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Mène "manche dans une partie de jeu de boules...

Mène « manche dans une partie de jeu de boules ». René Domergue Avise, la pétanque! donne une définition très précise :

Une mène : temps entre le lancer du petit et le lancer de la dernière boule (plusieurs mènes dans une partie).

En dehors du milieu bouliste et des joueurs à la belote le mot doit être rare. Même Google ne donne que très peu d’exemples.

Dans les dictionnaires de l’occitan  il y a  plusieurs mots mèna, mène,  mais aucune signification qui s’approche de « manche dans un jeu »1.

  1. Dans le dictionnaire de l’abbé de Sauvages (S1) il y a deux articles mèno :  une  mèno   « scion de greffe », et mèno  « espèce,  race », par exemple chi dé bono méno « chien de bonne race » et  le dérivé  mènier « tête de châtaignier à greffer, c’est un châtaignier franc récépé et taillé en moignon, qui fournit tous les ans des scions…. ». Sens classés dans le FEW VI/2, 102b-103a comme  dérivés du verbe minare.  Ce sens est encore vivant à Nîmes en 1989  d’après Joblot2, qui donne la définition suivante « une mène  est un genre, race, qualité » , et un exemple : Il possède deux scies de mènes différentes.    Pour lui « ce mot mène est entré dans le vocabulaire  courant des joueurs de boules qui désignent de ce nom chaque nouvelle partie du jeu. L’équipe qui a gagné la mène achevée mène la mène nouvelle.  Je crois que Joblot est tout près du sens qui est à l’origine du sens « manche » : une action ou un élément d’un ensemble.
  2. En occitan il y a une autre mena,  ou  meno  qui signifie  « filon de minerai, mine » en qui vient du gaulois meina « minerai », mais rien qui m’explique le sens « manche dans une partie de jeu de boules ».
  3. Enfin  Claudette Germi, Mots de Champsaur, Hautes AlpesGrenoble, 1996i me fournit un autre emploi de mène : »Encore quelques mènes  et ils auront fini de labourer. »  et l’emploi du même mot dans la même localité dans un autre jeu : « On a fait un concours de belote, on croyait gagner, mais  à la dernière  mène, ils ont eu un carré d’as  et un cinquante…. Pauvre de nous.

Elle cite le travail de Gaston Tuaillon 3 qui a donné la définition suivante pour le mot mène  dans le parler franco-provençal de Vourey (Isère)

Un aller (ou un retour) dans un travail comme les labours ou dans un jeu comme le jeu de boules où l’on ne cesse d’aller et de venir ».

La première attestation de ce sens en ancien occitan est  mena « manière d’être » ( XIIe-XIIIe s.), qu’on retrouve en italien, chez Dante mena « condition, sorte ». En occitan moderne, c’est l’expression  de bouono meno « de bonne qualité » qui domine.

L’étymologie serait alors le verbe menar « mener, conduire, accompagner, exploiter un domaine agricole » du latin minare  « conduire ». Un dérivé de menar,  menada signifie  « ce qu’on mène en une seule fois; quantité d’olives qu’on détrite en une fois » (Alibert). Le même sens est aussi attesté pour le mot voyage (Mistral, Champsaur)

Je crois avoir trouvé une autre explication de l’évolution sémantique que celle proposée par G.Tuaillon.  Je pense que le passage du mot mèno  dans le milieu bouliste, est parti de  l’expression de bouono meno . L’équipe qui a gagné « a fait un jeu de bouono meno,  et pour ne pas vexer l’équipe adversaire, il faut admettre qu’eux aussi ont fait une bouono meno.   Une  mène  est par conséquent toujours bouona.

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  1. D’ailleurs le même problème existe pour le sens de « manche ». Le TLF suit le FEW et  donne comme étymologie  manche  « partie de vêtement …. »  sans pouvoir l’expliquer. Pourtant von Wartburg  (FEW)  écrit dans une note que  le lien sémantique reste mystérieux.  Alain Rey  écrit sans me convaincre  « Par analogie moins transparente manche  a pris le sens « tour de cartes » 1607, d’où « partie liée à une autre » (1803) , les deux parties jouées étant comparées aux manches solidaires d’un vêtement.
  2. Petit vocabulaire local à l’usage des gens du Midi. Nîmes, 1989
  3. Les régionalismes du français parlé à Vourey, village dauphinois.  Paris, 2000. page 250

Caminada

Caminada « presbytère ». Un visiteur m’a demandé de lui fournir une étymologie de son nom de famille Caminade. Il a ajouté que dans son village on appelait le presbytère la caminade et qu’il y a une chambre d’hôtes à Cazals (Lot ) occupant un ancien prieuré du XIIeme siècle qui s’appelle « La Caminade« .

