratier (fossé à rats) dont l’ouverture donne sur un fossé ou un ruisseau et qui comporte parfois plusieurs branches pour mieux drainer la parcelle.

En bout de branche est installé un biradou,  endroit où le ballat-ratier débute et où l’animal qui s’y refuge, lapin, counil, rat, serpent (ser), martre, putois (peudis), belette, (moustellepeut se retourner pour ressortir et dans le cas du lapin échapper au furet (foude )  et venir en sortant s’emmêler dans la bourse (panténo) que le chasseur a placée.

En plus il y a un dessin:

Valat est aussi devenu nom propre. Un visiteur m’écrit : « ma grand mère maternelle de mon père était née Valat, mariée à un M. Nicolas, on l’appelait Marie de Valado (féminin de Valat).

Il y a aussi le nom propre Val.

Truc (de Balduc)

Le Truc de Balduc n’est pas le Machin de Balduc dont on a oublié le nom mais une « colline, une montagne ». C’est le truc le plus connu de la Lozère, le département de France le plus riche en trucs, même s’ il y a aussi le Mont Truc en Hte-Savoie. D’après le Pégorier truc  signifie « hauteur, éminence » dans les dép. Lozère, Ardèche et Aveyron. D’autres noms dans la même catégorie : trucaioun « petite butte dans les Cévennes. Trucal « butte, monticule, hauteur aride et isolée » (Languedoc, déjà S1); trucas « grosse butte, gros tertre » Languedoc; tru, truc « grosse pierre, roche; butte, sommet » occitan et franco-provençal. La famille de mots est très répandue en Italie et dans les langues ibéro-romanes comme catalan trucar « donner des coups ». Truc signifie partout  « gros caillou, rocher, bloc erratique, rocher massif »,  en occitan du dép. des Hautes-Alpes jusqu’au Cantal, par ex. à Champsaur « grosse pierre ». Estruquer  » enlever les pierres d’un champ ».

J’ai l’impression que plus on va vers l’ouest plus les trucs grandissent. Voir l’image du Truc de Balduc, qu’on peut difficilement considérer comme un caillou. A Teste (Gironde) truque est une « hauteur de terrain, plus haute que les autres, et dans les Landes un trucest est une « dune ».

Le truc de Balduc

Le FEW considère ce groupe de mots et de toponymes comme dérivés du verbe du latin parlé *trūdĭcare « heurter » créé à partir du latin classique trūdere « heurter ».

*Trūdĭcare a donné en ancien occitan trucar « heurter contre » ( vers 1300). A Nîmes trucâ « heurter » (Mathon). Dans les régions d’élevage trucar se dit en général des bêtes à corne « frapper de la tête, de la corne ». De l’Hérault jusqu’en Gascogne le dérivé truc signifie  » choc, heurt ». A Toulouse le truc est « le bruit que font les écus en les comptant » et dans cette région « payer comptant » se dit paga truquet. En béarnais truc a pris le sens d’un des résultats possibles d’un heurt : « le son d’un battant (de cloche, etc.) ». Ailleurs, surtout en gascon l’évolution a continué et le truc est devenu « grande clochette pour le bétail » (Val d’Aran, Lavedan, les Landes, etc.).

L’étymologie donnée mais pas expliquée par le FEW du truc  « gros caillou » comme le TRuc-de-Balduc  n’est pas très convaincante. C’est surtout l’évolution sémantique « choc, heurt, battant » > « caillou, rocher, tertre » qui n’est pas claire. Le verbe catalan trucar « sonner, donner un coup (de fil), frapper à la porte » et ses dérivés sont expliqués comme des onomatopées par Corominas (DE) , mais ils pourraient s’expliquer éventuellement  à partir d’un verbe  trūdĭcare « heurter ».  Le Truc de Balduc  par contre est beaucoup plus difficile à expliquer. D’ailleurs, d’autres comme A.Dauzat ou C. Nigra pensent que truc « rocher » est un élément d’un substrat celtique ou préceltique, ce qui est d’autant plus probable à mon avis qu’il s’agit d’un mot très fréquent dans la toponymie.

 

Traversier

Traversier « bande de terre » dans une partie des Cévennes. Français régional. D’après Alibert traversier « traversin; pièce en travers , traversine; adjectif contrariant ».


dessin de Michel Rouvière

Dans le site magnifique www.pierreseche.com  l’auteur précise que ce nom est limité à la région du Vigan et de Valleraugue. (Ayant habité à Valleraugue, je connaissais uniquement ce mot traversier)  En Ardèche  c’est « une terrasse transversale barrant une parcelle, en pente ».

