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Tome, tomme ‘fromage’

La description très précise de la tome lozérienne par R.-J Bernard , m’a incité à en chercher l’étymologie. Il le décrit  dans son article. L’alimentation paysanne en Gévaudan au XVIIIe siècle. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 24e année, N. 6, 1969. pp. 1449-1467.  ainsi:
TomeLozère

Tomme_LozèreTomme de Lozère 4 mois d’affinage. Excellent !

La tome gardoise ce n’est pas la même. L’abbé de Sauvages écrit en 1756 : Toumo « de la jonchée, fromage mou ou qui est récemment caillé. Le fromage frais et le fromage égoutté est moins récent que la toumo qui est du caillé tel qu’on le tire de la faisselle ou de la forme à faire les fromages ».1

Actuellement le mot français tome ou  tomme a deux définitions  d’après le CNRTL:

1.  Fromage au lait de chèvre, de brebis ou de vache, de forme circulaire, fabriqué en Savoie, en Provence et dans le Dauphiné.

2. ,,Nom du Cantal ou du Laguiole au premier stade de leur préparation« , avec cet exemple très précis : Le pétrissage du caillé dure environ une heure et demie, et une fois terminé, le caillé ainsi malaxé et comprimé constitue ce que l’on appelle la tome (Pouriau, Laiterie, 1895, p. 738).

A l’époque  de l’Abbé de Sauvages la tome gardoise  était donc  la même que celle du Cantal ou de Laguiole actuellement.

Un coup d’œil sur l’article  Tomme de Wikipédia nous apprend qu’il y a de multiples variétés de tommes, non seulement en Savoie, mais aussi dans le Massif central, en  Suisse, dans la Vallée d’Aoste à Gressoney,  dans le Haut-Rhin et au Québec. Il  y a des petits  des moyens et des grands, le maximum étant 12 kg.  Il y a même de la tomme de Camargue ou tomme d’Arles , loin de la montagne.

Conclusion : le mot tome, tomme est un parfait  synonyme de « fromage ».

Une des toutes premières attestations vient de Nîmes, daté de 1200: toma « jonchée, fromage frais ».  Dans les dictionnaires franco-provençaux, dont la Savoie fait partie,  la toma est en général définie comme du « fromage à pâte molle; fromage frais; fromage de ménage: lait caillé, etc. », dans les dictionnaires provençaux c’est du  « fromage blanc, fromage de chèvre; fromage mou; lait caillé ». Les dérivés comme tomasso  désignent presque toujours des fromages; une exception est le dauphinois  tométo  qui signifie aussi « brique de carrelage », repris par Littré dans don dictionnaire : tommette .

L’étymologie  pose pas mal de problèmes.  FEW XIII/2, p.20-21 en fait lr résumé.  Les représentants de *tōma se trouvent dans l’Est et le Sud-Est des parlers gallo-romans, de la Franche-Comté jusqu’à la Méditerranée, mais aussi en Italie dans le Piemont, en Lombardie dans le Val San Martino, et ce qui est plus difficile à expliquer,  en Calabre et en Sicile. La présence de tuma « cacio fresco, non insalato » (fromage frais, non salé) en sicilien  a suggéré une étymologie grecque τομη  (tomè) « morceau coupé », possible du point de vue géo-linguistique,  mais on n’arrive pas à expliquer l’évolution sémantique, puisqu’il s’agit d’un fromage frais.

La conclusion provisoire de plusieurs étymologistes est qu’il s’agit d’un mot pré-roman, non attesté, peut-être liée à une racine indo-européenne *teu « gonfler ».  (Je n’ai pas  encore trouvé de vidéo du processus, mais cela va venir).

J’ai jeté un coup d’œil dans un dictionnaire grec et trouvé quand même  deux significations du mot grec τομη  (tomè), qui pourrait être à l’origine du sens fromage.

Le premier est τομευς (tomeus) « secteur de cercle entre deux rayons; terme de géométrie ». Le sens « fromage » pourrait alors venir de τομευς comme fromage vient de formaticus [caseus] (795 ds Nierm.) « [fromage] moulé dans une forme », dér. de forma « moule, forme à fromage »; cf. forme* au sens de « éclisse dans laquelle on dresse les fromages » et fourme*.  (CNRTL).