       

J’ai pu lui donner le réponse que voici:

Bonjour,
Le résultat est plus intéressant que je ne croyais! A première vue on dirait en effet qu’il s’agit d’un dérivé du mot d’origine gauloise camminus « chemin, sentier »; la forme caminado est en effet attestée une fois à Ytrac (Cantal) avec le sens « traite de chemin ». C’est tout.
Mais il y avait aussi le mot latin caminus « cheminée » qui a abouti à la même forme camin que camminus « chemin ». Cela a pu prêter à confusion et par conséquence, au lieu de parler du camin « cheminée », on a préféré parler de la camera caminata « pourvue d’une cheminée » plus tard abrégée en caminata (6e siècle) , qui ensuite a subie les transformations normales, > caminada en occitan, >cheminée dans le Nord.
Le mot était très répandu en Italie du Nord et il est passé en allemand Kemenate « chambre pour les femmes dans un chateau » ( toujours dans les dictionnaires! Voir Grimm pour les nombreuses significations et variantes.) et en moyen néerlandais kemenade, encore assez fréquent comme nom de famille, par ex. van Kemenade ou van Kimmenade.
Dans une région restreinte de l’occitan, en particulier le Lot, le Lot et Garonne, l’Aveyron, Albi, caminada a pris le sens « presbytère ». Aux attestations du FEW, il faudra ajouter Espedaillac, d’après votre témoignage. L’évolution sémantique peut avoir été la même que celle de cheminée, mais avec un autre substantif, peut être maison, ou casa caminada, abrégée en suite en caminada. Il est également possible que caminada a pris le sens « presbytère » par un simple emploi au figuré : la maison du curé où il y a une cheminée, contrairement à l’église. . Une telle évolution a eu lieu en tout cas dans le Doubs, à Bournois près de Baumes-les-Dames et à Belfort ou tsemena a pris le sens de « maisonnette contigue à une maison ». Ces maisonnettes étaient plus jolies et mieux chauffées que les fermes, parce qu’elles étaient destinées aux propriétaires à la retraite ».
Là nous sommes dans l’actualité brûlante!
Avec mes sincères salutations.

Caminada dans DuCange dans l’article caminata qu’il définit comme « la chambre ou la pièce où se trouve la cheminée. »
 » ensuite ils
[les moines] quittent le réfectoire, ils boivent dans la caminada … : » Crodegangus de Metz vécut de 712 à 766 (Wiki). Laudinus [Christophorus -; fin 15e s.] dit à propos de Dante: caminata s’appelle sale de palagi en Lombardie, le salon des palais.
Nous trouvons une évolution analogue dans focarius « qui concerne le foyer » > « foyer » > « lieu où vit une famille » > « famille », et dans le mot feu « Unité fiscale utilisée pour l’imposition jusqu’au 18e siècle ». (Voir TLF)

En néerlandais on trouve les variantes que voici ; Caminada, avec une carte de la répartition géographique) Van Cimmenaede, Kemena, Van Kemena, Kemenade, Van de Kemenade, Kemna, Kiemeneij, Kimenai, Kimenaij, Kimmenade, Van Kimmenade, Van de Kimmenade, Van Kimmenaede. (Source).

Freta, fretadou

Freta, « frotter » d’un latin frictare formé sur frictus  du verbe fricare « frotter », mais il y a des évolutions phonétiques inexpliquées. En occitan c’est la forme freta- qui domine ; la forme frota ou fruta  comme  p.ex. à Pézenas ou à Nîmes (Mathon)  est peut-être née sous l’influence du français  où la forme avec –o- règne seule.  Ancien occcitan  fretar signifie aussi « battre, rosser ». De là en aoc. et en languedocien fretado « volée de coups », mot connu aussi à Lyon, en dauphinois, limousin et béarnais.