Traversoier vient  du latin transversarius. Le mot en ancien occitan traversier signifie « traversin » (Narbonne, XIVe s.) ou « mur transversal »(XIIIe s.) ou comme adj. « transversal, mis de travers ».

C. Lassure écrit dans son site:

« en fait, si l’on se fie à des prix-faits du XVIIe et du XVIIIe siècles publiés par Adrienne Durand-Tullou et Y. Chassin de Guerny, on s’aperçoit que le terme désignait les murs en pierre sèche eux-mêmes, à l’exception des murs de démarcation en haut et en bas de la parcelle : « 16 cannes de traversiers à pierre sèche » (1653) (Aumessas);- « 4 traversiers (…) de hauteur convenable » (1661) (Alzon / Arrigas);- « construire 12 murailles à pierre crue et de bonne qualité, savoir 10 en traversiers pour soutenir le terrain » (1788) (Saint-Laurent-le-Minier). Il saute aux yeux qu’un traversier est en premier lieu un « mur traversier » et que ce n’est que par métonymie qu’il en est venu à prendre le sens de « terrasse soutenue par un mur. »

Notre attestation du XIIIe siècle confirme son opinion.

 

Photo de Michel Rouvière

Tauvera, talvera

Tauvera, talvera s.f. « bord de champ qu’on ne peut travailler ». Un visiteur de la Haute-Vienne m’écrit :

Il y a bien longtemps, j’ai guidé les vaches de mon père pour tracer ce premier sillon : « Pitit, vene m’ajudar per far la tauvera! ».

Un mot qui a traversé des siècles. L’origine est une racine gauloise *talu- « front » (de la tête), en irlandais moderne tul, tulach « front », breton tal « front, pièce arrière (de barrique, charrette, & bateau…), & chevet, parement, pignon. ». Aux temps de Celtes a été formée une forme *talwa avec le suffixe -ara > *tálwara qui par métaphore a pris le sens de « bord d’un champ » conservée en Anjou tôvre « talus », dans le centre de la France tauvre « espace de terrain inculte, relevé en forme de butte », à Barcelonette táoubra « bord non cultivé d’un champ ».

*tálwara > tálvera parce que le deuxième –a- était atone. Par la suite d’un déplacement d’acent tálvera est devenu talvéra que nous rencontrons dans le Dauphiné ainsi que dans le centre et l’ouest de l’occitan : tarvéra « espace nécessaire pour tourner la charrue, à chaque extrémité d’un champ labouré ».  Le même sens existe  dans les Hautes-Alpes, Alpes Maritimes, Tarn et Garonne, le Quercy, Aveyron , Lozère, etc.

Les Corréziens sont des joyeux drilles : tóouvéro y a pris en plus le sens « tour de danse ». Un autre suffixe, -enna, qui est probablement d’origine prélatine, est à l’origine de certaines formes.  Notamment en dauphinois et en rouergat le suffixe -era a été remplacé par le suffixe plus courant -aria : à Forcalquier towveyra « bordure qui se laboure en travers », Aveyron toubeyro. Dans le Massif Central a été ajouté le suffiix latin –ella : Allier travellen, Thiers tovelo , Ambert tèuvello « chaintre, lisière d’un champ ».

tauvera et en Corrèze :

Tauvera, talvera ne sont pas les seuls qui ont traversé les siècles. D’autres familles de mots formées avec talu-* : talpena « auvent », talabaltz « bouclier », et des taumon « motte de terre » en franco-provençal (Suisse)

Tap, tapia

Tap  « argile, tuf, couche de terre très dure, non perméable » et tapia « mur en terre, pisé ou torchis » sont  très bien attestés en languedocien et en gascon.

Ils sont d’origine inconnue d’après le FEW XXI, 38a-39a, mais le fait que dans le Sud-Ouest tap, tapèl et tapia signifient « talus » d’après les informateurs des Atlas linguistiques, permet peut-être de rattacher ce groupe de mots aux familles tappon « boucher » et/ou *tappjan « fermer, boucher, couvrir ».

En consultant le livre de Claudette Germi,  Mots du Champsaur,  je vois qu’il y a en Provence et dans des parlers franco-provençaux un type tape, classé dans le FEW sous un étymon pré-latin tippa « motte de terre ».  Tape  signifie en Champsaur « plat herbeux entre deux rochers ».   Notre tap fait  peut-être partie de la même famille.

Une fois de plus nous constatons que les noms donnés à la configuration du terrain, sont très anciens.