Le second est τομη φαρμακων (tomè pharmakon) « préparation de remèdes faits avec des herbes coupées ou hachées »  qui a pu passer au « lait caillé »  une préparation sans ou avec des herbes coupées.

tomè_fines-herbes-lait caillé avec des herbes, non pharmaceutiques

  1. Le CNRTL définit la jonchée ainsi : « Fromage frais mis à égoutter sur une claie de paille longue appelée elle aussi jonchée »

eminada

Dans l’exposition 2015  de l’association du patrimoine  de Manduel, il y a un panneau concernant l’arpentage au Moyen Age avec une liste de différentes noms de surfaces  dont j’ai déjà parlé (pan, destre  cana )  et  eyminée   que je ne connaissais pas.

Patrimoine

Eyminée ou en occitan eminada « étendue de terre qu’on peut ensemencer avec une mine de blé » 1282. est un dérivé de emina « mesure ancienne de capacité » qui représente le  latin hemīna « mesure de capacité » > fr. mine, ancien provençal emina, Alès emino « mesure de capacité pour les grains, 25 litres », à Pézenas 30 litres.

Le président d »honneur de l’association du patrimoine Jean Coulomb a pu  déterminer qu’à Manduel une eminada correpond à 625 m². Pour savoir combien de litres faisait une emina il faudrait savoir ce qu’on semait …

Latin hemīna signifie « un demi sextarius » (sestier) que nous retrouvons en italien, catalan, alsacien et basque, a été emprunté au grec ήμίνα (hèmina) « demi ».

Français minot, minoterie ont la même origine.

FEW IV, 401-402

Biassa ‘sac, casse-croute’

Biassa « sac contenant le casse-croûte »; « casse-croûte ». (SourcePlanetemassalia). Etymologie : latin bisaccia, pluriel de bisaccium. C’est le pluriel qui pris le dessus parce qu’à l’origine il s’agissait d’un double sac.

bisacciumDans les parlers occitans on trouve aussi des formes avec -d- ,  bidasso (Pézenas) et -g- bigasso (Tarn).  Français besace a la même étymologie.

Le grato-biasso était la « collation que les moissonneurs font vers 6 heures du soir ». Des dérivés et autres significations comme par exemple « celuis qui porte une besace » > »mendiant » ou « berger », cela dépend de la localisation.  FEW I,378

A Marsillargues : la Biasse comprend aussi 2 litres de vin.

Biasse :
Nourriture que les travailleurs des champs emportaient dans leurs musettes ou leurs
paniers pour déjeuner ou dîner à la vigne quand ils ne rentraient pas à Midi.
Ils n‟oubliaient pas leur litre de rouge ou de rosé qu‟ils avaient tiré le matin à la
buvette du patron. Les travailleurs de la vigne avaient droit à deux litres de vin par
jour. Cet avantage en nature avait nécessité quarante jours de grève générale pour
l‟obtenir. L‟éternel resquilleur, que d‟après les mauvaises langues on trouve souvent
dans le milieu des Gardians amateurs, pouvait être qualifié de serqua biassa.

Farrouche ‘trèfle incarnat’

Farrouch  « trèfle incarnat » . Farratchal « champ de farrouch » en Ariège. Étymologie: latin farrago « mélange de divers grains pour les bestiaux ». Si l’étymologie s’arrête là, elle a peu d’ intérêt. Ce serait comme une description du Rhône dans ce genre:

Le Rhône qui se jette dans la Méditerranée  à Marseille,  prend sa source vers 1 900 m d’altitude, au glacier de la Furka, à l’extrémité inférieure du glacier du Rhône, sur les pentes du massif de l’Aar-Gothard.