Fretado « volée de coups ». FEW III, 785

Dans le post du 19/03/2016 Christine Belcikowski raconte l’ histoire d’Antoine Fontanilhes, un homme dont le programme peut se résumer ainsi « le changement c’est maintenant! » . Antoine Fontanilhes s’installe définitivement aux Pujols , où, inspiré par la théorie des Physiocrates, il s’applique à mettre en oeuvre les principes d’une agriculture de type “éclairé »

Quand les Fontanilhes, père et fils, suscitent l’hostilité aux Pujols

“Ce 31 de janvier 1807 a comparu à notre municipalité le Sieur Antoine Fontanilhes, le père, propriétaire, habitant de cette commune, lequel est venu se plaindre des insultes graves et menaces dangereuses de la part de Philippe Cathala, habitant aussi de cette commune, lequel plaignant nous a dit et affirmé, sur l’offre de son serment, le fait suivant : que, jour de hier, environ les onze heures du matin, se trouvant à [Illisible], l’extrême dégradation du chemin vicinal d’Espujols à Arvigna au local appelé Perrot, le dit Cathala, passant avec ses boeufs et ayant une grosse aiguillade en ses mains, lui dit foutre de boleur (voleur) en plusieurs reprises et, le menaçant avec son aiguillade, il ajouta encore foutre boleur, si nous pouden trouva cap à cap et que nous sion pas embarrassats de nous, birious une belle fretade que ten soubendras. Sur quoi, le plaignant s’écarte sur son champ de Perrot et à défaut de porte de la maison commune ouverte.”

Frétadou « amoureux qui se serrent de près » (Mathon), frotadou « homme amoureux » (Andolfi), frettadou « coureur de jupons » (Montélimar).

Dans les dictionnaires XVIIIe-XXe s., on ne trouve en provençal  et languedocien  que les sens  « torchon, essuie-main, frottoir ».  D’après RollandFlore vol.XI, p.77 c’est le nom de la « prêle »,  qui s’appelle aussi cassòuda, consòuda escuret, escureta, escura-copa, erba de vaissela, etc. voir Thesoc. On se servait autrefois de la  prêle pour frotter les casseroles. En raison de sa forte teneur en silice (10 %), elle était autrefois utilisée pour décaper, nettoyer ou même polir le laiton, le cuivre, les métaux précieux et le bois. (Wikipedia) .

 

Estòussá ‘élaguer, émonder’

Dans le Manuel d’agriculture et de ménagerie qu’il publie à Toulouse en l’an II (1793-1794), le citoyen Fontanilhes1, à la suite des Physiocrates et dans le contexte de pénurie qui est alors celui de la Révolution, se propose d’instruire ses lecteurs du moyen d’augmenter la production agricole en France, et plus spécialement en Ariège et en Haute-Garonne.

L’auteur, pour être plus efficace utilise des mots régionaux, comme étaussage

« On appelle « rames »  l’étaussage 30 qu’on fait tous les deux ans, en Vendémiaire, des peupliers, saules, frênes, et tous les trois ans des chênes, en ménageant une coupe suffisante pour cha­que année. On met cet étaussage en fagots, qu’on fait sécher à demi ; on les enferme ou garantit avec soin pour l’hiver. La feuille étant dévorée par vos troupeaux,le berger ou métayer, qui ordinairement a fait l’étaussage à ses frais, se chauffe du bois qui reste. »

Etaussage « élagage, émondage ». D’après le FEW il s’agit d’un mot d’origine préromane *toutio- , *tautio-, *tottio- « tête, pointe » qu’on trouve en galloroman, italien et ibéro-roman.

Le dérivé estaucier signifiait en ancien français « tondre, tailler les cheveux » et en moyen français « tailler une haie vive, couper les grosses branches d’un chêne ».  Le FEW n’a pas d’exemples de l’occitan de ce verbe, mais il y a pas mal d’autres mots qui ont la même origine et qui sont attestés notamment dans l’Ariège, comme tàous « rocher », tàousou « petite élévation, éminence », tos « sommet » et tos dans plusieurs parlers gascons avec le sens « tronc d’arbre, auge ».

FEW XIII/2,132 *toutio2 est à compléter.

Google fournit 4 attestations du mot étaussage, dont le dernier date de 2007:

étaussage S.Fauchereau

Google fournit plus de 70 attestations du verbe étausser, dont celle de Charles Menière, auteur du Glossaire angevin étymologique comparé avec différents dialectes 1881, qui aimerais le rattacher  au celte:

etausseerAngevin

Slatkine l’a réimprimé, de sorte qu’on ne peut pas le consulter sur le web. Mais heureusement l’auteur  l’a publié également dans les Memoires de la société académique de Maine-et-Loire tome 36, 1881, page 191 ss qu’on peut  consulter grâce à Gallica. Pas la peine de dépenser 21€.

D’après la BDP le patois de Segré (49500, Maine-et-Loire) a été particulièrement mis à contribution.

Sous têtards il écrit:

tetard C.MénièreAngevin

  1. Voir l’article de Christine Belcikowski

Mastra 'pétrin'

Mastra « pétrin »en provençal et est-languedocien,    l’étymologie  est  comme pour  mats, mèit   et français  maie  un mot d’origine  grecque : μακτρα « pétrin ».

pétrin provençal.

La première attestation date de 1351  à Maguelone dans l’Hérault. Le FEW donne sa source « ARom3, 371 ».  J’ai voulu vérifier, ce que je ne fais pas toujours parce que cela m’occuperait des journées entières.  J’ai « googlé « Archivum romanicum 3 »  et en effet en 3e position je le trouve.  Un certain Gulio Bertoni a dépouillé le livre de A. Germain,  Maguelone sous ses évêques et ses chanoines.  Montpellier, 1869. Aux  pp.219-288 se trouvent les  Statuts de l’Eglise de Maguelone.   Dans ces statuts il y a de nombreux mots occitans mélangés au latin.  Si cela vous intéresse,  suivez ce lien .   A la page 271 du livre de Germain est noté notre mastra:  Extrahere pastam de mastras

Quand je vois cela, je me rends compte du travail de moine que von Wartburg a dû faire  pour le FEW et la chance que nous avons de disposer d’Internet.

Pratiquement toutes les attestations actuelles de mastra viennent du domaine provençal, plus une de St-André de Valborgne (Gard), mais l’attestation de Maguelone prouve qu’autrefois cette zone était plus étendue.

Les signifcations secondaires restent proches du sens « pétrin ».  Dans la Drôme mastro  « huche de cuisine, armoire, auge à porcs », à Allos (près de Barcelonnette) « caisse dans laquelle on échaude les cochons » 1. A Nice une  mastra  est aussi un « gros derrière ». La mastro ou  la grande mastro est un terme du jeu de la pierrette, qui consiste à lancer des cailloux en l’air pour les recevoir dans le creux ou sur le dos de la main ». 2

L’étymologie μακτρα >  mastra pose un problème phonétique.  La suite –κτ- n’aboutit pas régulièrement à –st-. Dans le sud de lItalie, la Magna Graecia,  où le grec était la langue courante, la suite –κτ-  a abouti régulièrement à –tt-.   Cette forme mattra  « pétrin » est toujours vivante dans le sud de l’Italie et a conquis du terrain jusqu’en Toscane. Dans le nord de l’Italie  par contre , de Venise jusqu’au Piemont, est attestée la forme mastra,  qui doit venir d’une forme grecque régionale *μακξτρα  avec un –xsi-.  Ce changement n’est pas un cas isolé.  L’explication de la différence entre la forme du sud mattra  et celle du nord  mastra   se trouve dans l’histoire politique.  Beaucoup de dialectalismes grecs ont été adoptés dans le nord de l’Italie pendant la période de l’Exarchat. Dans Wikipedia je trouve ceci

L’exarchat est une organisation de certains territoires périphériques de l’empire byzantin, mise en place au VIe siècle pour faire face à la menace d’envahisseurs. L’exarchat est dirigé par un « exarque » qui concentre les pouvoirs civils et militaires. Cette organisation visait à réagir de façon optimale aux dangers menaçant l’empire dans ses régions périphériques, sans avoir à attendre les ordres venus de Constantinople. Ils bénéficiaient d’un plus grand degré d’indépendance que les autres gouverneurs provinciaux….Seuls deux exarchats furent constitués, à Ravenne contre l’invasion des Lombards

C’est l’Exarchat de Ravenne qui nous intéresse.