Pour en savoir plus nous devons retracer l’histoire 1. de la forme du mot, 2. du sens et 3. de la plante.

farouche

1. Les Romains  disaient aussi ferrago , ce qu’on explique  comme une dissimilation des deux –a-. Ferrago est à l’origine de toutes les  formes romanes, catalan ferratge, italien ferrano, espagnol herrén, portugais ferrãn.  Dans les parlers occitans nous trouvons aussi bien les formes ferratje ou farratge,  par l’effet d’une re-assimilation au cours des siècles. Les premières attestations  comme ferratja, ferraya « terrain planté en fourrage »  viennent des Alpes-Maritimes.  L’abbé de Sauvages (S1) écrit : fëraâjhë « escourgeon » s.m. espèce d’orge qu’on fait manger aux chevaux en verd. » A Cahors ferratse est le « maïs à fourrage ».

2. Dans toutes ces attestations le sens est assez proche de celui du mot latin farrago  et désigne une plante verte qui sert de fourrage pour les bestiaux, mais en Espagne  le sens de  farratge  s’est restreint dans la pratique à « trèfle incarnat », probablement parce qu’il y réussissait très bien. En tout cas en espagnol il s’appelle aussi Trébol del Rosellon et en français trèfle du Rousssillon.  

3. Le FEW propose avec hésitation d’expliquer le –ou-  ( farroutcho)  des formes languedociennes et gasconnes par influence du mot rouge.  Le fait que j’ai trouvé la forme farrucha  pour l’espagnol avec la localisation de la plante en Catalogne, où cette plante s’appelle farratge  reste contradictoire. 1

3. C’est à partir de l’Espagne que le farouch s’est répandu  comme plante de fourrage dans tout le Midi et ensuite vers le Nord du pays.  En 1795 farouch est attesté en français.   Je dois vous renvoyer vers le livre de Pierre Joigneaux si vous voulez en savoir plus2 Voici un extrait  concernant le farouch en Ariège:

FarouchJoigneaux1et

FarrouchJoigneaux2 

FEW III,421-422.

Catalan:

farroig ‘fenc’  m BOT/AGR Fenc 1.
farratge « Blat de moro tallat abans de granar que hom dóna com a aliment al bestiar. » Le Diccionari catalan complète : « 1364; del ll. farrāgo, -agĭnis ‘grana per al bestiar’, der. de far, farris ‘blat’.

  1. J’ai trouvé quelques rares attestations d’un espagnol farrucha: dans l’Herbario Virtual  il y a les noms suivants: Nom comú català : Fenc. Nom comú castellà : Farrucha. Trébol encarnado. Distribució per províncies : Barcelona. Girona. Lleida. Dans  l’article Wikipedia Trifolium incarnatum  espagnol ,et dans un autre site espagnol ,mais dans aucun dictionnaire.
  2. Plusieurs pages intéressantes sur la luzerne pour les agriculteurs bio dans le Languedoc. Voir Joigneaux, p.316

estive ‘paturage d’été’

l'estive

Dans le TLF estive est défini comme « Pâturage de haute montagne dans les Pyrénées. », et par métonymie : »Séjour dans ces pâturages ». Le mot est assez récent:  1933 avec le sens « pâturage » et a été emprunté à l’occitan du département du Puy-de-Dôme en 1876  avec un sens très spécifique de l’Aubrac « unité exprimant la valeur de la consommation d’une tête de bétail pendant une saison et sur le pied de laquelle on paie la dépaissance « . Ce sens se trouve dans les Larousses de 1876 jusqu’en 1945.

Le mot estiva est attesté en ancien occitan depuis 1216  avec le sens « récolte » et à Montauban au XIVe s.  » travaux d’été ».  On le trouve dans de nombreux parlers occitans avec le sens « pâturage ».Cf FEW XXIV, 235a

Un séjour d’une semaine dans le Puy-de-Dôme m’a donné  l’impression que de nos jours estive et festive sont bien associés dans l’esprit des touristes et désigne en premier lieu un bon restaurant ou une fête locale, votive celle-là.  Dans l’Aubrac c’est peut-être devenu « la valeur de la consommation d’une tête de touriste pendant une saison »

Lestivebar

J’ai failli oublier l’étymologie : latin aestivus « qui a rapport à l’été ».