La forme provençale mastra s’explique donc par  l’influence des parlers du nord de l’Italie, le piémontais et le ligure.

Ce n’est pas uniquement dans la langue que le grec byzantin  a eu une influence à Ravenna.  Voir ci-dessous une mosaïque du Palais.

Détail d’une mosaïque faite dans un  atelier italo-byzantin  à Ravenna, achevée en  526 après JC par le «Maître de Saint-Apollinaire». Après la défaite de Théodoric, les mosaïques murales dans le Palais et la cathédrale ont été refaits par les Byzantins pour enlever des éléments gothiques. Les chiffres dans cette mosaïque ont été remplacés par des rideaux, probablement en raison du manque de temps. Plusieurs vestiges des premiers travaux sont visibles, comme une partie d’un bras sur le troisième pilier de la gauche.

L’étymologie peut mener très, très loin! De Maguelone à Istambul par exemple.

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  1. voir la decription et le dessin dans l’article mats, meit
  2. Impossible de trouver une description sur le web.

Fretado. Le changement …

Fretado « volée de coups ». FEW III, 785 Pour l’étymologie  voir aussi mon article freta.

Dans le post du 19/03/2016 Christine Belcikowski raconte l’ histoire d’Antoine Fontanilhes, un homme dont le programme peut se résumer ainsi « le changement c’est maintenant! » . Antoine Fontanilhes s’installe définitivement aux Pujols , où, inspiré par la théorie des Physiocrates, il s’applique à mettre en oeuvre les principes d’une agriculture de type “éclairé »

Quand les Fontanilhes, père et fils, suscitent l’hostilité aux Pujols

“Ce 31 de janvier 1807 a comparu à notre municipalité le Sieur Antoine Fontanilhes, le père, propriétaire, habitant de cette commune, lequel est venu se plaindre des insultes graves et menaces dangereuses de la part de Philippe Cathala, habitant aussi de cette commune, lequel plaignant nous a dit et affirmé, sur l’offre de son serment, le fait suivant : que, jour de hier, environ les onze heures du matin, se trouvant à [Illisible], l’extrême dégradation du chemin vicinal d’Espujols à Arvigna au local appelé Perrot, le dit Cathala, passant avec ses boeufs et ayant une grosse aiguillade en ses mains, lui dit foutre de boleur (voleur) en plusieurs reprises et, le menaçant avec son aiguillade, il ajouta encore foutre boleur, si nous pouden trouva cap à cap et que nous sion pas embarrassats de nous, birious une belle fretade que ten soubendras. Sur quoi, le plaignant s’écarte sur son champ de Perrot et à défaut de porte de la maison commune ouverte.”

Marcamau, marcamal

Marcamau, marcamal « une figure qui fait peur, un bandit » (Lhubac). Un visiteur m’écrit que sa grand-mère de Clarensac (30) lui disait « que tu marques mal », quand il était mal habillé (jeans avec des franges).

L’expression marquer mal  « être mal mis, avoir un aspect, une mine qui n’indique rien de bon » n’est attesté en français que depuis 1878. Il était très en vogue dans les années ’50 d’après les témoins de von Wartburg. Mais les attestations occitanes sont plus anciennes et l’expression a très probablement été empruntée à l’occitan. Mistralla donne dans son Trésor :

Mistral

Elle est surtout connue en provençal (cf. le site de Marius Autran pour La Seyne) et en languedocien, avec des variantes de sens, mais il s’agit toujours de l’aspect apparent de quelqu’un.

Un autre visiteur me signale une expression souvent entendue dans l’ Hérault (Pouzols) et l’Aude : Marco-mau se passejo  » il y a de l’orage dans l’air », au propre ou au figuré  » la situation devient menaçante »; littéralement : « Marquemal se promène, Marquemal est de sortie ». Et il ajoute: Le surnom de Marcomau a été donné à divers individus, ermites, marginaux ou délinquants.
Un marco-siau est un hypocrite, sournois.

En argot des imprimeurs le marque-mal est « le receveur des feuilles à la machine ». (Pourquoi??).

Pour l’étymologie du verbe marka, marcar et ses nombreux dérivés, qui sont tous postérieurs au XVe siècle, suivez ce lien vers le TLF.

Degra

Degrà « échelon; degré » (Alibert), mais dans le Compoix de Valleraugue, degré signifie « escalier droit » en opposition à lavisette ou vizette qui est un escalier tournant. Dans le site Panoccitan « escalier » est traduit en occitan par escalièr; on dirait un emprunt au français. Eh bien, c’est le contraire! Français escalier qui remplace l’ancien français degré, est attesté depuis 1531 seulement; mais en occitan depuis 1188 (scalerium dans une charte latine de Montpellier) et vient d’un du latin tardif scalarium« escalier », attesté dans des inscriptions.

Ducange

Revenons à notre mouton, degré, degrà en occitan qui est un dérivé du latin gradus qui signifie en latin classique « pas; marche », dérivé du verbe gradior « marcher ». Dans son sens le plus concret gradus a été remplacé par passus dans les langues romanes. Par contre le sens « dégrés d’un temple; d’une église, devant un édifice public » a été conservé en ancien occitan: gra(s) et en occitan moderne graso « degré en pierre, large dalle » (Mistral). Les Romains utilisaient le mot scala pour désigner un « escalier ». Quand à la suite de l’évolution de la construction on sentait le besoin de distinguer le grand escalier en pierre ou en bois de la simple échelle (< scala ), les Français du Centre et de l’Ouest ont choisi le mot degré « marche d’escalier, escalier », tandis que dans l’Est, de la Wallonie jusqu’en franco-provençal nous trouvons gre(s) ou, à partir du pluriel les grés, la forme l’esgré. Le double sens de ces mots prêtait pourtant à confusion. Pour cela on a préféré distinguer la marche de la montée.

Ceci devrait intéresser les architectes parmi mes lecteurs! Le mot escalier a été introduit pendant la première moitié du XVIe siècle. L’architecte Sebastiano Serlio, qui est largement inspiré par Vitruve, un architecte romain qui vécut au Ier siècle av. J.-C, publie I Sette libri dell’architettura de 1537 à 1551; Il est appelé à la cour de France par François Ier, pour la construction du chateau de Fontainebleau. La traduction du Ier livre d’Architecture de Serlio par Jehan Martin apparaît en 1545. (Vous pouvez le consulter sur le web grâce à l’université de Tours, voir aussi Wikipedia).


Je n’ai pas retrouvé le passage mais il semble qu’il utilise le mot escalier pour désigner une grande montée.
D’après le TLF le mot escalier, emprunté à l’occitan où il est toujours bien vivant, apparaît déja en 1531 dans les Comptes des bâtiments du roy pour désigner les escaliers en pierre caractéristiques de la Renaissance et il remplace les mots degré et montée.

Degré dans le Compoix de Valleraugue est donc un gallicisme. Depuis l’introduction de l’escalier, degré prend le sens de « petit escalier derrière la maison », ou comme à Valleraugue « escalier extérieur droit ».  Un degré est moins prestigieux qu’une vis, comme une femme de ménage est moins prestigieuse qu’une technicienne de surface.

Pecaire, peuchère

Pecaire, pécaïre(Lhubac), peuchère vient du latin  peccator ‘pécheur’, mot formé à l’époque de Tertullian (155-230) à partir du verbe latin classique peccare ‘faillir’.

Déjà l’ancien français  avait emprunté le mot pechaire ‘malheureux’ (Marcabru, 1110-1150) à l’ancien occitan: : pechiere ‘interjection marquant la compassion’ (XIIIe s.)

Marcabru, V/30

Tel pense bien être le gardien de sa femme,
et le larron de celle d’autrui;
mais elle agit de même
à l’égard de celui qui la convoite.
Si l’un muse, l’autre baille,
et moi, j’en suis malheureux en le disant.

Ensuite, au cours des siècles, on trouve la forme occitane de cette interjection dans la langue d’oïl, et inversément! Notre femme de ménage dit régulièrement peichère, peuchère! quand elle a cassé quelque chose. Et Beaumarchais, dans le Mariage de Figaro, acte II, scène 20, utilise la forme occitane:

FIGARO, bas à Suzanne. – Je l’avertis de son danger; c’est tout ce qu’un honnête homme peut faire.
SUZANNE, bas. – As-tu vu le petit page?
FIGARO, bas. – Encore tout froissé.
SUZANNE, bas. – Ah, pécaïre!

Nous le retrouvons même dans le TLF: PEUCHÈRE, PECHÈRE, PÉCHÈRE, interj. Pécaïre, pécaïré
Région. (Provence). [Exclam. traduisant la surprise, l’attendrissement, l’admiration ou la pitié.] Il semble que la forme occitane a eu beaucoup de succès au XIXe siècle grâce à la popularité d’Alphonse Daudet, mais qu’actuellement c’est surtout un mot du Midi.

La  notion « péché »  a pris le sens de « dommage » aussi dans d’autres langues européennes et sont devenus des interjections : italien : peccato, un dictionnairedonne l’exemple : 3 (fig.) fatto, situazione inopportuni, incresciosi, deplorevoli: è un peccato che non sia potuto venire; che peccato perdere una simile occasione! | anche ellit.: peccato (che) non si riesca a fare in tempo!; « Non verrà » « Peccato! ». En  allemand dans la formule : sünde und schade ‘dommage’;en  néerlandais: zonde! ‘dommage !

Cacalaouse, cagarol "escargot"

Cacalaouso « escargot de Bourgogne (helix pomiata); escargot » = . Le Thesoc a rangé le type cacalaouso avec le type cagarol.  L’étymologie est en effet presque la même mais  la répartition géographique montre une fois de plus qu’il n’y a pas une  « frontière » entre le provençal et le languedocien. Par exemple dans le Gard:  Gaujac, La Roque sur Cèze, Sernhac et Villeneuve-les-Avignon ont le type provençal  cacalaouso qui d’ailleurs est limité d’après les données du FEW à la Drôme provençale au sud de Monbtélimar, la Vaucluse  et le Gard provençal.  Les autres villages du Gard et le languedocien jusqu’à Carcassonne ont le type  cagarol.

Plusieurs personnes de Manduel m’ont confirmé qu’ils chantaient la comptine suivante quand ils étaient jeunes:

Cacalàusette,
Sors les banettes

Si les sors pas
Deman pleuvra

L’abbé Brunel l’a publié dans la Revue des patois galloromans, vol. 1(1887).(voir Gallica). Pour d’autres rimes sur les cacalause. suivez le lien.

Boucoiran (1898) connaît une recette d’une préparation très estimée en Languedoc d’escargots en sauce, la cacalausado :


Boucoiran cacalausado

Une recette de la cacalausado  d’Elisabeth Augier dans le site de La Roque sur Pernes (84) se trouve ici Recette cacalausado

Il y a différentes propositions en ce qui concerne l’origine. Le FEW en fait le résumé et vient  à la conclusion qu’il s’agit d’un représentant du grec καχλαξ  « caillou comme on en voit au fond de l’eau » 1 croisé avec latin  conchylium « coquillage, huître ».La forme cacalaou  serait alors la plus proche de l’étymon. La forme cagarol   fait l’intermédiaire avec le type caragóu, calagóu  « escargot » et  escaragóu qu’on trouve dispersé dans le dép. des Bouches-du-Rhône jusqu’en les Landes et en béarnais.

Le type escaragóu  a voyagé vers le domaine d’oïl. Le succès du mot occitan  escargot est indubitablement lié au succès de l’emploi culinaire de l’animal.  La plus ancienne attestation en français vient du Ménagier  qui écrit  « limassons que l’en dit escargols ». 

Nous retrouvons le type cagarol  avec une metathèse en Catalan caragol,  comme en espagnol et portugais caracol.   Il a même atteint les Pays Bas méridionaux (= la Belgique) aidé par l’armée espagnole (XVIe siècle), qui  a introduit les caracoles  dans la cuisine,  pour y devenir  des  karkol, karakol  ou  kerrekool. 

Dans un restaurant  de Maastricht vous pouvez toujours commander des karkolle.

adresse karakol

Uitgaan in Maastricht doe je bij:
In de Karkol
Stokstraat 5
6211GB Maastricht

Voir aussi l’article banédja

  1. Je n’ai trouvé qu’une  forme καχληξ